Cette dernière supervise le projet sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS). Il rassemble plus de 100 pays et juridictions, dont le Canada, pour lutter contre les paradis fiscaux et créer une fiscalité mondiale plus équitable.
La Caisse de dépôt a publié en août sa politique Fiscalité internationale sur son site web, soit bien avant la publication des Paradise Papers. Ce document de la Caisse est une réponse à ceux et celles qui critiquent sa présence dans les paradis fiscaux. La valeur de ses investissements enregistrés dans ces juridictions avoisine les 26 milliards de dollars canadiens, soit moins de 10 % de ses actifs totaux, selon la Caisse. Celle-ci se retrouve aujourd’hui dans les paradis fiscaux, car elle investit de plus en plus à l’étranger.
La Caisse ne se fixe toutefois pas d’échéancier pour réduire cette proportion, même si elle dit être consciente, dans sa politique, «que les différents régimes fiscaux en vigueur dans le monde permettent encore à certains contribuables et à certaines multinationales de réduire indûment les impôts qu’ils devraient payer».
Récemment, la Commission des finances publiques a recommandé que le gouvernement demande à la Caisse de «réduire progressivement ses investissements dans les entreprises qui font de l’évitement fiscal abusif ou de l’évasion fiscale».
En entretien à Les Affaires, la première vice-présidente et chef de direction financière de la Caisse, Maarika Paul, affirme qu’il est irréaliste d’espérer que l’institution se retire rapidement des paradis fiscaux, car elle pourrait se priver d’occasions d’investissement et affaiblir aussi sa stratégie de diversification et de gestion des risques.
«On ne peut pas être tout seul un leader. Nous devons aussi regarder tout cela à long terme, parce que nous sommes un investisseur à long terme», dit-elle, tout en précisant que la Caisse n’a aucun intérêt fiscal à être dans les paradis fiscaux puisqu’elle ne paie pas d’impôt au Canada.
La taille des actifs sous gestion de la Caisse est aussi un enjeu. Le navire amiral de la finance québécoise est un gros navire qui ne peut pas changer de cap rapidement. Au 31 décembre 2016, les actifs totalisaient 270,7 G$, dont 179 étaient exposés aux marchés mondiaux.
Malgré tout, l’institution veut contribuer à changer la donne. «Notre politique est alignée avec la réalité, précise-t-elle. Elle tient compte de cette volonté de changer les façons de faire. On exerce de l’influence à l’interne, mais aussi auprès de nos partenaires. Graduellement, je pense que les choses vont changer.»
Signe de cette influence, la Caisse a par exemple convaincu trois de ses partenaires enregistrés dans des paradis fiscaux de s’enregistrer au Canada et aux États-Unis. Ils étaient auparavant situés au Luxembourg et aux îles Caïmans.
Les spécialistes demeurent sur leur faim
Joint par Les Affaires, trois spécialistes en fiscalité internationale ont salué la politique de la Caisse, en affirmant qu’elle faisait preuve de leadership et de transparence. Cela serait d’ailleurs une première au Canada. En revanche, ils croient que l’institution aurait pu en faire davantage.
Marc Y. Tassé, de l’Université d’Ottawa, affirme que la Caisse fait souvent référence à l’évasion fiscale, «mais aucunement à l’évitement fiscal qui, malheureusement, est très présent dans les paradis fiscaux».
Lyne Latulippe, de l’Université de Sherbrooke, estime que la Caisse est «très timide» en ce qui a trait à ses investissements dans des entreprises enregistrées dans les paradis fiscaux. Selon elle, l’institution ne devrait plus investir dans ces sociétés.
Ivan Tchotourian, de l’Université Laval, croit que la Caisse doit dépasser la stricte conformité aux lois – elle le souligne dans sa politique – et raisonner davantage en fonction de «l’esprit» de la loi.
Les Paradise Papers – une fuite de millions de documents confidentiels – a permis de révéler que l’opinion publique est de plus en plus intolérante à l’égard de ces paradis fiscaux, même ceux dont les pratiques respectent la loi, mais qui néanmoins soulèvent des questions morales.
Mme Paul est consciente du consensus moral qui se dessine, mais se dit convaincue que la Caisse est en phase avec celui-ci. «Je pense que notre énoncé est bien aligné avec tout ce qui se passe ces jours-ci, indique-t-elle, justement pour dire qu’on avance, qu’on influence, qu’on change la façon de faire.»