L’ampleur du mouvement a pris bien des gestionnaires par surprise. Pendant cette période, les investisseurs ont voulu se départir de leurs actions privilégiées, mais les acheteurs se faisaient rares.

«Cette hausse des taux, combinée à un nombre important de vendeurs dans un marché peu liquide, a été un cocktail assez explosif», affirme Nicolas Normandeau, vice-président et gestionnaire de portefeuilles, revenu fixe, chez Fiera Capital.

Précisons que ce mouvement a été un peu moins brutal au Canada, quoique tout aussi défavorable. Les taux obligataires de cinq ans, par exemple, ont augmenté de plus de 100 points de base.

Tout le secteur des actions privilégiées s’est fait secouer. «Pendant un moment, certains titres perdaient 1 $ par jour (la valeur au pair étant de 25 $). Bon nombre d’acteurs cherchaient la porte de sortie, y compris des détenteurs américains d’actions privilégiées canadiennes», ajoute le gestionnaire.

Se mettre à l’abri

De 2008 à 2012, les actions privilégiées ont offert de hauts rendements aux investisseurs, souligne Pat Keene, spécialiste des actions privilégiées chez BMO Nesbitt Burns.

«Ces titres ont été perçus comme une valeur refuge, une solution de rechange aux taux d’intérêt bas et à la volatilité du marché des actions ordinaires», note-t-elle.

«Les actions privilégiées offraient des revenus stables et des taux de dividende élevés, sans oublier le crédit d’impôt pour dividende que peuvent réclamer les particuliers. Bien des investisseurs à la recherche de rendement, et même ceux qui voulaient de la croissance, ont cru se mettre à l’abri en les achetant», souligne Pat Keene.

Rappelons que de par leur avantage fiscal, les actions privilégiées s’adressent avant tout aux particuliers.

«Contrairement au marché des obligations de sociétés, qui est beaucoup plus important (actif de 372 G$ au Canada) et liquide, les investisseurs institutionnels sont peu présents dans le marché des actions privilégiées, dont l’actif s’élève à 63 G$», précise Nicolas Normandeau.

Le marché se transforme

Cette ruée vers les actions privilégiées s’explique aussi par la composition du marché qui a beaucoup évolué depuis cinq ans.

Avant la crise, environ 80 % des actions privilégiées en circulation étaient des actions privilégiées à taux fixe. Aujourd’hui, c’est un peu plus de 30 %.

Ce sont les actions privilégiées à taux révisable (Fixed reset preferred share) qui ont pris le relais. Ce produit lancé pendant la crise a permis aux banques et aux entreprises de se recapitaliser plus facilement. Les investisseurs ont ainsi pu acheter des titres de qualité ayant des taux de dividende élevés. Ce secteur représente maintenant plus de 60 % du marché.

En bref, le détenteur obtient au moment de l’achat un taux fixé pour cinq ans. À la fin de chaque période quinquennale, l’investisseur a l’option de recevoir le rendement des obligations gouvernementales canadiennes de cinq ans auquel s’ajoute une prime prédéterminée, ou encore, de choisir un coupon à taux variable. Aux dates de réinitialisation, l’émetteur peut également décider de racheter l’action.

Une sensibilité variable

Selon le type d’actions privilégiées détenues dans le portefeuille, la sensibilité aux variations des taux d’intérêt différera.

Les actions privilégiées à taux fixe, qui n’ont généralement pas d’échéance, réagiront plus négativement à une hausse des taux par rapport à une action privilégiée à taux révisable tous les cinq ans, par exemple. Et elles auront un comportement similaire aux obligations gouvernementales de 30 ans.

Quant aux actions privilégiées à taux flottant, le risque est assez faible puisqu’elles s’ajustent aux mouvements des taux courts. Ces titres versent des dividendes trimestriels (parfois mensuels) selon un indice de référence comme les bons du Trésor canadiens de trois mois plus un écart.

Autrement dit, plus la durée de l’action privilégiée est courte, moins elle sera touchée par une variation des taux d’intérêt.

«Puisqu’une action privilégiée à taux fixe de 5 % a une durée d’environ 20 ans, un mouvement de 75 points de base devrait faire varier son prix d’environ 15 % (20 x 0,0075). Quant à l’action privilégiée à taux révisable, sa sensibilité se compare à celle d’une obligation gouvernementale de cinq ans ou moins, selon la prochaine date de réinitialisation», illustre Nicolas Normandeau.

Plusieurs facteurs influent

Par ailleurs, l’ampleur de la réaction aux variations de taux d’intérêt ne sera pas la même d’un titre à l’autre, tient à préciser Pat Keene.

«Cela dépend de plusieurs facteurs comme la cote de crédit, le taux du dividende, les conditions de réinitialisation (niveau de l’écart), les clauses de rachat ainsi que l’offre et la demande», explique-t-elle.

Par exemple, les actions privilégiées dont le taux est révisé tous les cinq ans ont toutes réagi négativement à la hausse des taux obligataires de la même échéance. Celles dont l’écart de taux était bas, et la qualité, faible (inférieure à P3-élevé) ont toutefois accusé de plus lourdes pertes, soit de l’ordre de 20 %. Inversement, un émetteur bien coté, qui se finance rarement sur le marché, a été moins malmené.

Selon Benjamin Jasmin, gestionnaire de portefeuille chez Intact Gestion de placements, la réaction des actions privilégiées cet été n’a pas tout à fait respecté la théorie. On aurait pu s’attendre à ce que les actions privilégiées à taux révisable réagissent moins négativement que celles à taux fixe. Ce n’a pas vraiment été le cas.

«Ces produits émis pour la première fois il y a cinq ans seront bientôt réinitialisés. Et ils le seront à des taux beaucoup plus bas qu’en 2008-2009. Le marché s’est peut-être réveillé à ce propos. Il y a eu un certain rattrapage», croit-il.