Probable retour de l'inflation
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Dans le Commentaire mensuel d’août de Fiera Capital, on peut lire : «les pressions sous-jacentes sur les prix semblent augmenter, quoique lentement, deux des trois mesures privilégiées par la Banque du Canada pour mesurer l’inflation de base ayant avancé en juin». François Bourdon, chef des placements global de Fiera Capital, s’étonne que les anticipations inflationnistes soient si faibles.

Joint en septembre, il constatait qu’à cette date le prix des obligations à rendement réel était établi en fonction d’un taux d’inflation de 1,25 %, d’où un potentiel de gain intéressant, selon le CFA. Les marchés adapteront leurs anticipations lorsque les hausses de prix se concrétiseront. «Il serait surprenant que l’inflation soit inférieure à cela», fait-il remarquer. Rappelons que le capital remboursé à échéance et les coupons d’intérêts des obligations à rendement réel augmentent au même rythme que l’indice des prix à la consommation.

Du côté de Gestion d’actifs CIBC, on se dit perplexe aussi de l’absence de pressions inflationnistes. «On poursuit nos recherches à savoir comment il se fait que si tard dans le cycle, avec un taux de chômage anémique, on n’assiste pas à un retour de l’inflation», témoigne Luc de la Durantaye, vice-président, répartition de l’actif et gestion quantitative au sein de Gestion globale d’actifs CIBC.

Ce dernier y va d’une explication, cependant : «Des facteurs structurels ont probablement retardé l’apparition de l’inflation, mais on croit qu’il y aura une recrudescence des salaires étant donné la conjoncture favorable. De plus, les banques centrales devraient continuer à se faire relativement accommodantes, puisqu’elles peinent à atteindre leur cible d’inflation.»

«On entrevoit des signes qui montrent que l’on sort tranquillement de cette mentalité de récession qui incitait les travailleurs, par exemple, à se montrer raisonnables en matière salariale. Les sondages de la National Federation of Independent Business, aux États-Unis, montrent qu’il est difficile de recruter de la main-d’oeuvre qualifiée, alors que les intentions d’embauche sont très élevées.

Matthieu Arseneau, économiste principal à la Banque Nationale, prévoit des taux d’inflation de 1,6 % pour 2017 et de 1,8 % pour 2018. Tout comme François Bourdon, il constate un écart entre ces prévisions et le taux escompté dans les cours des obligations à rendement réel. «Le marché anticipe une inflation qui est plus faible de 50 ou 60 points de base que la cible de la Fed. C’est énorme», observe l’économiste. Avant la crise financière, cet écart était inexistant.

Ces faibles anticipations inflationnistes pourraient s’expliquer par des facteurs temporaires et par des facteurs structurels. Parmi les premiers, on trouve des baisses de prix offertes par les fournisseurs de téléphonie cellulaire aux États-Unis (ces derniers proposent dorénavant des plans à données illimitées) et un fléchissement de la hausse des prix des soins médicaux. Parmi les deuxièmes, mentionnons les innovations technologiques qui exercent des pressions à la baisse sur les prix. Pensons au commerce en ligne ou aux entreprises numériques comme Spotify, Uber ou Airbnb, qui limitent la capacité des concurrents de hausser les prix. Ces facteurs peuvent laisser croire aux marchés que nous sommes dans un environnement persistant de faible croissance des prix.

Chez nos voisins du Sud, Matthieu Arseneau remarque aussi que le dollar américain s’est nettement apprécié entre 2014 et 2017, ce qui a eu un effet à la baisse sur l’inflation. «Le délai de transmission d’une hausse de la devise est d’environ six trimestres. Nous subissons donc encore l’impact de cette hausse», précise-t-il. Cependant, avec la dévaluation du billet vert depuis le début de l’année et l’excellente performance du marché du travail, on devrait assister à une résurgence des pressions inflationnistes.

Matthieu Arseneau pondère toutefois ses propos. «La Fed a publié une étude sur l’impact de la démographie. La composition de la force de travail pourrait exercer des pressions à la baisse sur l’inflation, car les travailleurs qui partent à la retraite sont remplacés par des jeunes moins rémunérés. De plus, les hausses salariales chez les travailleurs de 55 ans et plus seraient moindres que celles accordées aux plus jeunes», illustre-t-il.

Au Canada, le scénario est différent. «Il faut ajouter le choc pétrolier de 2015 et 2016 qui se répercute sur cinq ou six trimestres», explique-t-il. Les pressions déflationnistes de ce choc se font donc encore sentir, malgré la forte croissance récente.

Matthieu Arseneau croit donc que l’inflation devrait s’accélérer et qu’il pourrait peut-être y avoir des surprises sur ce plan. Toutefois, il apporte un bémol : «L’accélération de la croissance partout sur la planète exercera des pressions à la hausse, mais les phénomènes démographiques expliqués précédemment les contrebalanceront.»

Le point de vue de Matthieu Arseneau semble être repris parmi ceux qui travaillent sur le plancher des vaches. En effet, Philippe Pratte, gestionnaire de portefeuille chez Pratte Gestion de portefeuilles, considère que le retour en force de l’inflation ne préoccupe pas l’industrie pour l’instant. «La possibilité d’une inflation soutenue nous semble lointaine», croit-il.

«En fait, pour nous, l’inflation ne serait pas néfaste. Il en faudrait un peu plus pour confirmer que l’économie a repris son envol», affirme-t-il. De plus, le resserrement monétaire jusqu’à maintenant n’a pas pour objectif, selon lui, de contrer une poussée inflationniste, mais de normaliser les taux après un assouplissement monétaire qui a amené les taux d’intérêt à des niveaux exceptionnellement bas. Pratte Gestion de portefeuilles envisage des taux d’inflation de 1,7 % cette année, de 2 % en 2018, et de 2 % en 2019.

Par ailleurs, l’inflation ne semble pas être l’objet d’une grande inquiétude pour le moment, selon Philippe Pratte : «Je n’ai pas encore rencontré de clients ou de collègues qui m’ont fait part de leurs craintes et qui courent se protéger contre l’inflation.»