«C’est dorénavant encore plus payant de reporter ces prestations», affirme David Truong, auteur de l’étude et conseiller sénior en planification financière à la Banque Nationale Gestion Privée 1859.
«Auparavant, il était peut-être avantageux de devancer l’encaissement de nos prestations si nous avions une espérance de vie peu élevée, mais ce sera rarement le cas à l’avenir», renchérit-il.
Rappelons qu’en raison des nouvelles règles de bonification des rentes de la RRQ en cas de demande reportée et des pénalités pour les demandes précoces, le retraité qui attendra à 70 ans pour demander sa rente de la RRQ verra celle-ci bonifiée de 42 %. Celui qui la demandera dès 60 ans, à compter de 2016, ne touchera que 64 % du montant qu’il aurait obtenu s’il avait patienté jusqu’à 65 ans.
Ceux qui reportent de cinq ans le moment où ils touchent leur PSV peuvent voir celle-ci bonifiée d’un maximum de 36 %, soit 0,6 % par mois.
Les données compilées par David Truong, qui détient également une maîtrise en fiscalité, illustrent que les anciennes règles faisaient en sorte que le retraité qui demandait sa rente de la RRQ à 60 ans était gagnant s’il vivait moins de 86 ans.
Au contraire, le retraité qui reportait le début de sa rente de 65 à 70 ans devait vivre plus de 90 ans pour se retrouver gagnant. «Avec les nouvelles règles, ces chiffres sont maintenant de 75 et 79 ans», constate David Truong.
L’IQPF publiait récemment des tableaux d’espérance de vie qui indiquent que 25 % des Québécois vivront plus de 91 ans. Quant aux Québécoises, les probabilités qu’elles dépassent ce seuil sont de 40 %.
Report avantageux pour les riches
Pour pouvoir conclure que plusieurs clients ayant un revenu moyen à élevé auraient avantage à reporter à 70 ans le moment où ils touchent leurs différentes rentes, David Truong a effectué des scénarios d’optimisation des revenus à la retraite pour un homme de 59 ans qui souhaite prendre sa retraite à 60 ans, ce qui est le cas de 59 % des Québécois. Cet homme a une probabilité de survie de 25 %, et vivra théoriquement jusqu’à 91 ans.
L’auteur a comparé la valeur actualisée de l’épargne personnelle que cet homme devait avoir pour continuer de dépenser de 50 à 100 % du revenu de travail avant la retraite selon deux scénarios. Dans le premier, il touche ses rentes le plus tôt possible, et dans le second, il attend ses 70 ans pour recevoir les prestations de la RRQ et la PSV.
Ce client avait avantage à opter pour le second scénario dès qu’il gagnait un revenu élevé, même s’il devait rembourser une partie de sa PSV. Quant au client qui gagne la moyenne des revenus bruts annuels à la retraite, soit 37 000 $, il avait aussi avantage à opter pour le deuxième scénario lorsque son taux de remplacement de revenu à la retraite était de 70 % ou plus.
«L’apport à la hausse des régimes publics apporte une sécurité des prestations à long terme, faisant ainsi décroître le risque de survie sur le long terme, lit-on dans l’étude (http://bit.ly/1Ht QffA). La personne qui demande ses prestations le plus tard n’aura pas besoin d’épargner autant pour remplacer son revenu de carrière, tandis que celle qui demande ses prestations à l’âge admissible devra gérer son capital pour qu’il puisse durer le plus longtemps possible.»
Cependant, à un taux de remplacement de 50 % du revenu moyen, soit 18 500 $, un client à revenu moyen a droit au Supplément de revenu garanti (SRG) à partir de 65 ans. Comme il doit demander la PSV pour obtenir le SRG, il aurait avantage à opter pour le premier scénario. Pour des raisons similaires, les clients à faibles revenus à la retraite, soit 18 500 $, ont avantage à toucher les rentes gouvernementales dès qu’ils le peuvent.
Risques sous-estimés
Daniel Laverdière, directeur principal chez Banque Nationale Gestion privée 1859, déplore pour sa part le fait que les récentes statistiques publiées par la RRQ montrent que les Québécois sont pourtant de plus en plus nombreux à aller à l’encontre des conclusions de l’étude de David Truong.
«En 2014, on a constaté une forte augmentation des gens qui ont fait leur demande de rente à 60 ans», dit-il. Les données fournies par la RRQ indiquent que le nombre de personnes qui ont réclamé leurs prestations dès 60 ans a augmenté de 45 % en 2014, alors que celui des personnes âgées de 61 et 64 ans qui ont fait de même a augmenté de 120 %. Pourtant, le pourcentage d’individus qui ont fait la demande à 65 ans a baissé de 16,8 %.
«En 2014, 59 % des nouveaux rentiers touchaient leurs prestations à 60 ans, 13 %, à 65 ans et seulement 2 %, après 65 ans.», a confirmé Renaud Bourget, actuaire et coordonnateur des dossiers relatifs à la planification de la retraite à la RRQ.
«Que feront ces gens-là plus tard, lorsqu’ils n’auront plus à la fois leur salaire et la RRQ, mais seulement une rente diminuée parce qu’ils l’auront demandée à 60 ans plutôt qu’à 65 ou à 70 ans, demande Daniel Laverdière. Il est évident qu’ils n’ont pas consulté un planificateur financier.»
L’actuaire précise cependant que 2014 était la première année où l’on pouvait demander sa rente de la RRQ dès 60 ans sans avoir à cesser de travailler.
Daniel Laverdière constate que les retraités craignent souvent de laisser des sommes considérables «sur la table» si jamais ils décédaient tôt, étant donné qu’ils n’auraient ainsi perçu que peu de rentes.
«Étant donné l’espérance de vie qui ne cesse de s’accroître, c’est plutôt le contraire qui pourrait se produire. Ceux qui vivront plus longtemps risquent de perdre énormément au change», déplore-t-il.
Pour sa part, Josée Jeffrey de Focus Retraite & Fiscalité invoque un argument pour convaincre ses clients sceptiques. «Pourquoi voir ma rente réduite lorsque j’ai payé le maximum toute ma vie ?»
David Truong constate que de nombreux Québécois n’ont pas la chance de compter sur un régime de retraite à prestations déterminées qui offre une sécurité quant à la durée et au montant de la rente à recevoir.
«Le fait de reporter nos prestations de la RRQ à 70 ans augmentera nos prestations qui offrent, dans le fond, les mêmes avantages qu’un régime à prestations déterminées», observe le boursier de l’IQPF.
Un propos repris par Josée Jeffrey. «Ceux qui reçoivent des rentes maximales (environ 4 % des prestataires) ou assez élevées ont tout intérêt à les reporter. La bonification sur la rente après 65 ans est fort appréciable : 8,4 % par an ! De plus, avec la PSV cela permet d’obtenir une belle rente qui peut atteindre quasiment 25 000 $ par an, garantie à vie, et surtout, indexée !» relève la planificatrice financière et fiscaliste.
Daniel Laverdière mentionne le récent Rapport du comité d’experts sur l’avenir du système de retraite, qui recommandait l’établissement d’une rente de longévité pour les retraités vivant plus de 75 ans. «En fait, si on reporte ses prestations à 70 ans, on les bonifie et elles deviennent un peu ce que proposait le rapport», constate-t-il.
L’actuaire illustre également sa prise de position au profit du report à l’aide d’un exemple personnel. «Mon père est décédé cette année. Il a eu de la chance dans son malheur, car en sortant de l’hôpital, il n’aurait pas pu retourner vivre avec sa conjointe puisque son état de santé ne l’aurait pas permis. Il aurait dû prendre un deuxième appartement. Pourtant, quel planificateur prévoit dans son scénario des déboursés un deuxième loyer à un âge avancé» demande-t-il. D’où l’importance, selon lui, de pouvoir compter sur une rente de RRQ bonifiée si possible.
patience, conseillers
Cependant, le report de la rente exige une réflexion sérieuse. En effet, le retraité devra puiser davantage dans son épargne personnelle, comme son REER, entre 60 et 70 ans. «Cela va un peu à l’encontre de la nature des conseillers de recommander à leurs clients de piger davantage dans leur REER. De plus, cela peut sembler aller à l’encontre de leur intérêt, car les fonds gérés à court terme et les commissions de suivi seront moindres», constate Daniel Laverdière.
Toutefois, ce dernier fait remarquer que l’étude de David Truong vise à maximiser les sommes accumulées par le retraité. «À long terme, le retraité aura plus d’argent, et le conseiller y trouvera son compte s’il sait faire preuve de patience», note l’actuaire.
Par ailleurs, dans l’étude, David Truong souligne qu’il n’y a pas de situation de retraite identique, donc rien qui permette de déterminer un âge idéal auquel un client demande la PSV et la RRQ. Ce moment variera notamment en fonction de l’état de santé du client, de ses autres régimes d’épargne, de son taux d’imposition a la retraite, de l’inflation et des rendements.