«Le nouvel article 698 alinéa 2 qui le remplacera semble, lui, les rendre partiellement saisissables», ajoute-t-elle en mentionnant cependant que ces prestations peuvent déjà faire l’objet de saisie lors d’un litige en matière de droit de la famille.
Même constat de l’avocat Stéphan Samson du cabinet Joli-Coeur Lacasse. «Le nouvel article 698 introduit une formule qui inclut les prestations de retraite, de rente, d’indemnité et de remplacement du revenu dans le calcul des sommes qui pourront faire l’objet d’une saisie», observe Stéphan Samson.
La formule stipulée à l’article 698 se lit ainsi : (A-B) x C : où A regroupe tous les revenus qui doivent être inclus dans le calcul des sommes saisissables, B les déductions permises (125 % des sommes allouées à un prestataire de l’aide sociale dans le cas d’un ou d’une célibataire) à ces revenus et, finalement, C où le pourcentage du revenu qui sera saisi. Ce pourcentage est de 30 % en règle générale, et de 50 % en matière familiale (partage du patrimoine familial et paiement d’une pension alimentaire ou d’une prestation compensatoire) ou de dommages-intérêts en réparation d’un préjudice corporel découlant d’une faute lourde.
Stéphan Samson précise que ces prestations de rente ou d’invalidité ne sont pas saisissables entre les mains du payeur, mais plutôt entre celles du receveur. Une nuance primordiale pour les assureurs à qui ne reviendra pas le fardeau de procéder à cette tâche ingrate.
Cependant, l’avocat rappelle que le projet de loi, bien qu’il ait reçu la sanction royale, n’est toujours pas en vigueur dans son entièreté. «Certaines parties du projet de loi entreront en vigueur dès le 1er janvier 2015, mais pas celles concernant les nouvelles règles en matière d’insaisissabilité», observe Stéphan Samson.
Aux tribunaux de trancher
Malgré les changements annoncés, Sarah Leclerc et Stéphan Samson ne sonnent pas l’alarme pour autant. Sarah Leclerc a procédé à une analyse de la jurisprudence pour les lecteurs de Finance et Investissement. «Le Code de procédure annoté ne fait référence qu’à deux arrêts, dont la cause Banque de Montréal contre Drouin», s’étonne-t-elle (http://tinyurl.com/ppwvxwl).
Dans cet arrêt, le juge David L. Cameron de la Cour du Québec avait statué qu’il ne fallait pas s’en tenir aux seuls mots utilisés par le texte de loi, mais que l’on devait rechercher l’intention réelle du législateur.
Il avait finalement conclu que l’objectif fondamental de l’article 553 al. 2 était de protéger les prestataires de rente. Il avait même étendu la protection de l’article 553 non seulement aux prestations d’invalidité versées par l’assureur, mais également aux sommes versées par l’employeur pendant la période de carence, imposant du coup une interprétation très large de l’article 553.
Il faudra donc suivre attentivement l’interprétation que feront les tribunaux des nouvelles dispositions du Code de procédure civile à la lumière de cette jurisprudence plutôt libérale. C’est pourquoi les avocats Sarah Leclerc et Stéphan Samson refusent pour l’instant d’y aller d’une conclusion hâtive.
«Il faudra voir quelle sera l’interprétation que feront les tribunaux de ces dispositions», pondère Stéphan Samson.
Dans le milieu, on se demande si cela n’explique pas le peu d’empressement à adopter ces mesures. Il se pourrait que le législateur soit encore ouvert à des amendements, croient certains. «Il sera également intéressant de constater quelle sera la réaction du gouvernement aux jugements qui seront rendus», observe Stéphan Samson.
«Lors de l’adoption du nouveau Code civil, certaines interprétations des nouvelles règles faites par les tribunaux avaient déplu au gouvernement. Celui-ci, jugeant que ces interprétations n’étaient pas compatibles avec l’intention du législateur, avait légiféré de nouveau pour s’assurer que sa véritable intention soit respectée», rappelle Stéphan Samson.
Réactions de l’industrie
Ces changements créent néanmoins certaines interrogations. La question a même été évoquée par un conférencier lors du congrès de l’Association de planification fiscale et financière, en octobre.
Yves Millette, de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes, se fait néanmoins rassurant. «Nous avons tenu début décembre une réunion des conseillers juridiques de nos membres et l’opinion majoritaire est qu’il ne s’agit pas de changements importants», tempère le vice-président principal pour le Québec de l’ACCAP. «Nous ajusterons le tir lorsqu’il y aura des cas précis», ajoute-t-il.
Yves Millette fait d’ailleurs remarquer que le principe de l’insaisissabilité des prestations d’invalidité n’était déjà pas absolu, notamment en matière de versement d’aliments entre ex-époux. Il constate également que la formule mentionnée précédemment, qui servira pour calculer la partie saisissable du revenu d’un débiteur, a pour fonction première d’instaurer un nouveau mode de calcul qui aura l’avantage d’être indexé plus fréquemment.
Il concède toutefois que l’utilisation d’un vocabulaire nouveau et l’adoption de nouveaux seuils au-delà desquels les revenus deviennent insaisissables pourraient rendre les choses plus incertaines.