Depuis la crise financière, plusieurs pays font face à un risque de «japonisation» de leur économie (croissance nulle, dettes publiques en hausse et risque de déflation). Richard C. Koo, économiste en chef du Nomura Research Institute, au Japon, y voit les signes d’une récession de bilan.

Une récession de bilan survient après l’éclatement d’une bulle, lorsque les entreprises et les ménages sont aux prises avec une dette élevée et un actif déprécié. Cette situation crée un «traumatisme de l’endettement», et par conséquent, un désir urgent de se désendetter.

C’est la situation dans laquelle le Japon a été plongé au cours des années 1990, de même que les États-Unis après la crise de 2008 et l’Allemagne en 2005.

Plusieurs autres pays européens (l’Irlande, l’Espagne et l’Italie) seraient eux aussi touchés par une récession de bilan, selon Richard C. Koo, qui a publié en octobre The Escape from Balance Sheet Recession and the QE Trap: A Hazardous Road for the World Economy.

Pendant que les ménages et le secteur privé sont engagés dans un important mouvement de remboursement de leurs emprunts, les gouvernements devraient emprunter pour stimuler l’économie, affirme Richard C. Koo.

Entre deux maux…

Le problème est qu’une vague de désendettement peut durer longtemps. Après 15 ans d’un tel processus, la dette publique du Japon a explosé, au point où elle équivaut au double du produit intérieur brut du pays.

Joint au Japon, Richard C. Koo n’en démord toutefois pas. La stimulation directe de l’économie par un État dépensier est la seule solution au problème singulier d’une récession de bilan, selon lui.

N’est-il pas un peu inquiet de l’endettement de son pays ?

«Même si je m’inquiétais, que puis-je y faire ?» laisse-t-il tomber. «Un pays peut être atteint de deux maladies en même temps», diagnostique-t-il. Selon lui, il est nettement plus urgent de soigner l’une des deux maladies.

Le fait que Richard C. Koo s’en remette exclusivement à la stimulation directe de l’économie par l’État en chicote plusieurs. Paul Krugman, prix Nobel d’économie en 2008, écrivait en début d’année que l’économiste japonais était en «djihad» contre toute forme politique monétaire accommodante qui vise à soutenir la reprise.

Richard C. Koo rétorque que la politique monétaire – qui joue essentiellement sur les taux d’intérêt – a très peu d’effet dans une récession de bilan.

«Quand je travaillais à la Réserve fédérale (Fed) [à la banque régionale de New York] il y a 35 ans, la politique monétaire était efficace. Mais dans une récession de bilan, qui se produit une fois par quelques décennies, la politique monétaire est inefficace pour 90 % du problème», soutient-il.

«Si les gens n’empruntent pas, la politique monétaire n’a aucun effet. Autrement dit, la politique monétaire dépend de la politique économique», conclut-il.

«Complètement fou !»

Nicholas Rowe, professeur d’économie à l’Université Carleton et blogueur sur le site Worthwile Canadian Initiative, est un des critiques de l’économiste japonais.

«Richard C. Koo est-il un keynésien, ou plutôt un financier qui ne connaît rien à la macroéconomie ?» demandait-il en décembre 2013, au moment où l’économiste controversé s’opposait aux mesures d’assouplissement monétaire mises en place par la Banque du Japon.

Nicholas Rowe croit que le fait de s’en remettre seulement à l’endettement de l’État a peut-être déjà mené le Japon à sa perte, le transformant en une sorte de «zombie». «C’est tout simplement fou ! Ce sont de mauvais conseils», affirme-t-il en entrevue à Finance et Investissement.

Mesures nocives ?

Richard C. Koo juge que les mesures d’assouplissement quantitatif – c’est-à-dire l’achat d’obligations gouvernementales par la banque centrale – sont non seulement inefficaces, mais aussi nocives.

«L’assouplissement quantitatif, c’est bien à l’entrée. Ça ne cause aucun problème et le marché boursier est très heureux. Le problème est à la sortie», explique-t-il.

Il s’inquiète particulièrement de savoir si la Banque du Japon (ou la Fed) réussira à se départir de toutes ces obligations d’une manière ordonnée.

«J’espère me tromper, mais je prévois que la vente de ces obligations mènera à des taux d’intérêt moins stables et plus élevés que si rien n’avait été fait.»

Pour sa part, Nicholas Rowe n’entrevoit pas de problèmes à l’issue des mesures d’assouplissement quantitatif.

«En fait, le problème est plutôt que les investisseurs s’attendent justement à ce que la banque centrale y mette fin», suggère-t-il.

Pour avoir un effet plus important quant aux attentes des investisseurs en matière d’inflation, la banque centrale aurait eu intérêt, selon lui, à faire croire que l’assouplissement allait être permanent.