Bien qu’elle soit contestée, la règle pourrait être approuvée sous peu par la Securities and Exchange Commission (SEC). On souhaite, dit-on, offrir une information complète au client dont le conseiller change de réseau. L’investisseur devrait mieux comprendre les enjeux qui motivent son conseiller à bouger et il pourra ainsi mesurer les impacts directs et indirects liés au transfert de son actif dans une autre firme.
Qu’en est-il au Québec ? La réforme du Modèle de relation client conseiller (MRCC 2) propose également une plus grande transparence grâce à la divulgation des frais et des honoraires que paient les clients des conseillers. Finance et Investissement a demandé à quelques intervenants du marché si une telle obligation de divulgation pourrait faire partie du MRCC 2.
Contrat de travail
Les autorités de réglementation telles que l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) et l’Autorité des marchés financiers (AMF) sont au fait de cette nouvelle mesure.
Selon la vice-présidente pour le Québec de l’OCRCVM, Carmen Crépin, la rémunération perçue par le conseiller lorsqu’il change de firme est avant tout liée à son contrat de travail. «Notre organisation ne régule pas ces contrats. Et les conditions d’emploi et salariales en font partie, tout comme le boni de signature. Cette divulgation n’est pas courante non plus dans les autres professions», note Carmen Crépin.
Elle justifie également cette décision en partant du principe selon lequel le client n’est jamais obligé de suivre son conseiller, pas plus qu’il n’est captif de l’entreprise où se trouve son compte. «Et on ne permettra pas à une firme d’invoquer le contrat de travail qu’elle a signé avec son conseiller pour retenir un client qui souhaite suivre son conseiller», ajoute-t-elle.
Il faut tout de même apporter des nuances à cette absence de réglementation. En examinant les plaintes des clients, l’OCRCVM pourrait découvrir que le contrat de travail du conseiller le place en position de conflit d’intérêts, par exemple. Comment ? En l’incitant à rouler les actifs ou à prendre des positions trop agressives dans le portefeuille afin de percevoir les primes prévues à son contrat.
«Cette pression qui pousse un conseiller à obtenir les résultats négociés dans son contrat pourrait le mettre en situation d’infraction réglementaire en engageant sa propre responsabilité professionnelle. Sa firme doit donc le surveiller adéquatement», explique Carmen Crépin. Mais il y a bien d’autres raisons qui peuvent inciter un conseiller à rouler ses actifs : un problème de jeu, de drogue, un divorce. «Et tout cela n’a rien à voir avec son contrat de travail», ajoute-t-elle.
L’AMF confirme également que de son côté, aucune réglementation obligeant la divulgation des bonis de signature ou toute rémunération différée lors d’un changement de firme n’est à l’étude.
«Réglementer, c’est bien, mais il faut aussi voir comment les règles sont appliquées, et parfois quand il y en a trop, on obtient l’effet contraire de ce qu’on recherche, constate Carmen Crépin. La réalité américaine est très différente de la nôtre, ce qui ne nous empêche pas de suivre de près l’évolution de la réglementation aux États-Unis», ajoute-t-elle.
Bruno Desmarais, directeur régional, Gestion de patrimoine TD, pense que ce n’est qu’une question de temps avant que les conseillers aient à déclarer leur boni de signature. «Selon moi, après la phase deux du modèle de relation client-conseiller, le prochain pas sera la divulgation complète des conditions de travail. L’esprit de cette réforme est de savoir ce que paie le client pour ce qu’il reçoit. Je pense que le client paie toujours indirectement pour cette rémunération. Il n’y a pas de magie.»
Transaction d’un million
Bruno Desmarais en connaît un rayon en matière de transfert de conseillers. Avant d’entrer chez TD, il a travaillé plusieurs années chez Desjardins, où il s’occupait notamment de l’embauche des conseillers. Dans sa thèse de MBA, il explique le modèle de croissance de Desjardins, examinant si la firme aurait avantage à faire des acquisitions plutôt que de recruter des conseillers à la pièce. Sa conclusion : il est plus avantageux d’engager des individus. D’ailleurs à cette époque, Valeurs Mobilières Desjardins a été chercher plusieurs grands noms comme le duo Dalpé-Milette qui travaillait à la Financière Banque Nationale.
En raison de son expérience, Bruno Desmarais reçoit les confidences de nombreux conseillers en placement lorsque ces derniers songent à changer de firme. On lui demande conseil sur les contrats et sur les paramètres importants à considérer. «J’ai participé à plusieurs transactions durant ma carrière, alors on me fait confiance. On me demande si l’offre de la firme a du bon sens», explique-t-il. Bruno Desmarais nous assure qu’il n’est pas rare que les primes perçues par les conseillers sur ces transactions atteignent le million de dollars.