Le client écoutait un avocat qui lui expliquait les détails de la procédure
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Ces dernières années, nombre de représentants en épargne collective (REC) ont eu maille à partir avec Revenu Québec (RQ) parce que l’organisme rejette la façon dont ils ont partagé leur commission avec leur cabinet en assurance de personnes dont ils sont le seul actionnaire. Le cas de l’un d’entre eux, exposé dans une note d’interprétation de RQ publié en décembre, offre un éclairage des arguments de l’autorité fiscale. En voici un résumé des éléments clés.

Faits exposés

La note de RQ relate le cas d’un contribuable non identifié, REC et conseiller en sécurité financière, qui aurait conclu une entente entre lui-même, à titre personnel, et son courtier en épargne collective, suppose RQ, qui n’a pas pu consulter cette entente.

Le cabinet en assurance du contribuable assume nombre de dépenses d’exploitation des activités multidisciplinaires :

  • loyer,
  • fournitures de bureau,
  • équipement informatique,
  • intérêts relatifs au financement obtenu pour acquérir la clientèle
  • et salaire du personnel administratif engagé par son cabinet, etc.

Lorsque le REC vend un fonds commun, sa rémunération est acquise par son courtier qui verse ensuite une rémunération sous la forme d’une commission au représentant. On comprend donc qu’il distribue des fonds en série A, dans lesquels la commission est intégrée, par opposition à un fonds en série F, où le client paie directement son conseiller pour ses services.

Dans ce cas, le courtier a versé les commissions du REC directement dans le compte bancaire de son cabinet (aussi désigné Société ci-après). Cependant, le courtier a aussi émis des Relevés 1 au conseiller.

« Estimant qu’une partie du revenu gagné auprès des clients des listes acquises et détenues par Société relativement à ses activités en épargne collective devait être attribuée à Société, Contribuable a, dans un premier temps, inclus dans le calcul de son revenu […] le montant des commissions inscrit aux Relevés 1 émis à son nom par Courtier », lit-on dans l’avis.

Puis, le REC a déduit à titre de dépense d’entreprise un montant correspondant à la portion de ce revenu qu’il estimait revenir à son cabinet. RQ a rejeté ces déductions et émis un avis de cotisation. Malgré l’opposition du contribuable, RQ maintient sa décision.

Selon RQ, le REC « devait inclure dans le calcul de son revenu les montants correspondant à la rémunération versée par Courtier en contrepartie des services en épargne collective rendus par ce conseiller ».

«Une société ne peut se substituer à un individu»

L’hypothèse de RQ, voulant que l’entente établissant la rémunération payable pour les services rendus à titre de REC est conclue uniquement entre le contribuable et son courtier, est un élément clé de la décision de RQ.

En effet, le lien juridique entre un conseiller et son courtier est déterminant en droit fiscal canadien. « Dans la mesure où une entente est conclue entre un particulier (à titre personnel) et un tiers et qu’elle prévoit, par exemple, que le particulier fournira des services au tiers en contrepartie d’une quelconque rémunération, le revenu découlant de cette entente devrait normalement être gagné et appartenir au particulier conformément aux rapports juridiques établis, et ce, à moins d’une preuve convaincante au contraire », cite RQ à partir d’un bulletin d’interprétation de l’Agence de revenu du Canada.

Ainsi, une société par actions ne peut généralement pas se substituer à l’individu.

Par conséquent, « c’est le contribuable qui a droit à la rémunération pour les services rendus à titre de représentant en épargne collective, puisque l’entente déterminant la rémunération de ces services est conclue entre Contribuable et Courtier et que, conformément à cette entente, c’est Contribuable qui a droit à la rémunération. »

« Si l’entente concernant la rémunération pour les services en épargne collective avait été conclue entre Courtier et Société, que cette rémunération avait été versée en contrepartie de services offerts par Société à Courtier et que Société était inscrite auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) à titre de courtier en épargne collective, le revenu découlant de cette entente aurait pu lui être attribué », lit-on dans la décision.

RQ énonce ainsi les conditions qui feraient qu’un partage de commission soit convenable, donnant matière à réflexion à l’Organisme canadien de réglementation des investissements (OCRI) qui analyse actuellement la meilleure position à adopter au terme d’une consultation sur les règles de rémunération des conseillers menée en janvier 2024.

La loi fiscale ne s’intéresse pas au partage de commission

La Loi sur les valeurs mobilières et la Loi sur la distribution de produits et services financiers encadrent le partage de commissions et permettent qu’un REC partage sa commission avec un cabinet en assurance de personnes. Or, RQ souligne que, selon l’AMF, le partage de commissions permis « intervient donc toujours après l’étape du paiement de la rémunération », ce dernier devant être effectué au nom personnel du représentant.

De plus, le partage de commissions « n’est pas pertinent pour déterminer qui doit s’imposer sur le revenu pour l’application de la Loi sur les impôts (LI) ». « Le montant ainsi versé à Société, s’il n’était pas justifié par des services rendus par Société au courtier en épargne collective, en l’espèce Courtier, devait donc être inclus dans le calcul du revenu de Contribuable », écrit RQ.

Par ailleurs, selon RQ, la loi fiscale québécoise ne prévoit pas de règle particulière permettant aux REC de ne pas inclure dans le calcul de leur revenu un montant de rémunération qui leur est dû lorsqu’ils décident d’en attribuer une partie ou la totalité à une tierce partie. Ainsi, les règles habituelles s’appliquent afin de déterminer la personne qui doit s’imposer sur la rémunération, selon l’avis de l’autorité fiscale.

« Afin de déterminer la personne qui doit s’imposer sur un revenu, Revenu Québec s’intéresse non pas au partage de commissions, mais plutôt à la rémunération en soi, telle qu’elle est prévue par les documents juridiques conclus entre les parties. Une analyse au cas par cas est donc nécessaire », lit-on dans la note.

On peut déduire des dépenses raisonnables

RQ ouvre la porte à ce qu’un REC déduise de son revenu d’entreprise les « dépenses qu’il a engagées auprès de son courtier, à condition que ces dépenses soient raisonnables et qu’elles respectent les autres critères prévus par la Loi sur les impôts».

« Concernant l’importante contribution en ressources et à la prise en charge par Société des dépenses liées aux services offerts par Contribuable à titre de représentant en épargne collective, nous sommes d’avis que cet argument semble supporter le fait que Société offre des services à Contribuable à titre de support administratif ou de support à la gestion de ses activités, et non à Courtier », ajoute RQ.

Le flou entourant la façon d’obtenir cette déductibilité soulève des préoccupations, selon Gilles Garon, président du Conseil des partenaires du réseau SFL (CPRSFL). D’après des juristes, si un REC payait des factures émises par sa société et pour lesquelles s’appliquent les taxes de vente (TPS, TVQ), cette déductibilité serait admissible. Or, l’inconvénient est que « RQ ramasse la TPS, TVQ, mais ce n’est pas la même marge de profit pour le représentant », dit-il.

RQ rejette l’argument de la détention de la liste de clients

Un des arguments du contribuable dans ce cas concerne l’enjeu de la propriété de la liste de client. Le REC plaide que la liste de clients constitue l’actif le plus important détenu pour l’exploitation d’une entreprise. Il explique que son cabinet est propriétaire de la presque totalité de la liste de clients de laquelle découlent les revenus de commissions. Ainsi, les revenus générés sont remis à la personne qui s’est endettée pour acquérir la liste de clients.

Le contribuable rappelle que, selon le Code civil du Québec (C.c.Q), les fruits et revenus d’un bien appartiennent à son propriétaire, qui supporte les frais qu’il a engagés pour les produire. Pour cette raison, il est normal que les revenus aillent directement dans le cabinet.

RQ ne partage pas cette analyse. « La source du revenu de commissions payé par Courtier n’est pas la liste de clients, mais plutôt les services rendus par Contribuable à titre de représentant en épargne collective conformément à l’entente conclue entre Courtier et Contribuable. Les articles 948 et 949 du C.c.Q. ne trouvent donc pas application dans une telle situation puisque le revenu ne découle pas, à notre avis, de la propriété de la liste de clients », lit-on dans la note.