«Alors qu’en 2013, l’ensemble des pays développés a connu une croissance de seulement 1 %, on s’attend pour 2014 à un rythme de 1,9 %, ce qui est presque le double, soumet François Dupuis, vice-président et économiste en chef au Mouvement Desjardins. Les pays émergents aussi vont mieux performer, mais seulement un peu, le taux passant de 4,6 à 5,3 %.»

Années fastes

Pour l’instant, surtout depuis l’annonce par la Réserve fédérale américaine (Fed) de son intention de freiner son programme d’assouplissement quantitatif, les places boursières des pays émergents ont accentué leur recul. Ainsi, selon des données colligées par le Mouvement Desjardins, depuis le début de 2013, les indices boursiers du BRIC ont tous reculé : en Chine de – 9,3 %, en Inde de – 8,8 %, au Brésil de – 14,4 %, en Russie de – 2,8 % (au 23 août).

Même dans des pays plus périphériques, la performance a été négative pour l’année en cours : Indonésie, – 3,4 % ; Thaïlande, – 3,9 % ; Colombie, – 7,4 %.

C’est dans les pays développés que les Bourses brillent, en premier lieu au Japon, avec 31,4 %, puis aux États-Unis, avec une montée de 16,6 %, en France (11,8 %), en Allemagne (10,6 %). Le Canada, dont le profil bour-sier est dominé par les matières premières comme plusieurs pays émergents, a tout juste surna- gé : 2,6 %.

De tels comportements boursiers au cours de 2013 marquent un renversement majeur comparé aux quatre années qui ont suivi le début de 2009. Cette année-là, la plupart des places boursières des pays émergents ont fait un saut prodigieux : 74,5 % au total, des pays comme la Chine, l’Inde et la Russie ont fait un bond de 80 %, 85 % et 128,6 % respectivement. Il faut dire qu’elles avaient toutes plongé bien plus profondément en 2008 que les places boursiè-res des économies avancées : – 65,4 % en Chine, – 55,3 % en Inde, – 72,4 % en Russie.

Aux États-Unis et en Europe, les plongeons de 2008 ont été moins spectaculaires : – 38,5 % et – 48,2 % respectivement. Toutefois, la première année de reprise en 2009 a également été moins spectaculaire : 30,7 % et 31,2 %.

Il est intéressant de noter que la Chine, vers laquelle tous les yeux sont pourtant tournés pour des raisons économiques évidentes, est le pays qui a le profil boursier le moins représentatif des pays émergents. Depuis la fin de 2008, dans le palmarès que dresse le Mouvement Desjardins, c’est l’indice chinois qui marque la plus piètre performance : seulement 13 %, pire même que dans les pays avancés. Aux États-Unis, la remontée depuis cette date a été de 84,1 %, en Allemagne, de 75 %, au Canada, de 42 %.

Dans les trois autres pays du BRIC, la remontée a été équivalente à celles des pays avancés en Inde (88,4 %), plus faible au Brésil (39 %) et éclatante en Russie (110,6 %).

Tous ces chiffres montrent que les quatre champions émergents du BRIC ont affiché, depuis la crise, une performance boursière assez semblable à celle des pays avancés, les États-Unis surtout. Elle est nettement plus éclatante du côté de la Russie, passablement plus terne du côté de la Chine. Les investisseurs qui ont misé sur le dragon chinois pour refaire leur portefeuille après la crise doivent se morfondre.

Faut-il conclure à partir de ce survol que les pays émergents ont connu leur heure de gloire et qu’il faut maintenant rapatrier ses investissements ? Aucun des spécialistes auxquels Finance et Investissement a parlé ne le pense. «Les pays émergents res-tent des occasions à long terme, surtout qu’il s’agit de pays populeux et relativement jeunes», soutient Jean-Benoit Leblanc, gestionnaire de portefeuille, pays émergents, chez Hexavest, à Montréal.

«À court terme, il faut ajuster nos attentes de croissance, renchérit Christine Tan, gestionnaire d’un portefeuille lié aux marchés émergents chez Excel Funds Management, à Toronto. Mais la tendance de fond d’une croissance forte demeure.»

Nouveaux tigres

Ce palmarès du Mouvement Desjardins confirme un autre développement de premier plan. Ce n’est plus chez les champions du BRIC que se trouve la forte performance qu’on en est venu à associer aux pays émergents, mais plutôt chez de nouveaux tigres : depuis 2009, l’indice indonésien a monté de 207,6 %, l’indice thaïlandais, de 197,4 %, l’indice colombien, de 80,2 %. Il vaut également la peine de no-ter «que les indices de ces pays plus périphériques ont moins cédé que ceux du BRIC au cours de la dernière baisse», indique Christine Tan.

Ce sont là quelques-uns des pays que Goldman Sachs a qualifiés en 2005 de «Next Eleven», parmi lesquels prennent place aussi des pays comme le Vietnam, l’Égypte, le Bangladesh, le Mexique, le Nigéria, la Turquie et les Philippines. La grande firme américaine a d’ailleurs lancé sur ce «thème» en 2011 un fonds commun d’investissement qui porte le nom de N-11 Equi- ty Fund.

Pour l’instant, la machine de croissance boursière du monde émergent semble enrayée. Et il ne faut pas minimiser les problèmes que cet enrayage met en évidence. «C’est comme si les pays émergents connaissaient une crise de croissance, avance François Dupuis. Ils ont crû tellement vite qu’ils ont négligé des choses. Par exemple, en Inde et au Brésil, ce sont les routes qui manquent. Ailleurs, les salaires ne suivent pas la croissance de l’économie et ça crée des problèmes d’inégalité. Chez d’autres, le manque d’épargne freine la croissance.»

Quand cet enrayage va-t-il se régler ? A-t-on atteint le fond de la chute des indices des pays émergents ? «Bien malin qui pourrait le dire», répond Jean-Benoit Leblanc. Par contre, ajoute-t-il, «on commence à parler d’occasions à long terme. Les ratios cours/bénéfices montrent des escomptes relatifs de 20 % (par rapport aux titres dans les pays industrialisés). Au cours des sept ou huit dernières années, de tels ratios ont marqué un point d’entrée intéressant.»