D’après lui, la peur et la cupidité peuvent altérer le jugement et les décisions de placement des investisseurs et même des gestionnaires de portefeuille. «Personne n’est à l’abri de ses émotions. Le conseiller qui est conscient de ces phénomènes peut faire une lecture qui lui permettra de protéger ses clients. En prenant garde à l’effet moutonnier, par exemple, qui pousse certains clients à vouloir faire comme tout le monde, à suivre la tendance générale du marché», explique-t-il.
«Le conseiller qui adopte une gestion de portefeuille de type valeur pourrait également profiter des réactions excessives des marchés lorsque les Bourses sont à la baisse», croit Pierre Saint-Laurent. Il voudra acheter des titres dont le prix est fortement déprécié selon différents critères, comme le ratio cours-valeur comptable.
De même, il est aussi possible de tirer profit des réactions exagérées du marché à des nouvelles positives en adoptant une approche dite «momentum». Dans un tel cas, on voudra surfer sur la vague haussière à ses débuts et sortir avant qu’il ne soit trop tard. On s’attardera notamment aux volumes de transactions. Lorsque le cours boursier monte au même rythme que les quantités négociées, cela pourrait confirmer une tendance haussière, selon les partisans de l’analyse technique.
Analyse technique
Par ailleurs, un gestionnaire de portefeuille qui décide d’acheter une action après une analyse fondamentale pourrait déterminer le point d’entrée de sa transaction en faisant de l’analyse technique. «À l’aide de schémas et de graphiques qui tracent des moyennes mobiles et tiennent notamment compte des volumes négociés, le conseiller pourra déterminer le bon moment et le bon prix pour acheter ce titre», explique Ron Meisels, président de Phases & Cycles, une firme de Montréal spécialisée en analyse technique.
Cette approche permet aussi de déterminer si la tendance haussière d’un titre est durable. On pourra enfin établir quels seront le meilleur moment et le bon prix pour vendre cette action.
«Bien que ce type d’analyse se base sur les mouvements passés de prix et les volumes de transactions historiques afin de déterminer un signal d’achat ou de vente, il est également important de tenir compte de l’humeur du marché (market sentiment)», affirme Ron Meisels.
Ce dernier consulte plusieurs sondages qui mesurent l’optimisme et le pessimisme des investisseurs de détail, notamment le AAII Survey. «Lorsque l’investisseur moyen est très pessimiste comme en janvier et février 2016, je vais me demander si on est dans les mêmes extrêmes qu’en 2008-2009, si oui, invariablement il y aura une reprise du marché, c’est une occasion à saisir afin d’acheter le marché», souligne-t-il.
Un autre sondage important, selon lui, est l’Investors Intelligence Sentiment Index qui existe depuis 1963 et reflète l’opinion et les recommandations de plus d’une centaine de lettres financières indépendantes aux États-Unis. Cet indicateur à contre-courant (contrarian) traduit l’humeur du marché et peut anticiper les renversements de tendance lorsque le résultat compilé atteint un point extrême. «Récemment, le sondage démontrait que 80 % des conseillers étaient optimistes (bullish). C’est un niveau très élevé et il faut être prudent. Cela ne signifie pas qu’il faut tout vendre, mais plutôt éviter l’excès de confiance», dit-il.
«Lorsque le réputé journal Barron’s titrait fin janvier 2017 que le Dow pourrait atteindre 30 000 points d’ici 2025, je m’interroge. Même si le marché est encore dans une tendance haussière et qu’il se maintient bien, il faut surveiller les replis qui sont sains pour le marché. Le marché est actuellement vulnérable à une correction inattendue», ajoute le spécialiste.
Le cas de Liberty Tax
La firme de gestion de portefeuilles Cote 100 de Saint-Bruno a défrayé les manchettes en février. L’une de ses recommandations a poussé fortement à la hausse le cours boursier d’un titre sur le NASDAQ. Selon son président, Philippe Leblanc, c’est la lettre financière envoyée tous les mois à plus de 1 000 abonnés qui est en cause. Plusieurs lecteurs ont vraisemblablement suivi la recommandation d’achat de l’action Liberty Tax (TAX).
Il a suffi de quelques ordres d’achat au marché pour faire bouger l’action de 10 % en une journée avec un volume de transactions anormalement important. «Je regrette de ne pas avoir souligné que ce titre était peu liquide» , souligne Philippe Leblanc. Ce dernier reconnaît qu’il est tentant parfois d’acheter précipitamment un titre par peur de manquer une occasion. «On se laisse porter par l’engouement, on a de la difficulté à se raisonner», dit-il.
«Habituellement, on achète un titre quand il est déprimé. On vérifie alors si ce sentiment négatif est ponctuel. Si c’est le cas, ce pourrait être une occasion d’achat comme pour le titre de Liberty Tax, qui est passé de 35 $ à 10 $ en deux ans. Si la fluctuation de cette action peut sembler irrationnelle à brève échéance, il n’en demeure pas moins qu’elle pourrait se négocier à 30 $ comme il y a deux ans. Notre approche valeur à contre-courant nous permet d’acheter nos titres pour le long terme», ajoute-t-il.
Filtre comportemental
Il existe très peu de modèles quantitatifs qui se basent uniquement sur des biais cognitifs pour prendre des décisions de placement. «Il est effectivement difficile d’isoler quelle portion de la variation du prix d’une action est due à l’effet moutonnier ou à de l’excès de confiance, par exemple», indique Pierre Saint-Laurent.
Certains fonds vont cependant exploiter des anomalies du marché qui découlent de comportements irrationnels des investisseurs. C’est le cas du gestionnaire américain J.P. Morgan qui recherche des comportements prévisibles et répétitifs. Ces fonds nommés «Intrépides» vont adopter une stratégie de style valeur ou croissance.
Certains gestionnaires de fonds communs de placement le feront en utilisant des programmes informatiques. Ils filtreront des milliers de titres afin de déterminer si certains sont touchés par des biais comportementaux. Ces modèles de type boîte noire (black box) intègrent des formules mathématiques complexes et ne sont pas transparents pour les investisseurs.
Quelques recherches universitaires ont analysé les performances de fonds qui prétendent suivre une stratégie fondée sur la finance comportementale. Selon Reinhart et Brennan de la Loyola University of Maryland (2007), le seul fait de reconnaître l’existence de ces biais peut augmenter la performance des portefeuillistes. L’utilisation de filtres comportementaux semble particulièrement concluante dans le cas des actions de grande capitalisation qui sont très liquides et suivies par de nombreux investisseurs et également par les médias. Ces titres sont donc plus vulnérables à l’influence de comportements irrationnels.
D’autres chercheurs, comme Wright et al (2006), croient plutôt que ces produits de placement ne sont que des fonds de style valeur. La plupart de ces études, même plus récentes, constatent que ces fonds ne génèrent pas des rendements anormaux et qu’il est difficile de tirer des conclusions probantes de ces analyses vu le petit nombre de fonds répertoriés.