Cette directive s’applique aux assureurs de personnes, aux assureurs de dommages, aux sociétés de gestion de portefeuille contrôlées par un assureur, aux coopératives de services financiers, aux sociétés de fiducie et aux petites sociétés d’épargne assujetties à la Loi sur les assureurs, la Loi sur les coopératives et la Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne.
Au-delà des recommandations classiques concernant le rôle et l’indépendance des conseils d’administration, de la haute direction et des comités d’audit, l’AMF consacre deux sections à la rémunération et aux principes de divulgation et de transparence.
Les assureurs devront s’assurer que leurs politiques de rémunération des membres de la haute direction, du conseil d’administration (CA) et des fonctions de surveillance n’induisent pas de risques exagérés, selon les recommandations de l’AMF.
«La dernière crise financière a été provoquée par une prise de risque excessive à court terme sur laquelle la rémunération était basée sans prendre en considération la culture de l’entreprise et le traitement équitable du consommateur, c’est ce qu’on veut éviter», dit Julien Reid, directeur principal de l’encadrement des institutions financières, de la résolution et de l’assurance-dépôts à l’AMF.
Le but recherché par l’AMF est d’éviter que la rémunération soit démesurée par rapport aux pratiques internes de l’assureur. Le principe n’est pas nouveau, mais l’AMF en a élargi la portée. Les directives ne touchent plus seulement la présidence ou la vice-présidence, mais aussi les membres du CA et toute personne qui joue un rôle clé dans la prise de risques de l’institution.
«L’idée n’est pas de limiter la rémunération, précise Julien Reid. Notre rôle n’est pas de nous ingérer là-dedans, mais de nous assurer qu’on mette sur papier des politiques qui reflètent les différents risques, nous assurer que la rémunération en tient compte et qu’on puisse le démontrer à l’AMF lors des inspections.»
Chez les assureurs, la rémunération n’a pas connu les mêmes excès que chez les banquiers au cours des dernières années, note Michel Nadeau, directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP): «Chez les assureurs, il y a moins de cadres exécutifs et moins de rémunération variable, comme c’est le cas dans le domaine bancaire et dans le courtage. Les multiples sont plus raisonnables que dans les six grandes banques».
Plus de transparence
L’AMF n’exige pas de divulgation de la rémunération, mais on peut lire dans le Bulletin qu’elle se réserve, dans l’exercice de sa fonction de surveillance, le droit «de chercher à obtenir des informations additionnelles pouvant inclure des éléments sensibles, tels que l’évaluation par le conseil d’administration du cadre de gouvernance, les rapports d’audit interne et des détails sur la structure de rémunération, particulièrement reliés à la prise de risque».
«Tout divulguer n’est pas nécessairement bon. On peut se retrouver avec des milliers de pages et que l’objectif ne soit pas atteint, dit Julien Reid. On veut de l’efficacité dans la reddition de compte et assez de transparence pour que tout le monde comprenne ce qui est divulgué, tant sur le plan financier que dans les autres aspects liés au risque.»
Dans l’ensemble, l’AMF précise ses attentes sur ce qu’elle considère des pratiques de gestion saine et prudente. «C’est une culture de gouvernance qu’on veut voir implantée, jumelée avec une culture de protection du consommateur», dit Julien Reid.
Michel Nadeau donne une bonne note à l’AMF à ce chapitre. «C’est un très bel effort, dit-il. Tous les principes de gouvernance sont là. Si j’avais eu à améliorer un petit truc, j’aurais souligné le fait que les membres d’un conseil doivent travailler très fort pour connaître leur industrie et son modèle d’affaires. C’est peut-être encore plus vrai dans l’industrie financière, où les produits sont complexes.»
Il cite l’exemple des polices d’assurance pour lesquelles les conseillers reçoivent d’importantes commissions de départ (commissions accélérées). «Plus vous vendez la première année, moins vous faites d’argent. Dans ce contexte, une baisse de rentabilité ne devrait pas être préoccupante, car ça veut dire que vous vendez beaucoup. À l’inverse, si vous faites de gros profits en partant, ça veut dire que vous avez peu vendu. L’administrateur doit bien comprendre cela», dit Michel Nadeau.
Selon lui, les règles de base rappelées par l’AMF valent surtout pour les petites sociétés d’assurance. «En effet, l’industrie a déjà réglé bien des problèmes. Par exemple, la plupart des grands assureurs ont séparé le rôle de président de celui de président du conseil. Ce n’est pas parfait, mais dans l’ensemble, le secteur financier a bien évolué», indique le directeur général de l’IGOPP.
L’AMF reconnaît que tout dépendant de la taille de l’entreprise, cette séparation n’est pas toujours possible, même si c’est la voie qu’elle préconise. «Si une seule personne occupe les deux fonctions, mais que c’est viable, bien documenté, et que les rôles sont bien compris, ça peut exister», dit Julien Reid.
L’industrie a son bout de chemin à faire en matière de gestion de conflits d’intérêts, mais il serait irréaliste de demander aux conseillers de mordre la main qui les nourrit, note Michel Nadeau. «Si vous savez qu’un produit d’une autre société pourrait être plus convenable, allez-vous dire à votre client d’aller chez le concurrent ?»
Dans ce contexte, ce dernier estime que la transparence est le maître-mot. «Il n’y a pas de honte à dire quel maître on sert. Si votre client croit que vous magasinez chez tous les assureurs au Canada pour sa rente viagère, alors que vous travaillez pour BMO, il y aura ambiguïté. Le conseiller doit dire clairement quelle main le nourrit», dit Michel Nadeau.
L’expert en gouvernance estime que l’approche par principes préconisée par l’AMF est valable et rigoureuse. «Si on arrive avec quelque chose de précis, un petit malin va essayer de le contourner. J’aime mieux des résultats escomptés et des objectifs généraux que de créer de nouvelles normes, qui exigent une bureaucratie complexe», dit Michel Nadeau.
Il reconnaît toutefois que ce type d’approche par principes demande plus de vigilance de la part de l’AMF. L’industrie se plaint aussi parfois de son manque de clarté. «Il vaut mieux vivre dans cette ambiguïté-là que d’essayer d’avoir une norme trop précise, qui pourrait donner aux gens un faux sentiment de sécurité», dit Michel Nadeau. Ce dernier ajoute que les entreprises concernées ont aussi le temps de s’ajuster, en fonction de leur taille et de leur nature.
«En Ontario, on a dit aux entreprises : faites des efforts pour augmenter le nombre de femmes dans les conseils d’administration, et comme ça ne bougeait pas beaucoup, on est arrivé avec des normes. Le point est qu’on donne d’abord des signaux à l’industrie pour lui permettre de s’ajuster. Si elle ne le fait pas, là on va arriver avec une norme précise. Les assureurs ont donc tout intérêt à comprendre le message envoyé par l’AMF.»