Certains diront que des taux encore modérés enflent une nouvelle bulle boursière qui ne peut qu’éclater, mais c’est un raccourci qui reflète bien peu la dynamique boursière actuelle.
Les transactions milliardaires, telles que celles de Disney-Fox, Comcast-Sky, Michael Koors-Versace, sont certes plus nombreuses à la fin d’un long cycle de croissance économique et boursière.
Quelque 3100 milliards de dollars américains de transactions ont été annoncés à ce jour en 2018, un total qui frôle le sommet de 2007, selon Dealogic.
Mais sans récession imminente ni surchauffe apparente, l’élan naturel de la Bourse pointe encore vers le haut.
Comme l’a déclaré président de la Réserve fédérale cette semaine, il n’y pas de raison de croire que la croissance économique ne puisse pas se prolonger encore deux bonnes années, bien que Jerome Powell surveille l’impact des tarifs douaniers et le rapprochement entre les taux à court et à long terme.
La santé financière des ménages, lorsque l’on compare leurs dettes à leurs revenus ou leurs avoirs, est aux antipodes des excès qui prévalaient en 2007, a-t-il aussi dit.
Malgré le bond de 1,38% à 2,82% des taux phares de deux ans depuis un an et l’ascension de 192% du cours du pétrole Brent depuis 2016, la consommation qui carbure 68% de l’économie américaine se porte bien.
Les plus récentes données concernant la consommation américaine montrent que les dépenses et le revenu des ménages augmentent modérément tandis que l’indice d’inflation préféré de la Fed reste dans la fourchette souhaitée depuis quatre mois.
Forts mouvements derrière les indices
La résilience des indices américains, qui cumulent un cinquième mois de gains consécutifs, cache pourtant de forts mouvements en coulisse, qui trahissent aussi un marché en fin de parcours.
Le secteur chouchou de la technologie est moins effervescent qu’avant. Depuis trois mois, la santé, les télécommunications et les services aux collectivités ont surpassé la performance du secteur le plus populaire.
Twitter (TWTR,28,46$US) est en lice pour être le pire titre du S&P 500 au troisième trimestre, avec un recul de 36%. Facebook (FB,164,46$ US) a laissé tomber 24% depuis le 25 juillet, en devenant la figure de proue de tout ce que les internautes aiment le moins des médias sociaux.
Le déplacement des investisseurs d’un secteur et d’un titre à l’autre est aussi un phénomène typique de fin de cycle qui garde les indices dans leur trajectoire haussière, bien que les rendements deviennent moins généreux.
Le fait que les titres évoluent de moins en moins en tandem est aussi une conjoncture plus saine pour les gestionnaires actifs qui peuvent mieux miser sur les gagnants et les perdants.
Autre mythe débouté: bien que les gains d’Amazon (AMZN,2003$US) et d’Apple (AAPL, 225,74$US) ont donné au S&P le quart de ses gains de 9%, l’appréciation de 6% du S&P 400 (titres à moyenne capitalisation) et de 13% du S&P 600 (titres à faible capitalisation) montre que les gains sont bien distribués et surtout moins concentrés qu’on le pense.
Les sommets masquent en effet des performances très divergentes.
Environ 80 titres du S&P 500 ont baissé de plus de 20 % de leur sommet annuel, rapporte le Wall Street Journal.
Parmi eux, l’on retrouve Harley Davidson (HOG, 45,30$US), Cummins (CMI, 146,07$US), Ford Motor (F, 9,25$US), Applied Materials (AMAT, 38,65$US) et General Mills (GIS, 42,92$US).
C’est signe que les investisseurs départagent les perspectives et les mérites individuels des entreprises.
Moins de mouvements de foule sont rassurants pour la Bourse, car sans boum, le spectre d’un krach diminue.
Deux nuages: les tarifs et la Fed
Qu’est-ce qui pourrait faire dérailler ce portrait favorable?
Les conflits commerciaux ou le protectionnisme figurent en tête des préoccupations des gestionnaires sondés par Bank of America Merrill et Reuters, ce mois-ci.
Si l’impact sur l’économie mondiale et les flux commerciaux s’annoncent modestes pour l’instant, les financiers craignent que la hausse des coûts menace le principal moteur boursier: les profits et les marges record des entreprises.
Autre souci. Si l’économie continue à bien faire, la Fed pourrait hausser son taux directeur plus que les investisseurs ne l’escomptent.
Les investisseurs ont accepté l’idée de trois autres hausses de taux d’ici la fin de 2019, mais la majorité des gouverneurs de la Fed misent plutôt sur au moins trois hausses l’an prochain et une quatrième au début de 2020.
Les marchés à terme accordent une probabilité de seulement 5% au scénario de quatre tours de vis l’an prochain.
Le taux directeur serait alors de 3,4%, par rapport au niveau actuel de 2,25%.
À ce seuil, le rendement des titres monétaires sans risques commencerait à avoir plu belle allure par rapport aux actions.
Une remontée des taux augmente aussi le rendement du coupon d’intérêt des nouvelles obligations émises.
Ces deux classes d’actifs feraient alors un peu plus concurrence à la Bourse.
Pour l’instant l’écart est nettement à l’avantage du S&P 500 actions dont les bénéfices procurent un rendement de 6%.
Les récessions: un bon rappel
«Les clients que nous avons rencontrés au Canada, aux États-Unis et en Europe récemment sont des optimistes nerveux. Un repli est fort probable cet automne, mais les cours devraient rebondir ensuite parce que les profits seront au rendez-vous jusqu’à que les premiers signes précurseurs de récession n’émergent » a écrit Tony Dwyer, de Canaccord Genuity, sans son plus récent bulletin.
«Les récessions n’arrivent par enchantement. Elles surviennent lorsque les conditions de crédit se contractent, minant d’abord la confiance et ensuite réduisant l’activité économique», explique le stratège.
« Le processus vers une récession prend beaucoup plus de temps qu’on ne l’imagine »
Une récession survient 31 mois en moyenne après l’inversion de la courbe des taux et environ 41 mois après la pointe d’optimisme des PME et 31 mois après les sommets des sondages manufacturiers ISM, rappelle-t-il.
Si le taux repère de la Fed atteignait 3,25% tard en 2019, la courbe pourrait donc s’inverser l’an prochain, dans l’hypothèse que les taux de 10 ans ne dépassent 3,25% en raison du jeu de comparaison avec les taux allemands et japonais.
Un indicateur composé du stress des conditions de crédit est encore confortablement en dessous du niveau qui a précédé les récessions précédentes, note le stratège.
Espérons que l’optimisme inébranlable de M. Dwyer s’avérera juste.