Précisons que les firmes imposent deux types de limites supérieures à leurs fonds : le plafond flexible et le plafond rigide.
Dans le cas d’un plafond flexible (soft cap), seuls les investisseurs existants peuvent ajouter de l’argent frais. Certaines firmes peuvent instaurer une telle limite aux clients institutionnels tout en laissant plus de souplesse aux investisseurs particuliers.
Dans le cas d’un plafond rigide (hard cap), aucun nouveau montant n’est accepté. Plusieurs fonds fixeront d’abord un plafond flexible avant d’imposer un plafond rigide.
Éviter d’être trop dépendant
Chez Gestion Pembroke, une firme de gestion de patrimoine indépendante établie à Montréal, on ne sert plus de nouveaux clients institutionnels pour les stratégies canadiennes depuis 1990. Il s’agit toutefois d’un plafond flexible.
La société, qui pilote un actif d’environ 3 G$, se spécialise dans la gestion de titres de petite capitalisation.
«Depuis 2014, nous n’acceptons plus de clients institutionnels pour nos stratégies américaines», précise Nicolas Chevalier, associé et gestionnaire de portefeuille chez Gestion Pembroke.
Les clients de détail ne subissent pas ces contraintes puisqu’ils ont un effet moins important sur la fluctuation de l’actif sous gestion.
«Il faut comprendre que si je gère un actif de 1,5 G$ de petites capitalisations aux États-Unis et que je souhaite acheter un titre qui équivaut à 1 % de mon portefeuille, cela représente un investissement de 15 M$. Si l’entreprise convoitée a une capitalisation boursière de 300 M$, je dois acheter 5 % des actions», explique-t-il.
«Si je n’avais pas plafonné mon fonds et qu’il avait atteint 3 G$, j’aurais dû acheter 10 % de l’entreprise pour maintenir la pondération de 1 % de mon portefeuille», poursuit Nicolas Chevalier.
Habituellement, un gestionnaire ne souhaite pas détenir une participation aussi importante dans une seule société.
Maintenir de bons rendements
Pour sa part, Gestion de placements Mawer a décidé de fermer aux investisseurs institutionnels et aux particuliers sa stratégie de titres canadiens de petite capitalisation en 2005. Ces fonds avaient atteint le cap des 800 M$. L’entreprise voulait ainsi laisser aux investisseurs existants la possibilité d’ajouter de nouveaux montants.
«Nous étions prêts à laisser croître ces fonds jusqu’à 2 G$. Ce plafond flexible est devenu plus rigide en 2013. Les clients ne peuvent pratiquement plus ajouter d’argent. Nous voulions ainsi nous assurer de maintenir de bons rendements pour nos clients», explique Jean-Philippe Giguère, gestionnaire de portefeuille institutionnel chez Mawer.
Lorsque l’un des fonds qu’il gère atteint une certaine taille, un portefeuilliste ne pourra plus acheter ni vendre de titres sans faire bouger le marché en sa défaveur.
Mawer a également plafonné en 2012 sa stratégie de titres de moyenne et grande capitalisations autour de 4 G$. Seuls les clients institutionnels étaient alors visés.
Pourtant, certaines firmes gèrent plus de 10 G$ d’actif dans cette sous-catégorie. Alors, pourquoi pas Mawer ?
«En fait, nous pouvons détenir des titres de petite capitalisation dans la plupart de nos fonds et nous voulons continuer de pouvoir le faire. Mais cela nous oblige à fermer plus vite certains fonds», précise Jean-Philippe Giguère.
Mawer, dont le siège social est situé à Calgary, gère un actif de quelque 26 G$.
Par ailleurs, un gestionnaire qui négocie souvent des titres pourrait obliger sa firme à plafonner son fonds plus tôt qu’un autre gestionnaire qui gère la même catégorie d’actif.
«Ce n’est pas seulement en raison des frais de commission, mais aussi en raison de l’impact que l’achat et la vente de titres ont sur les marchés. Plus les positions sont importantes, plus ce sera difficile [de négocier]», explique Nicolas Chevalier.
«Le gestionnaire qui achète et conserve longtemps ses positions (buy and hold) aura souvent plus de latitude», précise Roland Sakha, directeur principal, gestion des produits d’investissement à la Banque Nationale.
Rare pour les fonds obligataires
Il est plus rare qu’on plafonne un fonds obligataire, souligne Roland Sakha. Plusieurs de ces fonds atteignent le cap des 9 ou 10 G$ en actif géré sans problème.
Cependant, dans certaines sous-catégories d’actif comme les obligations à rendement élevé, certains fonds seront plus rapidement plafonnés parce que les actifs sous-jacents sont moins liquides.
Les conditions du marché, par exemple le niveau des taux d’intérêt, peuvent également peser dans la balance.
Respecter ses objectifs
On demande régulièrement à Patrick Farmer quels facteurs amènent Groupe de placements EdgePoint à plafonner un de ses fonds.
«Je réponds toujours que nous souhaitons que l’ensemble de nos fonds se classent dans le premier quartile ou tout près en termes de rendements, sur un horizon de dix ans», précise le chef de la conformité et directeur de l’exploitation d’EdgePoint. L’actif sous gestion de la firme de Toronto s’élève à un peu plus de 7 G$.
«Si les sommes investies dans un fonds augmentent trop rapidement en raison, par exemple, de sa bonne performance, et que l’exécution de nos transactions et l’atteinte de cet objectif se trouvent compromises, nous cesserons d’accepter de nouveaux investisseurs et nous fermerons ce fonds», ajoute Patrick Farmer.
Lorsqu’il était chef des placements chez Trimark, Patrick Farmer a été témoin à trois occasions du plafonnement d’un fonds.
«Dans tous les cas, il s’agissait du meilleur vendeur de l’entreprise. Ces fonds avaient tous gagné des prix, ce qui a entraîné une entrée massive de capitaux», se souvient-il.
Le gestionnaire se retrouve alors subitement avec trop d’argent sans avoir suffisamment d’occasions d’investissement, et dans un contexte parfois peu favorable à la stratégie.
Conflit d’intérêts potentiel
La décision de plafonner un fonds ira souvent à l’encontre des désirs du service des ventes des sociétés de fonds communs et de leurs actionnaires.
«Chez EdgePoint, nous nous demandons toujours si le plafonnement sert les meilleurs intérêts de nos clients existants, les investisseurs. Puisque nous sommes une firme privée dirigée par des gestionnaires partenaires, ce genre de décision est beaucoup plus facile à prendre», affirme Patrick Farmer.
«En règle générale, plus un fonds est important, plus la rémunération du gestionnaire sera élevée», note Nicolas Chevalier.
«Nous faisons tous face à un conflit d’intérêts, mais dans notre cas, nous pensons avoir réussi à l’atténuer, puisque nos gestionnaires de portefeuille ont investi la majeure partie de leur épargne personnelle dans nos fonds», ajoute-t-il.
«Nous préférons donc accroître notre actif en ayant une plus grande valeur par unité que d’augmenter le nombre d’unités. Et cela met davantage de pression sur nos gestionnaires», explique Nicolas Chevalier.
Qui prend la décision
À la Banque Nationale, la décision de plafonner un fonds se prend conjointement avec la firme de gestion de portefeuille.
Parfois, les choses se compliquent lorsque le gestionnaire externe – donc d’une firme autre que le manufacturier du fonds – applique une stratégie semblable avec différents clients.
«En tant que manufacturier, je dois savoir si ce gestionnaire applique la même stratégie avec d’autres fonds qu’il gère. Ainsi, on pourra mieux comprendre l’impact sur la qualité de l’exécution des transactions et la performance du fonds», explique Roland Sakha.
Des discussions parfois délicates s’ensuivent, afin de déterminer quels fonds seront plafonnés.
Il n’existe pas de formule mathématique qui permette de quantifier le montant idéal d’actif sous gestion d’un fonds.
«La décision de plafonnement comporte plusieurs facteurs souvent subjectifs. Elle est soumise à l’évolution de la réglementation et aux aléas du marché. Habituellement, quand un fonds est plafonné, c’est qu’il a attiré beaucoup d’actif et qu’il performe bien», rappelle Roland Sakha.
Lire aussi le texte «Dans les petits fonds, souvent les meilleurs rendements», en page 20.