Bien qu’il soit utile, ce genre d’analyse devrait passer en second lieu, croit Moshe A. Milevsky.
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Estimer la longévité
Comment estimer le nombre d’années que durera le pécule de vos clients ? Voici l’équation proposée par Moshe A. Milevsky.
Où w = le taux de décaissement mesuré en montant réel annuel, M = le montant accumulé à ce jour et g = la croissance réelle nette des actifs. Le terme ln (logarithme naturel) se trouve sur la plupart des calculatrices et permet de faciliter les calculs comprenant de nombreuses opérations. Il faut noter que cette équation fonctionne seulement si on dépense plus que le montant gagné.
Moshe A. Milevsky cite l’exemple d’un client qui a accumulé 750 000 $ et qui souhaite retirer 65 000 $ par an (en dollars constants) jusqu’à son décès. Le taux de retrait (w/M) est donc de 8,6 %. Si on estime que le portefeuille pourra générer un rendement réel net de 2,5 % en moyenne, la longévité estimée du portefeuille sera de 13,6 ans.
Est-ce bon ou mauvais ? C’est là où la conversation avec le client prend tout son sens.
Si votre client estime qu’il pourrait vivre encore une bonne vingtaine d’années (espérance de vie), le décalage est alors évident et il faudra prendre des mesures.
Cette équation permet au conseiller de faire prendre conscience à son client qu’il dépense trop, qu’il prend sa retraite trop hâtivement ou qu’il n’a pas assez épargné, par exemple.
Dans la pratique
Daniel Laverdière, directeur principal, planification financière et services-conseils, de Banque Nationale Gestion privée 1859, a décortiqué cette équation pour Finance et Investissement. Il a comparé l’estimation de Moshe A. Milevsky avec le calcul exact (voir le tableau).
«Il émet une hypothèse qui permet de simplifier les calculs et l’impact sur les résultats est mineur. Cette formule est donc un bon estimé de la longévité d’un portefeuille», indique Daniel Laverdière.
Malgré la simplicité mathématique de l’équation, plusieurs variables restent inconnues, comme le rendement réel net des actifs (g). L’espérance de vie en est une autre et on doit la comparer au résultat obtenu.
«N’oublions pas que l’espérance de vie est une moyenne, souligne Daniel Laverdière. Si je planifie en fonction de cette moyenne, quand j’arriverai à cet âge, soit environ 85 ans, la moitié de mes clients seront encore en vie. On voudra donc prévoir une probabilité de survie dite raisonnable.»
Il suffit de consulter les tables de mortalité qui varieront selon l’âge du client, son sexe et le fait qu’il soit fumeur ou non. L’Institut québécois de planification financière (IQPF) publie une mise à jour régulière de ces tables (http://bit.ly/2cmRhXU).
«La notion de probabilité de survie n’est pas si compliquée à expliquer aux clients», affirme Nathalie Bachand, planificatrice financière et présidente de Question Retraite.
Selon l’âge de la personne, on lui présentera un tableau qui lui montre qu’en vieillissant, les possibilités qu’elle vive de nombreuses années diminueront. On expliquera à un homme de 60 ans qu’il a 50 % de chances (probabilité de survie) de se rendre à 89 ans, par exemple.
«Le planificateur financier suggérera à son client d’envisager un âge pour l’épuisement de son actif où la probabilité de survie n’excède pas 25 %, car on juge que 50 % de probabilité de survie ou une chance sur deux d’être encore vivant et de manquer d’argent, c’est trop risqué. Le décaissement du capital sera ainsi étalé jusqu’à 91 ans plutôt que jusqu’à 85 ans. Le client verra sur papier son épargne diminuer au fil des ans jusqu’à l’âge où il ne lui reste plus rien», explique Nathalie Bachand.
Le professionnel propose donc un scénario qui fonctionne. Ensuite, ce sera au client de prendre la décision.
«Ce sont bien sûr des projections, et plusieurs variables sont estimées. On tente de lire l’avenir et rien n’est statique. Mais on n’a pas besoin de montrer des graphiques avec des courbes en forme de cloche pour se faire comprendre», précise-t-elle.
Des estimations prudentes
Quant à l’estimation du rendement réel net du portefeuille, le fameux g dans l’équation de Moshe A. Milevsky, elle aura aussi une grande incidence sur le résultat de l’équation. «Cette variable doit être au centre des conversations avec le client», souligne d’ailleurs le chercheur.
«Il suffit que le rendement estimé dévie d’un demi-point de pourcentage pour que les résultats changent de quelques années. On voudra donc estimer pendant combien de temps le capital pourra s’étirer en testant différents scénarios», remarque Daniel Laverdière.
Par ailleurs, «il faut cesser de se fier à des taux de rendement historiques», affirme Hélène Gagné, gestionnaire de portefeuille chez Gestion privée Peak.
«Les taux obligataires baissent depuis 35 ans. On ne peut donc plus compter sur les gains en capitaux du passé pour améliorer la performance du portefeuille de retraite», dit-elle.
«Et lorsqu’on planifie la retraite, ce n’est pas le moment de présenter des scénarios trop optimistes, prévient Hélène Gagné. Pour un profil équilibré, composé à parts égales d’actions et d’obligations, si on prévoit un rendement de 4 % net de frais, en tenant compte d’une inflation de 2,5 à 2 %, on obtiendra un rendement réel net d’environ 1,5 % ou 2 %.
«Si on obtient un meilleur rendement, tant mieux, il sera alors temps d’actualiser le scénario pour en tenir compte», ajoute-t-elle.
Le client doit aussi comprendre que si le scénario le plus probable ne fonctionne pas, il n’y a pas des centaines de solutions : soit il travaille plus longtemps ou à temps partiel après 65 ans, soit il dépense moins. «On ne peut pas tabler uniquement sur les rendements», rappelle Nathalie Bachand.
Un scénario qui évolue
Daniel Laverdière rappelle l’importance de revoir la projection de retraite du client régulièrement, chaque année ou tous les deux ans.
«On pourra alors s’adapter. Le client pourra éventuellement dépenser plus ou, au contraire, il devra se serrer la ceinture à la suite, par exemple, d’une séquence de mauvais rendements, ou si l’inflation est plus importante que prévu», explique Daniel Laverdière.
Comme l’épuisement du capital est fonction de la cadence des retraits (w/M), du rendement réel généré (g) et de l’espérance de vie, «on doit s’attarder aux variables que l’on contrôle, soit sur les montants retirés à la retraite», rappelle Daniel Laverdière. Une cadence de retraits élevée, soit 6 % ou plus, risque d’être difficile à soutenir, à moins d’être très âgé ou d’avoir un rendement très élevé.»
Enfin, Moshe A. Milevsky reconnaît lui-même que son équation n’est pas parfaite. Elle laisse de côté des concepts plus complexes, comme celui des annuités variables et elle utilise des rendements fixes et constants, ce qui est peu réaliste. Mais cette estimation est un bon moyen, croit-il, d’expliquer le concept de longévité du portefeuille à une clientèle qui est peu familiarisée avec cette notion.
Ensuite, on peut pousser plus loin la conversation en parlant du côté aléatoire des résultats en raison de variables qui le sont également. On peut alors préciser qu’il existe des distributions de résultats pour la longévité de leur portefeuille. Alors que le temps passe, le niveau de dépenses et les besoins financiers de chaque client varieront également.
«Cette équation est un premier pas intéressant, mais on ne s’en sort pas. Il faudra à un moment ou à un autre parler de probabilité de survie avec le client», croit Daniel Laverdière.