«Dans les faits, l’achat d’un fonds de série F pourrait se révéler plus coûteux qu’un fonds équivalent de série A», souligne Benjamin Felix, gestionnaire de portefeuille au bureau d’Ottawa de PWL Capital.
Par exemple, si un manufacturier demande des frais de gestion de portefeuille et de transaction de 1,30 % pour la série F auxquels le conseiller et sa firme de courtage ajoutent des honoraires de 1,25 %, le coût annuel réel pour le client sera de 2,55 %.
Si ce conseiller était rémunéré à commission et qu’il vendait ce même fonds commun, par l’intermédiaire d’une série A, le manufacturier du fonds imposerait des frais de gestion identiques de 1,30 %. La firme de courtage et le conseiller seraient toutefois rémunérés avec une commission de suivi standard de 1 %. Ce même client aurait donc un coût annuel réel de 2,30 %, soit 25 points de base de moins que dans le cas du fonds de série F.
En incitant les clients à migrer vers les honoraires, certains conseillers et certaines firmes de courtage peuvent ainsi indirectement augmenter leur rémunération, au détriment de certains clients.
Cette situation découle de la manière selon laquelle les firmes de courtage basent leurs honoraires, qui varie en fonction de l’actif du client. Généralement, plus l’actif du client est élevé, moins son pourcentage d’honoraire est élevé. L’inverse est aussi vrai, d’où des frais supérieurs pour les clients ayant un actif plus faible.
Selon Benjamin Felix, la divulgation obligatoire aux clients des commissions de première année, des commission de suivi, des bonis afférents et autres frais liés à la distribution des fonds, prévue avec la réforme du Modèle de relation client-conseiller phase 2 (MRCC 2) a contribué à accélérer le passage aux honoraires.
«Les fonds de série F ne conviennent donc pas aux clients qui ont peu d’actif sous gestion, puisqu’ils paieront souvent des honoraires plus élevés au conseiller. Le conseiller et la firme de courtage devraient avant tout déterminer quel type de rémunération convient le mieux pour le client», affirme Dan Hallett, analyste et vice-président chez HighView Financial Group.
Son collègue, Adam Laird, a également mis en ligne une vidéo éducative qui explique comment les fonds de série F peuvent leurrer les clients. «On présente les fonds de série F comme une nouvelle solution pour les clients conscients de l’importance de minimiser les frais, alors que ces fonds existent depuis 15 ans. Dans les faits, ce sont les nouvelles divulgations règlementaires qui poussent certains conseillers vers cette catégorie de fonds», dénonce-t-il.
Il reste que les clients à valeur nette élevée peuvent profiter d’une réduction de leur frais de gestion annuels réel grâce à la rémunération à honoraires.
Transactionnel encore vivant
Aucune forme de rémunération n’est parfaite (lire l’encadré ci-dessous).
Toutefois, selon Jacques Maurice, conseiller en placement chez ScotiaMcLeod, l’approche transactionnelle demeure la façon la moins coûteuse de servir le client. Ce dernier gère avec son équipe de 21 personnes plus de 5,8 G$ et sert quelque 4 000 comptes clients. «Nous ne faisons aucun fonds commun de placement et plus de 90 % de nos clients paient des frais à la transaction. Ces clients paient en moyenne 17 points de base par an pour faire affaire avec nous», précise-t-il.
«Pour nous, le client passe avant la rémunération du courtier. Notre gestion de style valeur nous permet également d’éviter de négocier souvent. On ne fait pas de placements cycliques, ni d’achats de titres pétroliers ou d’or, par exemple. On recherche des grosses capitalisations qui versent des dividendes et qu’on pourra détenir longtemps», explique Jacques Maurice. Eh oui, cela prend plus de temps et beaucoup de personnel pour bien servir et appeler les clients lorsque c’est nécessaire, convient-il.
Or, il est aussi vrai qu’une part grandissante de la clientèle souhaite être à honoraires, concède-t-il. «Ceux qui voyagent constamment, les médecins qui opèrent, vont souvent préférer la gestion discrétionnaire. Cela représente maintenant 10 % de nos actifs, et cela ne m’étonnerait pas qu’on atteigne 20 % d’ici deux ans. En gros, on s’assure d’offrir à nos clients le modèle de rémunération qui est le meilleur pour eux financièrement.»
La clientèle à honoraires du Groupe Jacques Maurice paie entre 50 et 75 points de base par an, et ces frais sont partiellement déductibles d’impôt dans les comptes non enregistrés, ce qui n’est pas le cas des commissions. L’ensemble des clients a également accès sans frais supplémentaires aux services d’un planificateur financier, d’experts comptables ou d’autres spécialistes qui les conseilleront.
«Ce modèle fonctionne seulement si on a une clientèle importante. Les conseillers qui ont entre 50 et 200 M$ d’actif devront demander des honoraires de 1 %, et même 1,50 %, afin de maximiser leurs revenus. Lorsque les rendements ne sont pas au rendez-vous ou encore que le client fait beaucoup de placements à revenu fixe, alors que les taux sont très bas, un tel modèle ne tient pas la route», dit-il. Les conseillers sont voués à grossir leur équipe et à se regrouper afin d’atteindre une masse critique d’actifs qui permet de réduire ces frais, croit Jacques Maurice.
Une question de rotation
La rémunération à honoraires peut être plus avantageuse pour le client que celle par transactions, surtout dans les portefeuilles où il y a beaucoup de transactions et de rotation d’actif, soutient Michel Mailloux, planificateur financier et président de Deontologie.ca.
«Les honoraires ne sont pas mauvais en soi, mais ne sont pas non plus une panacée puisqu’un portefeuille investi pour le long terme ne nécessite pas de faire énormément de transactions. Les changements dans le portefeuille devraient être occasionnels, soit un roulement de 5 % à 20 % par an tout au plus. À 100 % de roulement, on pourrait soupçonner que le conseiller fait du barattage (churning) et que ces transactions ne sont pas justifiées, mais qu’elles visent à générer plus de commissions», affirme Michel Mailloux.
«Le conseiller a le devoir d’agir dans les meilleurs intérêts de son client. À moins que ce ne soit clairement expliqué au client, il faudrait que ce dernier ait le choix entre la rémunération à honoraires ou par transaction. Dans le cas d’une gestion de type indiciel avec des FNB, par exemple, on ne devrait pas payer des honoraires très élevés. Cela dépendra également du degré de connaissance du client et de l’ampleur de son portefeuille», affirme Michel Mailloux.
Selon ce dernier, une éventuelle abolition des commissions de suivi risque non seulement d’enlever un choix au client, mais aussi d’effacer cette obligation de réviser la situation du client qui force présentement le représentant à faire de l’ordre dans les portefeuilles lorsque c’est nécessaire, afin de s’assurer que le profil de l’investisseur est convenable.
Les ratés des honoraires
Il reste que la récente croissance du nombre de comptes à honoraires a connu certains ratés administratifs. Selon des ententes de règlement entre la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) et plusieurs institutions financières, celles-ci auraient surfacturé des milliers de clients. Dans certains cas, des commissions de suivi auraient été perçus pour des comptes à honoraires, d’où une double facturation.
Ces ratés témoignent également de cette confusion entre les différentes catégories de fonds, et la façon dont sont rémunérés les conseillers, les sociétés de fonds et les firmes de courtage, même au sein de celles-ci. «Les compensations de centaines de millions de dollars versées par l’industrie aux clients touchés nous rappellent que des conflits d’intérêts sont possibles», ajoute Dan Hallett.