La première chose à noter concernant les évaluations de la personnalité des clients par les sociétés de gestion de patrimoine est qu’il ne s’agit pas de tests. On peut demander aux clients la durée de vie moyenne d’un animal ressemblant à un oiseau de la période du Jurassique supérieur. On peut leur demander d’évaluer leur vocabulaire ou la profondeur des émotions qu’ils ressentent chez les autres. Les mêmes questions peuvent leur être posées deux fois, de manière légèrement différente, afin de mettre en évidence des préférences et des incohérences subtiles.
Mais il s’agit d’évaluations, pas de tests. Il n’y a pas de mauvaises réponses (pour la plupart).
Lisa Brenneman, responsable de la finance comportementale chez Patrimoine TD, explique que le mot « test » évoque les notes et le stress. L’évaluation de la personnalité de Patrimoine TD, qu’elle a contribué à développer, identifie les points faibles des clients pour aider les conseillers à adapter leurs conseils.
« Il n’y a rien de mal à la personnalité de quiconque, affirme Lisa Brenneman. C’est ce que vous êtes. C’est pourquoi nous utilisons le mot « évaluation ». »
La TD est l’une des nombreuses entreprises qui se lancent dans le jeu de la personnalité. À mesure que les conseils financiers s’éloignent de la sélection des actions et de la perception des commissions sur les fonds communs de placement, les entreprises se tournent vers la finance comportementale pour se différencier de leurs concurrents.
« Les clients ne recherchent pas seulement la gestion des placements, assure Lisa Brenneman. Ils cherchent quelqu’un qui les connaît profondément et qui va les aider à atteindre leurs objectifs de la meilleure façon possible. »
Patrimoine TD a déployé des évaluations de la personnalité dans son segment des clients fortunés en 2017, mais les utilise maintenant dans tout le canal de conseil. Lisa Brenneman lie cette stratégie à une hausse des recommandations.
Frank Danielson, planificateur financier principal du Danielson Group Wealth Management chez Assante Capital Management à Vancouver, utilise les évaluations de personnalité depuis deux décennies.
« Le secteur est de plus en plus concurrentiel, et les relations et la compréhension des clients sont d’une importance capitale, maintient-il. Les conseillers qui n’accompagnent pas leurs clients comme des coachs dans la vie vont avoir du mal à apporter une valeur ajoutée. »
Mais dans quelle mesure les clients sont-ils à l’aise avec ces « évaluations », et comment devez-vous les utiliser ?
Les cinq grands et au-delà
Les tentatives d’évaluation de la personnalité remontent à des millénaires. Hippocrate a été le pionnier des types de personnalité dans la Grèce antique avec ses quatre tempéraments basés sur les fluides corporels :
- sanguin,
- colérique,
- mélancolique
- et flegmatique.
Le modèle de personnalité à cinq facteurs, également connu sous le nom de « big five », a été développé dans les années 1980 et 1990. Il est basé sur l’hypothèse lexicale, qui prend les milliers d’adjectifs utilisés pour décrire les gens et les regroupe par analyse factorielle.
Les cinq grands traits, communément représentés par l’acronyme OCEAN (ouverture à l’expérience, conscience, extraversion, agréabilité et névrose), sont considérés comme stables tout au long de la vie d’une personne. Si vous étiez un enfant extraverti, vous êtes probablement un adulte extraverti. Les cinq grands ont été utilisés pour prédire la religiosité, l’éthique du travail, le bonheur et la réussite scolaire d’une personne. Ce n’était qu’une question de temps avant que la finance ne s’y intéresse.
Des études récentes ont utilisé ces caractéristiques pour prédire la probabilité de devenir millionnaire et pour anticiper les taux de retrait à la retraite. L’intérêt des sociétés de gestion de patrimoine tourne principalement autour des profils de risque et de l’engagement des clients.
Le langage est toujours au cœur des évaluations. La TD utilise l’évaluation standard des cinq grands – 50 énoncés sur lesquels les répondants sont d’accord ou non – mais adapte les résultats au contexte financier. Cela implique de modifier la terminologie.
Lors de la présentation des résultats aux clients, le « névrosisme » devient un spectre allant de « calme sous pression » à « rapide à réagir ». L’« agréabilité » est une échelle allant de « interrogatif » à « accommodant ». Ainsi, les conseillers n’ont pas à dire aux clients qu’ils sont désagréables.
« C’est une chose vraiment horrible à dire », soutient Lisa Brenneman.
Que pouvez-vous donc gagner en apprenant qu’un client a une personnalité réactive ?
Selon Lisa Brenneman, cette information est utile en cas de forte baisse du marché ou de toute autre situation financière stressante (un client qui va avoir un bébé, par exemple, ou qui est en instance de divorce). Ceux qui obtiennent un score plus élevé sur l’échelle de réactivité sont susceptibles d’avoir besoin de plus de soutien et devraient être en tête de la liste des appels du conseiller. « Personne ne veut entendre parler d’un client qui râle, qui est bouleversé et qui n’a pas de nouvelles de son conseiller », dit-elle.
En revanche, ceux qui obtiennent un score élevé en matière de conscience (sur une échelle allant de « dans le moment présent » à « autodiscipliné ») peuvent avoir besoin de moins de soutien. « Un haut niveau de conscience est très lié à la planification basée sur les objectifs, qui permet de tenir le coup en cas de baisse du marché », explique Lisa Brenneman.
Les clients consciencieux sont plus susceptibles d’apprécier le processus de planification financière. Ce sont ceux qui prennent des notes, qui dressent des listes de choses à faire et qui sont impatients de verser des contributions mensuelles à leur portefeuille. Les clients qui obtiennent un score plus faible auront besoin d’être davantage incités à élaborer leurs plans : des graphiques sur les intérêts composés et d’autres supports visuels démontrant les risques liés à la non-réalisation des objectifs financiers peuvent être nécessaires, prévient Lisa Brenneman. « Ils ont besoin plus que quiconque de ce plan axé sur les objectifs ».
Un client ayant un faible score d’extraversion (plus « réfléchi » que « spontané », selon les termes de la TD) peut avoir besoin de plus de temps pour prendre des décisions financières. Un conseiller doit être prêt à lui fournir des recherches supplémentaires et à planifier une réunion de suivi, cite-t-elle en exemple. Et un client plus ouvert (plus « innovateur » que « conventionnel ») peut être plus intéressé par les réunions virtuelles ou les produits ESG.
Enfin, le degré d’agréabilité d’un client peut aider un conseiller à interpréter des indices. Un hochement de tête d’une personne agréable peut ne pas signifier la même chose que celui d’une personne plus à l’aise pour poser des questions. « Vous ne savez pas s’ils sont d’accord juste pour mettre un terme à la conversation ou s’ils sont vraiment d’accord », avertit Lisa Brenneman. Comprendre la différence est « incroyablement utile ».
La TD a choisi l’évaluation standard des « cinq grands » parce qu’elle a bénéficié de décennies de recherche et parce qu’elle est dans le domaine public – un client pourrait faire la même évaluation gratuitement en ligne. Cela rend le processus transparent, explique Lisa Brenneman. « Nous ne voulons pas que les clients se demandent ce qui se passe en arrière-plan. »
Les clients effectuent l’évaluation en présence du conseiller. Ainsi, ils peuvent poser des questions et ne sont pas laissés dans l’expectative : « Pourquoi une société de services financiers voudrait-elle savoir cela ? »
La pensée comportementale
Pourquoi une société de services financiers voudrait-elle savoir combien de temps vous pensez qu’un oiseau préhistorique a vécu ? Ou si vous préférez recevoir 160 $ aujourd’hui ou 246 $ dans 12 mois ? Ce sont deux des questions posées dans l’évaluation de Syntoniq, basée à Seattle, qui est utilisée au Canada par la fintech Pascal WealthTech.
« Nous essayons de comprendre comment les gens pensent de manière comportementale lorsqu’ils prennent des décisions », explique Brian Pasalich, PDG de Syntoniq.
Alors que la TD s’en tient à l’évaluation des cinq grands, tout en personnalisant le rapport pour les clients, mais pas le questionnaire, d’autres entreprises se sont inspirées du test de personnalité standard pour essayer de cerner des caractéristiques plus spécifiquement liées au comportement financier.
Pour Syntoniq, cela signifie évaluer les clients sur une poignée de traits comportementaux : confiance excessive, représentativité, ancrage, aversion aux pertes et autres.
Par exemple, on demande à un client si un oiseau de la fin du Jurassique vit plus ou moins longtemps que 104 ans. Lorsque, dans une question complémentaire, on demande au client ce qu’il pense de la durée de vie réelle de l’oiseau, une personne plus sensible à l’ancrage (fixation sur la première information reçue) peut donner une réponse proche de 104 ans.
Selon Syntoniq, cela est important, car un client qui a peu d’ancrage peut être plus ouvert d’esprit et plus réceptif aux nouvelles informations. Il peut être plus à l’aise pour changer d’avis. Il peut aussi passer trop de temps à faire des recherches et réfléchir longtemps pour prendre des décisions simples.
Selon Brian Pasalich, la connaissance de ce type de comportement financier est plus précieuse pour un conseiller que le regroupement des clients dans les cinq grandes catégories.
« Si je comprends que quelqu’un a une forte aversion aux pertes, j’ai une conversation différente. C’est l’engagement basé sur le comportement », affirme-t-il.
Greg Davies, responsable de la finance comportementale chez Oxford Risk, basé à Londres, au Royaume-Uni, a déclaré que si les cinq grands traits de personnalité sont stables et bien étudiés, ils sont également vastes. « Dans toutes sortes de décisions financières, l’introversion/extroversion n’a en fait pas beaucoup d’importance », rapporte-t-il.
« Il serait plausible de penser que les personnes plus extraverties pourraient être des investisseurs plus confiants. Nous n’avons pas vu ces corrélations. »
Oxford utilise désormais jusqu’à 18 « échelles » différentes, au lieu de cinq. L’évaluation est similaire à celle d’OCEAN, avec une série d’affirmations simples avec lesquelles les répondants sont d’accord ou non à des degrés divers. Et l’objectif est sensiblement le même : des communications hyper-personnalisées.
« Certaines de ces échelles sont pertinentes pour savoir quel est le bon niveau de risque que vous devriez prendre. Mais un nombre bien plus important d’entre elles sont pertinentes pour la question suivante : « Comment dois-je communiquer avec cette personne au cours du cycle d’investissement? » a ajouté Greg Davies. Lorsque les marchés chutent, à quels clients les conseillers doivent-ils consacrer leur précieux temps en priorité, et avec quels messages ? C’est ce qui peut vraiment commencer à rendre les conseillers plus puissants. »
Frank Danielson, d’Assante, utilise un outil appelé ADN financier pour classer les clients dans l’un des dix « styles de comportement naturel ». Ces styles se situent dans un quadrant allant de « rythme rapide » à « avance prudemment » et de « axé sur les résultats » à « axé sur les relations ».
« Nous voulons vous soutenir d’une manière qui soit plus naturelle, en fonction de qui vous êtes », mentionne Frank Danielson. Si un client est un « stratège », Frank Danielson ouvre une réunion en demandant les trois principales choses qu’il espère réaliser. « Si vous ne posez pas cette question, il ne vous écoutera même pas avant d’en venir à ses affaires. Ils veulent se jeter à l’eau. Vous devez d’abord répondre à tous leurs besoins pour pouvoir les faire participer à ce que vous voulez faire. »
« Un « penseur réfléchi » peut être impatient de discuter d’un budget, mais un « bâtisseur de communauté » devrait plutôt avoir un « plan de dépenses ». Pour un « bâtisseur de communauté » ou un « engagé », un budget serait un affront à sa vie personnelle », assure Frank Danielson.
Comme celle d’Oxford, l’évaluation de l’ADN financier s’appuie sur le test OCEAN. Plutôt que d’être d’accord ou non avec un énoncé de personnalité, les personnes interrogées reçoivent les énoncés par groupes de trois et sont invitées à classer ceux qui sont les plus et les moins vrais. L’algorithme du test s’adapte aux réponses ; les affirmations sont regroupées de manière dynamique pour faire ressortir les préférences subtiles. Cette opération est répétée 46 fois. Dans certains cas, les trois options de cette évaluation « à choix forcé » peuvent être vraies (ou fausses), mais le répondant doit quand même les classer.
Le résultat est un document récapitulatif qui met en évidence les deux « facteurs comportementaux » les plus forts d’un client (réservé et patient, par exemple) ainsi que les biais comportementaux que pourraient présenter ces facteurs (par exemple, la comptabilité mentale et le biais du statu quo).
L’évaluation Syntoniq – celle avec l’oiseau préhistorique – commence par ces questions inhabituelles visant à évaluer le « style de pensée » du client. Viennent ensuite des questions comportementales (la question « de l’argent aujourd’hui contre un peu plus d’argent plus tard » décrite précédemment), puis des questions visant à évaluer les connaissances financières et enfin le risque. Selon Brian Pasalich, l’évaluation est organisée de cette façon parce que les clients qui viennent voir leur conseiller sont prêts à répondre d’une certaine manière. Le fait de commencer par des questions peu orthodoxes permet aux clients d’être plus ouverts lorsqu’ils en viennent aux questions sur les connaissances financières et les risques, ajoute-t-il.
Néanmoins, tout le monde s’accorde à dire que la mise en contexte de l’évaluation est importante. Quelle que soit la plateforme utilisée, les conseillers doivent expliquer qu’il s’agit d’un outil permettant de comprendre le client et la manière dont il prend ses décisions. Demandez-leur s’ils sont à l’aise avec cela. Et faites-leur savoir qu’il n’y a pas de bon ou de mauvais profil.
Même une réaction négative à une évaluation peut avoir un résultat positif. Selon Lisa Brenneman, un client qui s’oppose à une caractérisation ouvre tout de même la relation avec le conseiller, ce qui permet d’entamer une discussion qu’il n’aurait pas eue autrement.
Au-delà de l’engagement
Si la compréhension de la personnalité d’un client peut aider les conseillers à adapter les communications, comment peut-elle aider à gérer les placements ?
À la TD, l’évaluation de la personnalité du patrimoine est l’un des cinq « modules » utilisés pour connaître les clients. La tolérance et la capacité à prendre des risques font partie d’évaluations distinctes pour le profil de connaissance du client (KYC), qui mène à la construction du portefeuille. « Il s’agit là d’un élément avec lequel il ne faut pas s’embêter », précise Lisa Brenneman à propos du processus KYC. La personnalité patrimoniale « ajoute la couleur et le contexte ».
Frank Danielson utilise l’évaluation de l’ADN financier comme l’une des quatre parties du processus KYC. Il y a aussi le score de risque standard pour la conformité, la discussion sur les objectifs et l’examen des actifs et des moyens.
Selon Frank Danielson, pour évaluer la tolérance au risque, le score standard de conformité est comparable à une radiographie, tandis que l’évaluation de la personnalité ressemble davantage à une IRM. Il est également important d’examiner l’interaction entre les deux. Un questionnaire KYC standard peut indiquer qu’un client peut supporter de grosses pertes, mais l’évaluation de la personnalité peut suggérer le contraire.
« C’est super important si vous construisez un portefeuille pour un client qui ne peut pas supporter l’expérience ou l’émotivité d’une perte, explique Frank Danielson. Ils disent qu’ils sont à haut risque, [mais] dès que les choses deviennent difficiles, ils vont s’en aller ».
L’évaluation Syntoniq, qui teste également les connaissances financières, va plus loin et produit une fourchette de score de risque pour la conformité. Les conseillers peuvent ensuite évaluer ce score par rapport à d’autres facteurs de l’évaluation, tels que l’aversion du client pour les pertes. Un client avec un score de risque élevé qui présente également une forte aversion aux pertes aura besoin d’un soutien supplémentaire en cas de baisse du marché, commente Brian Pasalich.
Les plateformes d’évaluation de la personnalité produisent toutes des rapports détaillés que les conseillers peuvent examiner avec leurs clients, mais cela n’est pas toujours nécessaire ou approprié. Syntoniq fournit un résumé d’une page, par exemple, dans son long rapport. Selon le type de personnalité du client, les détails peuvent ne pas l’intéresser.
Selon Frank Danielson, après avoir passé en revue les évaluations avec les clients, il est utile pour les conseillers d’examiner les rapports en privé avant de discuter des grandes décisions financières. Dans ces moments-là, les informations peuvent s’avérer cruciales pour le coaching, déclare-t-il.
« Nous essayons simplement de leur éviter de faire une grosse erreur, dit Frank Danielson. Si vous ne pensez pas à l’ADN [financier] d’un client dans ces décisions, vous ratez probablement le coche. »