Dans la cause en question, Québec (Curateur public) c. A. N. (Succession de) (http://bit.ly/1L4zvzT), le juge Gérard Dugré de la Cour supérieure du Québec a débouté la requête de l’État québécois, qui voulait se faire rembourser des prestations de derniers recours versées à A. N., un prestataire atteint d’une maladie grave s’apparentant à l’autisme et qui était bénéficiaire du revenu dégagé par une fiducie testamentaire mise en place par sa mère.
L’État prétendait qu’A. N. devait, en vertu de la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles, réclamer annuellement 12 000 $ de la fiducie afin de subvenir à ses besoins de base, ce qui l’aurait rendu inadmissible aux prestations de dernier recours.
Le tribunal a statué que le libellé de la fiducie était clair, et que le pouvoir donné au fiduciaire (le gestionnaire de la fiducie) l’autorisait à verser à sa discrétion des sommes à A. N. pour combler des besoins particuliers en sus des besoins de base couverts par la Loi.
Le juge a expliqué qu’étant donné la discrétion accordée au fiduciaire, le capital de la fiducie était un patrimoine distinct qui était hors du contrôle du bénéficiaire. Une interprétation qui repose sur le concept de patrimoine d’affectation distinct que l’on retrouve au Code civil.
La tendance jurisprudentielle laissait entrevoir une telle avancée, note François Bernier, notaire et directeur, planification fiscale et successorale, chez Placements Mackenzie : «Un flou subsistait depuis plusieurs années. On avait accepté graduellement que le capital de la fiducie soit protégé et n’ouvre pas la porte à des réductions de l’aide versée. Le problème survenait lorsqu’on attribuait les revenus au bénéficiaire. Mais maintenant, on sait que les prestations de derniers recours sont à l’abri si l’acte constitutif de la fiducie est bien rédigé.»
Précaution dans la rédaction
Comme François Bernier le souligne, il faut apporter une attention particulière à la rédaction de la fiducie si l’on veut s’assurer que les prestations pécuniaires ou le soutien médical fournis à l’enfant qui souffre d’un handicap ne soient pas réduits.
«Une condition essentielle à respecter est la discrétion absolue accordée au fiduciaire. On ne peut pas dire par exemple que le fiduciaire doit verser une somme fixe à une date convenue d’avance. Dès que l’on donne au bénéficiaire un droit au revenu, la fiducie ne sera pas considérée comme discrétionnaire», prévient-il. Un avertissement que réitère Jean-François Thuot, associé, fiscalité, chez Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT).
Pour sa part, Robert Laniel, notaire, met l’accent sur la nécessité de spécifier dans l’acte constitutif que les versements combleront des besoins «particuliers» qui ne sont pas assumés par l’État. «On parle de besoins, par exemple, de colonies de vacances, de certains soins ou services d’accompagnement, d’activités sociales, de cadeaux de Noël, etc.», spécifie celui qui est aussi conseiller en planification successorale et testamentaire chez RBC Gestion de patrimoine.
Jean-François Thuot, de RCGT, montre du doigt un inconvénient majeur de la fiducie Henson. La fiducie doit accorder une discrétion au fiduciaire tant en matière de revenus que de capital. Ce qui peut poser un problème si le capital est substantiel.
Rappelons que le bénéficiaire de prestations de solidarité sociale voit ses prestations réduites graduellement s’il possède un actif d’une valeur supérieure à 130 000 $. «Il faut donc prévoir à qui le capital sera remis au décès de l’enfant handicapé. S’il y a d’autres enfants, on pourrait remettre le capital à ceux-ci. Toutefois, si le bénéficiaire est un enfant unique, on pourrait peut-être prévoir que le capital sera remis à une oeuvre caritative», soumet le fiscaliste. On peut convenir cependant que la dernière option peut déplaire à un légataire qui dispose d’un capital substantiel.
Robert Laniel, de son côté, minimise la portée de cet inconvénient. «Les montants accordés par l’État constituent vraiment une aide de derniers recours. On parle de sommes qui peuvent paraître dérisoires à un détenteur d’un capital qui s’élève à plusieurs millions de dollars», observe-t-il. Selon lui, la fiducie Henson est donc un outil qui correspond aux besoins de la classe moyenne.
Pertinence de la fiducie Henson
Soulignons que les fiducies Henson ne sont pas toujours des fiducies testamentaires. «Rien n’empêche d’établir une fiducie du vivant des parents, mais ça ne donnerait pas grand-chose, car ces derniers veulent habituellement garder le contrôle sur les décisions. Le seul cas où cela pourrait être utile est celui de parents qui craignent de devenir inaptes. Ils pourraient mettre sur pied une fiducie alors qu’ils sont encore aptes, pour protéger un enfant handicapé ou un enfant qui a des problèmes de jeu ou de toxicomanie», cite en exemple le fiscaliste François Bernier.
François Bernier rappelle que la fiducie Henson vient suppléer le régime enregistré d’épargne invalidité qui permet déjà d’investir jusqu’à 200 000 $ au profit d’un enfant handicapé.
Le fiscaliste Jean-François Thuot mentionne aussi que les questions monétaires ne représentent pas la seule motivation des parents. «Je ne suis pas un spécialiste des programmes sociaux, mais je crois comprendre que le maintien de plusieurs services et soins spécialisés fournis gratuitement ou à un coût avantageux par l’État est également en jeu», rappelle-t-il.
Prudence
Si les trois fiscalistes consultés par Finance et Investissement se réjouissent de l’avancée permise par ce jugement, ils mettent unanimement en garde contre un excès d’enthousiasme.
«Le dernier jugement ouvre la porte aux fiducies Henson, mais on ne peut pas dire encore que la jurisprudence soit très claire. Des zones d’ombre persistent encore, et il y a toujours la possibilité que des contestations surviennent», pondère Jean-François Thuot. Des propos que ne désapprouvent pas les autres fiscalistes interrogés.