Les grandes institutions financières du Canada huileraient les rouages de l’industrie des combustibles fossiles à une cadence bien plus rapide que leurs pairs ailleurs dans le monde, révèlent des analyses internationales.
Les banquiers affirment avoir fait de grands progrès dans la résolution des problèmes liés au changement climatique et promettent de révéler dans quelle mesure leurs portefeuilles s’appuient sur le carbone. Ils ajoutent que la nature même de l’économie canadienne, largement axée sur les ressources naturelles, rend les grands investissements dans le pétrole et le gaz naturel presque inévitables.
Mais selon des critiques, peu de choses changent.
« Il n’y a pas de diminution importante du financement », a observé Olaf Weber de l’École de l’environnement, de l’entreprise et du développement de l’Université de Waterloo.
Une étude récente de Rainforest Action Network a placé la Banque Royale, la Banque TD et la Banque Scotia dans le top 10 mondial pour le financement des combustibles fossiles, fournissant plus de 89 milliards de dollars (G$) aux sociétés pétrolières rien qu’en 2019. La Banque de Montréal et la Banque CIBC occupent les 16e et 21e rangs, avec un total de près de 42 G$.
Au cours des quatre ans et demi qui se sont écoulés depuis la conclusion de l’accord de Paris sur le changement climatique, les prêts à l’industrie des combustibles fossiles ont augmenté chez les cinq grandes banques, indique l’étude.
La situation est semblable chez Exportation et développement Canada, une agence fédérale qui aide l’industrie canadienne à vendre ses produits à l’étranger. En mai, Oil Change International a classé l’agence au deuxième rang mondial pour le soutien aux énergies fossiles. Sa moyenne de 10 G$ par année dépasse tous les autres pays sauf la Chine.
Plus tôt en décembre, l’Institut international du développement durable a classé le Canada au dernier rang des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour ses tentatives de mettre fin au financement public du pétrole et du gaz naturel, ainsi que pour l’ampleur de son soutien à l’exploration, à la production, au raffinage et au transport des hydrocarbures.
Une seule des grandes banques canadiennes, la TD, s’est engagée dans les efforts d’un groupe de 88 banques et institutions financières qui veulent normaliser leur exposition au carbone.
‘Le Canada se démarque, et pas pour les bonnes raisons », a souligné Bronwen Tucker, du groupe Oil Change International, qui prône la transition énergétique.
Les banques se défendent
Les banques canadiennes disent qu’elles changent. La plupart d’entre elles ne financent plus de projets de charbon thermique et plusieurs, notamment la Royale, la TD et la Banque de Montréal, rejettent le forage de combustibles fossiles dans l’Arctique.
Alec Clark, responsable de l’énergie mondiale chez Valeurs mobilières TD, a souligné que sa banque divulguait ses investissements à forte intensité de carbone depuis 2018. Elle a promis d’être neutre en carbone d’ici 2050, s’alignant sur les objectifs de l’accord de Paris, et s’est engagée à investir 100 G$ dans l’énergie renouvelable d’ici 2030.
« Le réglage de nos objectifs fournit un bon contexte pour nos clients, a estimé Alec Clark. Un nombre important ont déjà leurs propres objectifs. »
La Banque Royale travaille avec ses clients pour être respectueuse de l’environnement, a fait valoir le porte-parole Andrew Block, dans un courriel.
« Nous nous engageons à trouver des moyens d’équilibrer la transition vers une économie à faibles émissions de carbone tout en soutenant les efforts visant à répondre aux besoins énergétiques mondiaux et à nos clients énergétiques. Le monde continuera à dépendre des ressources naturelles et des sources d’énergie traditionnelles pendant un certain temps. »
De son côté, Exportation et développement Canada s’est engagée à réduire l’intensité en carbone de ses investissements de 15 % d’ici 2023, a souligné son vice-président exécutif Carl Burlock. Ces réductions seront divulguées, a-t-il précisé.
Environ 3,5 G$ ont été fournis à plus de 250 entreprises de technologies propres, a expliqué Carl Burlock. « Nous avons un rôle à jouer dans la transition vers une économie plus sobre en carbone. »
Mais tout prêteur impliqué de manière importante dans l’économie canadienne sera impliqué dans les combustibles fossiles, a-t-il estimé.
« Le pétrole et le gaz naturel sont des exportations importantes du Canada depuis de nombreuses années. Si on regarde le profil de notre soutien, il reflète vraiment le profil de l’industrie des exportations du Canada. »
Alec Clark est d’accord. « L’énergie est un élément important de Valeurs mobilières TD. C’est un élément important de l’économie canadienne. »
Ce qui ne veut pas dire que l’investissement ne change pas, a-t-il affirmé.
« Il est possible d’être une entreprise énergétique tout en restant très concentré sur ses activités quotidiennes pour s’assurer d’être un utilisateur ou un émetteur d’émissions moins intensif. »
En outre, la plupart des banques ont des politiques visant à évaluer les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance d’un investissement.
Pas vraiment de changement radical
Olaf Weber souligne que selon certaines estimations, jusqu’à 80 % des investissements réalisés au Canada utilisent déjà ces critères. S’ils faisaient une différence, dit-il, nous l’aurions déjà remarqué. « On voit bien que ce n’est pas vraiment un changement radical. »
Amelia Meister, du groupe de revendications d’actionnaires Sum Of Us, estime que l’investissement du Canada dans les combustibles fossiles est plus qu’un simple miroir de son économie. C’est un peu comme encourager l’équipe locale.
« J’ai parlé à des dirigeants de banques qui affirment que l’industrie des combustibles fossiles est un pilier de l’économie canadienne et que c’est la responsabilité des banques de soutenir l’économie canadienne, a-t-elle indiqué. Ça a peut-être déjà été vrai, mais nous sommes rendus à une époque très différente. »
Bronwen Tucker souligne qu’investir dans des entreprises de combustibles fossiles a une incidence directe sur les émissions. De nouveaux champs pétrolifères ne seraient pas ouverts, des mines de sables bitumineux ne seraient pas construites et des pipelines ne seraient pas installés sans l’obtention de grosses sommes d’argent.
« Un nouvel oléoduc ou un nouveau champ pétrolifère (…) présente des émissions que nous ne pouvons pas nous permettre même à court terme, mais qui seront en place pendant des décennies. Nous sommes en fait à un point où nous ne pouvons pas développer davantage les infrastructures pétrolières et gazières. »