D’autres sont transportés par l’enthousiasme boursier actuel et font valoir les prix attrayants et l’important écart entre le rendement des bons du Trésor et le rendement des titres boursiers. Pour ceux-ci, il ne fait pas de doute que la Bourse retrouvera ses rendements historiques annuels de l’ordre de 8 à 10 %.

Or, dans certains cas, les deux camps se réfèrent aux mêmes indicateurs !

S’appuyant sur des données boursières qui remontent à 1926, Vanguard a donc analysé une quinzaine d’indicateurs, dont certains sont fréquemment cités dans la presse financière, pour repérer ceux qui ont la meilleure valeur prédictive.

Météo et Bourse

Première constatation inattendue : plusieurs des indicateurs fréquemment utilisés pour annoncer la performance boursière à venir n’ont absolument aucune valeur. C’est le cas, par exemple, autant de la tendance du PIB pour les dix dernières années que du «consensus» des économistes sur la croissance économique à venir. Les prévisions de précipitations affichent une meilleure corrélation avec la performance boursière !

Étonnamment, ces deux indicateurs ont encore moins de valeur prédictive pour le comportement boursier de l’année à venir que pour le comportement des dix prochaines années. Le premier a une valeur prédictive de 0,05 pour les 10 prochaines années et pas même de 0,01 pour l’année à venir [NDLR : 1,00 = très forte prévisibilité ; 0 = très faible prévisibilité]. Le «consensus» des économistes pour sa part n’affiche absolument aucune corrélation ni à long terme ni à court terme !

D’autres indicateurs populaires comme le consensus de croissance des profits, les marges de profit des entreprises et la performance boursière de la dernière année ne font pas mieux : zéro, tant à court terme qu’à long terme.

Quelques indicateurs donnent un meilleur aperçu de l’avenir. Il s’agit ici de modèles hybrides qui combinent les dividendes d’une année passée et la tendance des profits d’entreprise au cours des dix années précédentes, ou encore les dividendes d’un an avec le consensus de croissance des profits. Ici, la valeur prédictive est meilleure sur le long terme : 0,18 pour le premier modèle, 0,19 pour le second.

Les deux indicateurs par excellence sont le ratio cours/bénéfice sur une année passée et ce même ratio sur les dix années passées. Pour le premier, appelé PE1, la corrélation est de 0,38 sur un horizon boursier de 10 ans (à peine 1 % pour l’année à venir) ; pour le second, la corrélation est de 0,43 sur un horizon de dix ans, environ 0,08 pour un an. Celui-ci est identifié par l’acronyme CAPE (Cyclically Adjusted P/E).

Grande marge d’erreur

Malgré son niveau de corrélation assez élevé avec les comportements de la Bourse pour des périodes de dix ans, le CAPE demeure très faible. Son taux de corrélation de 0,43 signifie que la personne qui l’utilise a 57 % de chances de se tromper.

Pourquoi les ratios cours/bénéfice et CAPE présentent-ils la meilleure valeur prédictive, avons-nous demandé à Raymond Kerzérho, directeur de la recherche chez PWL Capital, à Montréal, qui s’intéresse depuis longtemps aux modèles de prédiction boursière. Cela tient, répond-il, à la «promesse de profit» en quelque sorte que portent ces ratios. À long terme, explique-t-il, ce qui est déterminant, c’est le montant payé pour une action. Et ce sont les profits à long terme qui détermineront le gain réel ou la façon dont les profits évolueront par rapport au prix de l’action. Si je n’ai pas payé cher, ce que traduit un ratio faible, les rendements risquent d’être bons.

«Le marché ne s’intéresse pas à ce qu’il connaît, mais à ce qu’il ne connaît pas», tranche Raymond Kerzérho. Les autres indicateurs (consensus sur la croissance du PIB, marge de profit des entreprises, etc.) ne font que servir au marché des choses qu’il connaît déjà. La mesure du cours/bénéfice, en quelque sorte, est celle qui contient le moins de «déjà connu».

C’est pour cette raison précisément que Richard Guay, professeur de finance à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et ancien chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec, préfère une autre mesure au CAPE mis de l’avant par Vanguard. Avec ce dernier, «on se base encore sur un chiffre passé», fait ressortir Richard Guay ; c’est une donnée que le marché a déjà absorbée.

Dans une étude qu’il vient de réaliser pour le C.D. Howe Institute et qui traite aussi de la performance boursière à long terme, Richard Guay préfère à l’indicateur de Vanguard les prévisions de bénéfices futurs réalisés par des analystes spécialistes de leurs secteurs respectifs. Un site comme Bloomberg donne une lecture consensuelle de ces prévisions.

Les indicateurs PE1 et CAPE se résument encore à une lecture historique, mais les prévisions de bénéfices par des analystes spécialisés pour chaque secteur économique donnent le coup d’oeil le plus compétent sur les développements à venir dans les entreprises susceptibles d’influer sur les cours en Bourse. C’est pourquoi leur valeur prédictive est supérieure, juge Richard Guay.

Or, que nous disent ces indicateurs de la performance boursière des dix prochaines années ? Armé de son modèle, Vanguard nous dit que les meilleures probabilités annoncent un rendement se situant entre 4 et 8 %, une fourchette très large – mais positive tout de même – dans laquelle nombre d’investisseurs se situent intuitivement.

De son côté, Richard Guay voit aussi les rendements demeurer en terrain fort positif, son étude les situant entre 5,5 et 6,9 %.