Or, cette portée pourrait être considérable. Parce que, selon un rapport de novembre 2012 de l’Agence internationale de l’énergie, les États-Unis pourraient dépasser pendant un certain temps l’Arabie saoudite comme premier producteur mondial de pétrole vers 2020 et, peut-être même, devenir auto-suffisants énergétiquement en 2030. Déjà, depuis 2008, la production pétrolière au pays de l’Oncle Sam est en hausse de 25 % (voir «Quel avenir pour le pétrole albertain ?» en page 18).
Avec un prix du gaz qui n’est que de 3,55 $ US par million BTU, par rapport à 12 $ US en Europe et 16 $ US au Japon, les Américains bénéficient d’un avantage de coût qui se reflète dans leur production d’électricité, «dont le prix a chuté de façon dramatique dans le Nord-Est», signale Carl Robert.
Évidemment, tout le vaste secteur énergétique américain bénéficie de cette manne inattendue, mais celle-ci constitue «un game changer pour son impact sur le reste de l’économie américaine», fait ressortir François Bourdon, chef adjoint des placements chez Fiera Capital.
Renaissance manufacturière
En effet, la nouvelle donne énergétique renforce l’autre tendance de fond en terre américaine, que certains appellent une renaissance manufacturière, et s’y amalgame. Tout d’abord, la nouvelle donne énergétique a un impact immédiat sur les industries plus complexes, signale Carl Robert, notamment la pétrochimie et la production d’acier.
Bien qu’on ne puisse encore parler d’un raz-de-marée, bon nombre d’entreprises rapatrient des activités qu’elles avaient précédemment délocalisées.
Des sociétés comme Apple, Caterpillar, Ford, General Electric et Whirlpool produisent davantage en sol américain. Et le phénomène ne se limite pas aux sociétés américaines.
Samsung planifie la construction d’une usine de semicon-ducteurs au coût de 4 G$ US au Texas, et Airbus bâtit une usine en Alabama.
«Des dizaines et des dizaines de milliards de dollars en investissement qu’on n’aurait jamais anticipés sont prévus pour le secteur manufacturier», disait Daniel Yergin, président du conseil de Cambridge Energy Research Associates, dans une entrevue à Bloomberg (29 janvier 2013).
Dans ce rapatriement manufacturier jouent, d’une part, l’attrait énergétique, d’autre part, l’attrait réduit de la délocalisation en Chine.
En premier lieu, les salaires ne cessent de monter en Chine. «En 2000, les salaires aux États-Unis étaient presque 22 fois plus élevés que ceux de la Chine», rapportait Sebastian Mallaby, associé du Council on Foreign Relations, des États-Unis, dans un article paru dans le Financial Times (8 janvier 2013). «En 2015, ce multiple ne sera plus que de quatre.»
Ces deux tendances de fond s’appuient sur quelques autres avantages dont bénéficient les États-Unis : un profil démographique et une immigration favorables, note Carl Robert ; une forte productivité qui a crû de 69 % de 1996 à 2009 (de 17 % seulement en Allemagne), selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ; et une monnaie bon marché, comme l’indique François Bourdon.
Quelques freins
Par contre, les États-Unis ne peuvent certainement pas crier victoire encore, car ils souffrent aussi de nombreux handicaps, comme le fait ressortir David Dagenais, chercheur au Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM) de l’UQAM.
«Le déficit commercial reste très élevé, près de 400 G$, souligne celui-ci, et le gouvernement continue de s’endetter à hauteur de 7 à 9 % de son produit intérieur brut (PIB) par an.»
S’ajoutent un PIB qui est à 5 points de pourcentage sous son potentiel et un sous-emploi chronique qui fait en sorte que le véritable niveau de chômage n’est pas de 8 %, mais plutôt de 12 ou 13 %, et même de 17 à 18 %, si on ajoute tous les travailleurs contraints au travail à temps partiel.
Surtout, il ne faut pas oublier que «les États-Unis n’ont pas réformé leur appareil financier, juge David Dagenais. Depuis la crise, l’oligopole bancaire s’est concentré de telle sorte qu’à long terme, la principale menace, c’est 2008 2.0».
Autant de raisons de garder les pieds sur terre. Mais on ne peut douter que la résilience des Américains surprend. Vont-ils sortir de la misère et quelle sera l’ampleur de la transformation ? «On ne sait pas», répond François Bourdon, qui reprend aussitôt, en authentique investisseur : «Ce qui compte pour nous, c’est la direction».
Et la direction a définitivement une tonalité positive.