D’ailleurs, les plus pessimistes des analystes planchent maintenant sur la possibilité que le prix du baril atteigne 10 $. Impossible ? L’avenir le dira. Flint Hills Resources LLC – un important raffineur américain – n’a-t-il pas annoncé en début d’année qu’il ne paierait pas plus de 1,50 $ pour un baril de North Dakota Sour, un pétrole à haute teneur en soufre. Comme quoi, dans l’univers des prévisions, tout est maintenant envisageable.
Alors, bien malin qui pourra prévoir avec certitude quand – mais surtout à combien – le fond du baril sera atteint. Avec raison, on parle de tempête parfaite : la demande de pétrole plonge, alors que la production pétrolière augmente. En janvier, la levée des sanctions internationales qui pesaient sur l’Iran permettra à Téhéran d’exporter jusqu’à un million de barils par jour d’ici l’an prochain. Résultat : l’incertitude est à son comble.
La fin de l’ère pétrolière
Au Forum économique Gaïdar – grand-messe annuelle de l’élite économique russe – German Gref, le grand patron de la plus importante banque russe, Sberbank, lançait une petite bombe, montrant l’ampleur de l’impact que la chute du pétrole pouvait avoir sur le secteur bancaire : «Tout comme l’âge de pierre n’a pas pris fin parce qu’il n’y avait plus de pierres, l’ère du pétrole est révolue. […] Nous nous sommes retrouvés dans le camp des pays perdants qui n’ont pas eu le temps d’adapter leur économie. […] L’avenir est arrivé avant qu’on s’y attende. Welcome to the future!»
German Gref pèche-t-il par excès de pessimisme ? Chose certaine, bon nombre d’institutions financières sont sérieusement mises à mal par la crise pétrolière. Les quatre plus importantes banques américaines – Bank of America, Citigroup, JP Morgan, Wells Fargo – ont dû éponger plus 2,5 G$ US en prêts non remboursés par des entreprises pétrolières prises à la gorge, selon les chiffres de Bloomberg. Et ce pourrait bien n’être que le début, car elles pourraient avoir à mettre la main à la poche si la situation se détériore.
Les banques canadiennes ne sont pas épargnées. Toutefois, n’octroyant que peu de prêts aux entreprises des secteurs gazier et pétrolier, les institutions canadiennes subissent surtout les effets du ralentissement économique provoqué par la chute du prix du pétrole.
Un impact indirect qui n’en reste pas moins notable. Dans les provinces productrices de pétrole, le nombre de faillites personnelles a explosé. Au cours du dernier trimestre 2015 – par rapport à l’année précédente – leur nombre a augmenté de 21 % à Terre-Neuve-et-Labrador, de 11 % en Saskatchewan et de 25 % en Alberta, selon les chiffres du Globe and Mail.
Régimes de retraite touchés
Situation similaire chez les fonds de pension canadiens. Les 20 principaux fonds de pension ontariens ont perdu l’équivalent de 2,4 G$ dans le secteur des hydrocarbures au cours des six derniers mois de 2014, selon une étude du Centre canadien de politiques alternatives. Si l’étude était réalisée aujourd’hui, les pertes seraient certainement supérieures, du fait que les impacts négatifs de la chute des prix du pétrole se sont surtout fait sentir en 2015.
Heureusement, diront certains, quand on se compare on se console. La situation est encore plus critique en Europe, où la valorisation boursière des banques européennes a plongé de plus de 25 % depuis le début de l’année, en raison en bonne partie du marasme qui afflige le secteur pétrolier. Cette dégringolade est deux fois plus importante que celle enregistrée par les principaux indices boursiers européens au cours de la même période.
Les chiffres donnent le tournis depuis le début de l’année : UniCrédit a perdu 46 %, Deutsche Bank, 41 %, Société Générale, 32 %, Intesa Sanpaolo, 30 %… Naviguant entre pessimisme et réalisme, plusieurs analystes laissent maintenant planer la possibilité d’une nouvelle crise financière. Chose certaine, les mastodontes du secteur bancaire devront reprendre pied pour ne pas s’enfoncer davantage… et entraîner avec eux les principaux indices boursiers et, du coup, ébranler davantage l’économie mondiale.