«On ne voulait certainement pas donner l’impression que c’était seulement Tom Hayes, ni seulement UBS. C’était plutôt un problème systémique dans l’industrie, causé par des problèmes qui vont beaucoup plus loin que Tom Hayes», précise Liam Vaughan en entrevue.
Le LIBOR, le London Inter Bank Offered Rate, est mis au point par les banques de la British Bankers’ Association (BBA). Il est né en 1969 quand plusieurs banques ont offert un prêt de quelque 80 M$ US au Shah d’Iran. Le prêt était assujetti à un taux variable basé, comme le sera le LIBOR, sur les conditions d’emprunt des banques participantes. Aujourd’hui le LIBOR, le taux d’intérêt moyen auquel les banques s’empruntent entre elles à court terme, conditionne le prix de plusieurs produits financiers allant des hypothèques aux produits dérivés.
Le principal problème avec le LIBOR était son manque de supervision. Le célèbre étalon était mis au point par la BBA à partir de soumissions écrites de ses membres sur le taux quotidien auquel ils pouvaient emprunter.
On croyait à tort que le fait d’exclure les soumissions les plus extrêmes (à la hausse ou à la baisse) allait décourager les tentatives de manipulation, mais en 2008, les informations fournies par les banques sur leurs conditions d’emprunt sont devenues particulièrement sensibles. Les institutions avaient intérêt à soumettre des taux moins élevés pour ne pas paraître vulnérables.
Gavin Finch et Liam Vaughan suggèrent que même les régulateurs, britanniques notamment, auraient peut-être fermé les yeux sur certaines pratiques durant la phase aiguë de la crise. «Forcer les banques à faire des déclarations honnêtes à ce point aurait été nuisible aux efforts de la banque centrale de relever le système bancaire», affirment-ils.
C’est d’ailleurs durant la crise financière que la Commodity Futures Trading Commission américaine, alertée par des reportages dans la presse, débutera son enquête qui finira par inclure plusieurs régulateurs, dont le Bureau de la concurrence au Canada. En 2012 et 2013, quatre banques – Barclays, UBS, RBS et RaboBank – accepteront de payer plus de 3,5 G$ US dans un règlement hors cour.
Trader emprisonné
De son côté, Tom Hayes plaidera sans succès que les tentatives de manipulation du LIBOR étaient si répandues qu’il ne s’est jamais imaginé qu’il ne pouvait pas le faire. Tom Hayes sera condamné en 2015 à 14 ans de prison. Sa sentence sera finalement réduite à 11 ans.
Liam Vaughan ne croit pas pour autant que Tom Hayes soit un bouc émissaire ou une victime. Selon lui, Tom Hayes a «franchi la ligne» quand il a commencé à intégrer des employés des banques concurrentes dans son large réseau de manipulation du LIBOR.
Tom Hayes entretenait en effet un vaste réseau de courtiers, dont certains fournissaient, chaque matin, des prédictions sur le LIBOR. Tom Hayes faisait modifier légèrement ces prédictions en fonctions des positions qu’il avait prises sur les marchés. En échange, Tom Hayes promettait de l’argent et exécutait d’énormes «wash trades», soit des prises de positions fictives ayant pour but de hausser les commissions de ses courtiers.
La plupart des «partenaires» de Tom Hayes seront acquittés après avoir plaidé que bien qu’ils aient laissé croire à Hayes qu’ils accédaient à ses demandes dans des courriels compromettants, il n’en était rien dans les faits.
Tom Hayes lui-même n’a jamais été totalement certain de son influence réelle sur le LIBOR. Il estimait que de 5 à 10 % de ses profits étaient liés à sa capacité à modifier le taux.
Produit du système
Liam Vaughan est néanmoins d’avis que Tom Hayes était un produit du système : «Le scandale du LIBOR est symptomatique d’un problème plus large dans le monde bancaire. Vous mettez ensemble des gens, souvent de jeunes hommes, très bien payés, compétitifs, dans un environnement où leur valeur est déterminée par l’argent qu’ils font. C’est inévitable que certains d’entre eux vont finir, sous la pression, par commettre des gestes répréhensibles et même illégaux.»
Aussi, Liam Vaughan, qui croit que d’autres scandales du même genre sont à prévoir dans le futur, met en garde les conseillers en services financiers. «Les conseillers devraient au minimum comprendre les risques de manipulation. Quand ils recommandent un produit à un client, un produit qui est basé sur un tel étalon, ils devraient être au courant de la manière dont cet étalon est mis au point.»