L’affaire Autorité des marchés financiers (AMF) c. Wishnousky et al. remonte au début des années 2000. Un représentant en assurance de personnes et en épargne collective, William Wishnousky, distribue alors ce qu’il prétend être des placements garantis à 17 clients, d’après le jugement de la Cour supérieure.
Or, il s’agit plutôt de billets à ordre, garantis uniquement par l’émetteur, DWF. Ces instruments de placement sont destinés à des investisseurs avertis. William Wishnousky est à la fois vice-président, services corporatifs de DWF et représentant du cabinet Diversifolio, lequel deviendra iForum. Il ne se vante pas de ce double statut aux dirigeants de ces cabinets.
William Wishnousky commence à distribuer ce produit au printemps 2001, soit pendant que son cabinet effectuait une vérification diligente sur le titre de DWF. En février 2002, Diversifolio prend du recul par rapport à ce produit et envoie une note à tous ses représentants leur indiquant que le cabinet ne soutient plus le produit de DWF ni n’en fait la promotion, selon le jugement.
Malgré cette note, le représentant continue de distribuer ces billets jusqu’en 2003. Son patron est informé de cette insubordination, mais n’audite pas les dossiers de William Wishnousky et n’avise pas les clients touchés de sa nouvelle position à l’égard du produit, d’après le jugement.
«En 2004, certains clients dont les placements viennent à terme veulent récupérer les sommes investies et réalisent alors qu’ils ne reverront pas la couleur de leur argent, puisque DWF n’a pas les liquidités requises pour effectuer les remboursements demandés», apprend-on dans le jugement.
Le 27 octobre 2004, à la suite des plaintes formulées par les clients lésés, iForum met fin à son contrat avec William Wishnousky. En raison de ses agissements, le Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (CSF) radie à vie ce représentant, en mars 2006.
En décembre 2006, l’AMF indemnise les 17 clients victimes du stratagème de William Wishnousky qui est alors perçu comme frauduleux. Au nom des clients lésés, l’AMF poursuit à son tour William Wishnousky, son patron d’alors chez iForum, Antonio Tiberi, Lloyd’s, leur assureur responsabilité d’alors, ainsi que la firme DWF et son dirigeant Joseph Simon Lacroix.
Le juge Claude Dallaire condamne ces derniers, entre autres, à payer plus de 624 000 $. Dans un arrêt en Cour d’appel daté de janvier 2016, les magistrats ont soutenu que «la faute du cabinet et de Tiberi n’est ni lourde ni intentionnelle et aucune exclusion de la police ne dégage l’assureur de son obligation d’indemniser les victimes de cette faute».
Ils ont aussi validé l’analyse du juge de première instance selon laquelle le cabinet iForum «a autorisé Wishnousky à distribuer le produit dommageable, il n’a pas suffisamment surveillé les activités de celui-ci, il ne s’est pas assuré qu’il respectait les limites de sa certification et n’a pas veillé à protéger les intérêts des clients du cabinet en ne faisant aucune intervention auprès d’eux après avoir changé sa perception du produit et en avoir avisé tous ses représentants, en février 2002».
Pas surprenant
Le jugement est bien fondé en droit, de l’avis de Maxime Gauthier, avocat et chef de la conformité chez Mérici Services Financiers. Selon lui, en valeurs mobilières, les représentants sont l’extension du courtier et celui-ci demeure responsable de leurs agissements dans le cadre de leurs fonctions.
«Comme courtier, on a la responsabilité de mettre en place des procédures qui sont claires et d’avoir des mécanismes qui assurent que ces procédures sont respectées et suivies. C’est pour cela qu’on fait de la formation et de l’accompagnement auprès de nos représentants, des inspections, qu’on contrôle les transactions effectuées, etc.», dit Maxime Gauthier.
Selon lui, pour réparer son erreur d’avoir laissé un représentant distribuer un produit sous de faux prétextes, un courtier doit agir avec diligence et ainsi rapidement exécuter plusieurs tâches. Parmi celles-ci, Maxime Gauthier note que «tu devrais mettre un interdit de transaction dans ton système. Tu devrais mettre fin au contrat de distribution qui te lie au manufacturier. Tu dois sortir la liste de tous les clients qui ont ce produit en portefeuille et mettre en place un plan d’action avec des représentants pour libérer les portefeuilles au plus vite, dans la mesure du possible.»
De plus, une fois que le patron de William Wishnousky a su que ce dernier continuait de distribuer le produit en question, il aurait dû soit le «placer sous surveillance extrêmement étroite ou le mettre dehors», estime Maxime Gauthier.
Pas lieu de s’alarmer
À la lumière de ces jugements, des membres de l’industrie se sont affolés de l’effet de ces décisions sur la responsabilité d’un cabinet, soutient Marc Champagne, avocat au cabinet Jurilis, qui a défendu les intérêts de Lloyd’s dans ce dossier.
«Le jugement Wishnousky n’est pas inquiétant», dit Marc Champagne, et pour plusieurs raisons. D’abord, depuis 2004, l’industrie a été assainie de ses pires représentants, notamment en raison des enquêtes de l’AMF. «Il y en a beaucoup qui ont disparu de la circulation», note-t-il.
Ensuite, les pratiques de conformité et de surveillance des représentants dans l’industrie se sont améliorées.
De plus, «on a de la jurisprudence qui parle du rôle du client. Le client qui ne lirait pas les rapports annuels, qui ne lirait pas les relevés qu’il reçoit, qui ne poserait pas de questions, qui cacherait des informations, ça fait des situations où il y aurait soit une responsabilité partagée ou carrément un rejet de la demande du client», dit Marc Champagne.
Ce dernier cite aussi d’autres jugements, dont celui de Beverley Smith Mulley contre la succession de feu Donald Lewis, pour lequel le cabinet du représentant Donald Lewis n’a pas été tenu pour responsable. Dans cette affaire, Donald Lewis a leurré des clients afin qu’ils investissent dans des prêts offshore en présentant ces produits prétendument comme des produits garantis ; sa succession a été condamnée à payer 242 000 $.
Dans ce cas, «le cabinet a fait son travail de conformité», note Marc Champagne, en faisant signer à Donald Lewis un document pour s’assurer qu’il ne faisait pas d’activités offshore. De leur côté, les clients n’ont jamais communiqué avec le cabinet de Donald Lewis, même après avoir vu que la valeur du produit n’avait pas été transférée lorsqu’ils ont demandé le transfert des placements qu’ils détenaient auprès du cabinet, ni même après que le prêt eut atteint son échéance. «Pourquoi les clients n’ont-ils pas posé de questions ni appelé le cabinet ?» se demande Marc Champagne. Le jugement n’a pas été porté en appel.