Les institutions financières font évidemment des projections pour les futurs pensionnés. Toutefois, ces modèles utilisent habituellement un taux de décaissement annuel constant ajusté au coût de la vie.

En raison de taux d’intérêt historiquement bas et d’un marché des actions que plusieurs jugent coûteux, utiliser ce taux de décaissement n’est peut-être plus la meilleure stratégie à adopter.

C’est du moins ce qu’affirment des chercheurs tels que Moshe A. Milevsky, Michael Finke et David Blanchett.

Depuis quelques années, ils proposent des approches de décaissement plus dynamiques, où le taux initial de retrait est souvent bien inférieur à ce qu’il pourrait être vers la fin de la vie du retraité.

Taux de décaissement variable

«Plutôt que de dépenser le même montant tout le temps, le retraité voudra profiter des bons rendements de son portefeuille pour consommer davantage», explique David Blanchett, chef de la recherche sur la retraite chez Morningstar Investment Management à Chicago.

«De même, il acceptera de restreindre ses dépenses quand le marché chute, afin de ne pas survivre à son épargne», ajoute-t-il.

Dans un monde idéal, le conseiller connaîtrait les rendements futurs et la durée de la retraite du client, ce qui lui permettrait de déterminer les sommes à lui verser chaque année.

Puisque ces données sont inconnues, il tentera de les estimer en établissant un taux de décaissement efficient. Comment ? En comparant les revenus générés par une stratégie particulière et le montant qui aurait pu être obtenu si ces données avaient été connues.

Selon David Blanchett, il s’agit d’intégrer dans un modèle différents scénarios qui permettent de maximiser la richesse du client, tout en ayant une probabilité élevée de réaliser les objectifs de décaissement à la retraite.

Le conseiller fait donc varier le taux de décaissement et la répartition d’actif au sein du portefeuille en cherchant à atteindre un maximum d’efficience. Ces simulations comprennent plusieurs estimations comme l’inflation, les rendements espérés et les écarts-types pour les actions et les obligations.

Approche simplifiée

Malgré des résultats qui militent en faveur d’une démarche plus proactive, la complexité de ces calculs a empêché une percée réelle chez les conseillers jusqu’à maintenant, concède David Blanchett. Cela pourrait toutefois changer.

Le chercheur a publié dans le Journal of Financial Planning de septembre dernier une étude qui permet de simplifier ces stratégies dynamiques, notamment grâce au calcul du montant minimum requis (Required Minimum Distribution, ou RMD).

Cette approche vise à estimer la somme optimale à décaisser en évaluant uniquement la période de retraite.

Selon David Blanchett, un planificateur financier peut mettre en place une méthode plus dynamique de décaissement pour ses clients retraités. D’ailleurs, Morningstar est en train d’intégrer un tel modèle dans son logiciel de planification, précise-t-il.

Ne plus se fier au passé

La conseillère Hélène Gagné s’intéresse beaucoup à ces recherches, puisque la moitié de ses clients sont à la retraite.

«Les simulations de Monte-Carlo peuvent être utiles pour montrer aux clients, selon différentes hypothèses, dans quelle mesure leur portefeuille peut évoluer», dit la gestionnaire de portefeuille chez Gestion privée Peak.

Elle souligne cependant que les rendements historiques ne sont plus pertinents pour juger du rendement à venir, ce qui est une limite à l’utilisation de modèles.

«Le rendement espéré d’un portefeuille obligataire ou même équilibré ne pourra être le reflet de ce qui s’est passé depuis 30 ans, alors que les taux d’intérêt ont baissé constamment», ajoute-t-elle.

Protéger le client

Selon Denis Preston, planificateur financier, formateur et consultant en gestion du risque, ces approches dynamiques de décaissement ne tiennent pas compte des contraintes budgétaires des retraités.

«En pratique, si on propose aux clients de faire varier leurs revenus de retraite en fonction des rendements de marché, ils iront voir un autre conseiller. Personne ne voudra manger du baloney quand ça va mal et faire un voyage en Chine lorsque tout va bien», croit-il.

Ces méthodes proposent également de faire varier le poids des actions en portefeuille en fonction des rendements boursiers.

«Plus notre client vieillit, plus il aura une faible tolérance au risque. La pondération du portefeuille en actions risque donc de diminuer avec les années. On ne peut pas fixer un pourcentage d’actions à 60 % pour un retraité de 75 ou de 80 ans», affirme Denis Preston.

«Le client dormira mal et son conseiller risque d’avoir des problèmes de déontologie», ajoute-t-il.

Hélène Gagné est elle aussi réticente à l’idée de modifier la répartition de l’actif selon les rendements boursiers.

«Quand je décaisse des obligations, le portefeuille est naturellement surpondéré en actions et je devrai le rééquilibrer afin de respecter la tolérance au risque du client. On ne veut pas augmenter indûment la volatilité d’un portefeuille lorsqu’on est en mode décaissement», rappelle-t-elle.

Les clients d’Hélène Gagné sont souvent prêts à faire varier leurs dépenses de retraite quand c’est préférable. Tout dépend des projections et du plan qui a été mis en place.

«Je les appelle tous les ans pour discuter des décaissements de l’année à venir. Il m’arrive de leur suggérer de réduire leur taux de retrait, si le marché a très mal performé, par exemple», dit-elle.

«C’est mon rôle de le faire et de les guider afin de protéger la durée de vie de leur portefeuille», souligne la conseillère.

Habituellement, Hélène Gagné n’incite pas ses clients à dépenser quand le portefeuille a une bonne performance.

«Les surplus sont plus faciles à gérer que les manques à gagner. De plus, au cours de la retraite, certains événements peuvent survenir comme la maladie ou des marchés difficiles qui bouleverseront le portefeuille», illustre-t-elle.

Bien se préparer

Un client en mode décaissement au début de la retraite, alors que les marchés boursiers connaissent une séquence négative de rendements, pourra voir son bas de laine sérieusement amoindri, conviennent Hélène Gagné et Denis Preston.

Toutefois, si on se prépare adéquatement, on traversera une période difficile sans trop en souffrir, ajoutent-ils.

«En mode décaissement, on doit viser à apparier les revenus et les dépenses du client», souligne Denis Preston.

«Afin de stabiliser les revenus à la retraite, les clients devraient avoir entre 30 % et 40 % de leurs entrées d’argent sous forme de rentes», ajoute-t-il.

«De plus, à cinq ans de la retraite, il est important que le client commence à sécuriser annuellement les flux monétaires qui seront décaissés pendant les cinq années qui suivront son retrait de la vie active», dit-il.

Une approche sécuritaire

Le planificateur financier suggère de créer deux portefeuilles, l’un à court terme, et l’autre à plus longue échéance.

Dans le portefeuille à court terme, on voudra détenir des titres liquides et peu risqués, comme des obligations gouvernementales qui auront des échéances de cinq ans.

Certains appellent cette stratégie la roue obligataire. À l’an un de la retraite, la première échéance expirera pour combler le manque à gagner du retraité. Et ainsi de suite. On devra bien sûr renouveler ces placements de cinq ans lorsqu’ils sont échus en pigeant dans le compte à long terme.

Hélène Gagné propose une stratégie semblable. Entre trois et cinq ans avant la retraite, elle s’assure d’avoir dans le portefeuille une partie de placements à revenu fixe qui peuvent assurer trois à quatre ans de décaissement.

Il pourrait s’agir de produits obligataires de courte durée. Elle choisira des émetteurs de qualité. Compte tenu des taux d’intérêt très bas, Hélène Gagné conseille de ne pas étirer la période de protection au-delà de quatre ans.

Ces approches offrent une protection aux retraités si les marchés connaissent un épisode semblable à celui de 2008-2009. En effet, les retraités auront suffisamment de flexibilité pour ne pas avoir à vendre des actions à perte à cause d’un manque à gagner, disent Hélène Gagné et Denis Preston.

«C’est comme si l’on détenait une option de vente sur des crises majeures», souligne ce dernier.