Bien sûr, les deux candidats ont adopté certaines prises de position radicales sur des enjeux économiques majeurs comme le libre-échange.
«Cependant, alors qu’au Canada, le premier ministre peut prendre beaucoup de décisions seul, aux États-Unis, la marge de manoeuvre des présidents est étroite : la plupart du temps, ils doivent passer par le Congrès», fait valoir Pascal Duquette, directeur de la Fondation de HEC Montréal, qui a mené des activités pendant de nombreuses années dans l’industrie du placement au Québec.
Si bien que «les deux candidats ont fait certaines propositions qui paraissent très irréalistes», souligne Rafael Jacob, chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’Université du Québec à Montréal.
Rafael Jacob fait notamment référence aux 275 G$ US d’investissement dans les infrastructures promis par la candidate démocrate Hillary Clinton. «Ça fait six ans que Barack Obama essaie de faire la même chose, mais il se casse le nez au Congrès», affirme Rafael Jacob. Il mentionne aussi les renégociations de traités commerciaux annoncées par Donald Trump, «mais il ne peut pas faire cela tout seul».
Plus de protectionnisme
La couleur des deux Chambres (la Chambre des Représentants et le Sénat) est donc un enjeu de taille pour que le candidat élu puisse appliquer plusieurs mesures importantes. Si l’un des candidats (Hillary Clinton ou Donald Trump) remporte la majorité dans les deux Chambres, il lui sera plus facile de mener à bien l’intégralité de son programme.
Toutefois, même dans ce cas, la tâche ne sera pas facile. «Beaucoup de membres de l’establishment républicain sont opposés aux mesures clés du programme de Donald Trump, notamment à ses positions anti libre-échange et aux baisses de taxes qui vont engendrer des déficits budgétaires plus importants», souligne Todd Mattina, économiste en chef et stratège chez Placements Mackenzie, à Toronto.
Par ailleurs, certaines mesures économiques avancées par les deux candidats se rejoignent. En outre, ils sont assez critiques à l’égard du libre-échange et souhaitent que l’État prenne des mesures musclées pour freiner l’évasion fiscale des entreprises, par exemple.
Si bien que quelle que soit l’issue de l’élection, Angelo Katsoras, analyste géopolitique à la Banque Nationale, s’attend à «plus de protectionnisme et plus d’interventionnisme de la part de l’État».
Clinton : la continuité rassurante
Hillary Clinton et Donald Trump ont des personnalités fort différentes. Par conséquent, au-delà de ces quelques similitudes, les conséquences de l’élection de l’un ou de l’autre sur les marchés financiers et sur l’économie en général seraient assez différentes, du moins à court terme.
L’élection d’Hillary Clinton serait le scénario qui ferait le moins de vagues aux États-Unis, car «elle représente l’establishment, elle défend la même idéologie que Barack Obama à peu de choses près», juge Pascal Duquette.
Si Hillary Clinton, qui représente la continuité, défait l’impétueux et imprévisible Donald Trump, il y a fort à parier que les marchés, rassurés, réagiraient plutôt bien.
«Si elle gagne, les marchés seront soulagés, car elle est connue, anticipe Angelo Katsoras. Même si elle paraît plus à gauche, parce que son électorat s’est déplacé à gauche, les marchés voient bien que son mari est un modéré et qu’il est pro-entreprise. C’est rassurant pour eux.»
Ils pourraient néanmoins être pleins d’interrogations, voire inquiets face à sa volonté annoncée de renforcer le Dodd-Franck Act. Cette loi, adoptée en 2010 à la suite de la crise des prêts à haut risque (subprimes), visait à assainir le milieu financier en procurant notamment plus de pouvoirs aux organismes de réglementation des marchés.
«Cependant, Clinton aurait beaucoup de difficultés à modifier cette loi, croit Rafael Jacob. Lorsqu’elle avait été adoptée, c’était par une marge très serrée, alors que les démocrates étaient majoritaires dans les deux Chambres. Aujourd’hui, l’aile gauche démocrate voudrait rendre la loi plus sévère, alors que les républicains veulent la rouvrir pour la tuer».
Des positions préoccupantes
La candidate démocrate a par ailleurs pris des positions tranchées qui ont étonné le milieu des affaires.
«La victoire d’Hillary Clinton serait moins stressante pour les marchés, mais il n’en reste pas moins que certaines de ses positions sont préoccupantes», affirme Todd Mattina, qui relève le discours protectionniste de la candidate démocrate.
Bien qu’elle ait travaillé à la mise sur pied de l’accord de Partenariat transpacifique (PTP) quand elle était au gouvernement, pendant la campagne, elle s’est dite opposée à l’entériner.
«Elle tergiverse constamment au sujet de cet accord, constate Rafael Jacob. Mais le problème dépasse le PTP. C’est le libre-échange en général qui ne fait pas consensus», dit-il.
«Pendant des années, les élites des démocrates et des républicains voulaient montrer que tout le monde était en accord au sein de leur parti. Or, ce n’est pas le cas, ni à l’interne ni dans la population. Sur ce plan, tant Hillary Clinton que Donald Trump sont plus représentatifs du peuple, explique Rafael Jacob. Aujourd’hui, il manque des voix dans le camp démocrate comme dans le camp républicain pour entériner l’accord de Partenariat transpacifique.»
Autrement dit, peu importe qui sera élu président, «rien ne garantit qu’il serait entériné, car il faut obtenir la majorité dans les deux chambres».
Poussée par les partisans de son adversaire à l’investiture Bernie Sanders, qui représentent l’aile gauche du parti démocrate, Hillary Clinton a annoncé des mesures qui impliqueraient une hausse de l’intervention de l’État dans l’économie américaine : gratuité scolaire à l’université, programmes d’infrastructures de 275 G$ US, congés parentaux, hausse du salaire minimum, etc.
Du côté des marchés, «certains secteurs sont potentiellement plus exposés aux politiques des démocrates, notamment les secteurs bancaire, pétrolier et des soins de santé. Il sera donc important d’avoir un portefeuille diversifié pour réduire le risque politique», recommande Todd Mattina. Précisons qu’Hillary Clinton s’est dite favorable à une réglementation plus sévère de l’exploitation du gaz de schiste.
Trump : nervosité à prévoir
Un constat s’impose : «Si Donald Trump est élu, tout le monde sera un peu nerveux, y compris les marchés financiers, au moins pendant quelques mois», anticipe Angelo Katsoras.
«Cela pourrait exercer une pression sur les marchés boursiers mondiaux, parce que les investisseurs exigeront des primes de risque plus importantes pour compenser l’incertitude liée aux politiques économiques de Trump», croit Todd Mattina.
«Ses politiques fiscales, commerciales et d’immigration imprévisibles et populistes ont alarmé beaucoup d’investisseurs, ajoute-t-il. On pourrait aussi assister à un regain d’intérêt pour les valeurs sûres comme les bons du Trésor américains.»
Les obligations pourraient elles aussi voir leur valeur augmenter. «Jusqu’à un certain point, les périodes d’incertitude et de mauvaise performance économique peuvent avoir du bon pour les obligations», analyse Pascal Duquette.
Si Donald Trump est élu, Pascal Duquette s’attend à ce que les cours boursiers et le Nasdaq chutent, ainsi que la devise américaine, et par conséquent les prix des matières premières. Selon lui, «le seul marché qui ne chuterait pas serait celui de l’or, puisque c’est la valeur refuge absolue quand les devises vont mal».
Même après une première réaction de nervosité, il est probable que tout rentrera dans l’ordre. «Les fluctuations boursières sont beaucoup moins liées à la politique qu’elles ne l’étaient auparavant, ne serait-ce que parce que la moitié des revenus du S&P viennent d’activités de multinationales à l’extérieur des États-Unis», précise Pascal Duquette.
Risque d’un déficit budgétaire accru
Sur le plan économique, Donald Trump a pris position contre les traités de libre-échange, annonçant même vouloir remettre en cause l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) en vigueur depuis 1994.
Il a fait plusieurs déclarations vitriolées contre la Chine et le Mexique, en particulier, et veut rétablir certaines mesures protectionnistes. «C’est difficile de prévoir jusqu’où iront les candidats une fois élus, mais quand on évoque l’idée d’abolir des traités commerciaux, on risque de déclencher une guerre commerciale mondiale», met en garde Jack A. Ablin, chef des placements chez BMO Banque privée, à Chicago.
«La riposte des pays visés est une grande inconnue», pense également Rafael Jacob.
Cependant, là encore, «à part d’imposer des barrières tarifaires sur certains produits afin de cibler des secteurs précis, le président ne peut pas faire grand-chose sans le Congrès,», analyse Angelo Katsoras.
Quant aux baisses d’impôts pour les entreprises et les particuliers promises par Donald Trump, elles «stimuleraient la croissance et l’inflation, mais elles provoqueraient également une forte augmentation du déficit budgétaire du gouvernement, et on imagine que ce serait suivi d’une hausse des taux d’intérêt», met en garde Jack A. Ablin.