Toutefois, la crise qui s’éternise avec des taux d’intérêt déprimés fait ressortir des risques tout à fait uniques aux caisses de retraite : le risque de pension et le risque de longévité. Ajoutés aux risques de marché, ces risques amènent les caisses de retraite à multiplier les avenues pour réduire leurs déficits et accroître leurs rendements, tout cela en vue d’honorer leurs engagements à l’endroit des bénéficiaires.

Face aux risques de marché, la crise a amené les responsables de caisse à revoir plusieurs équations fondamentales. Par exemple, le sacro-saint principe de diversification a été complètement révisé. «À cause de la mondialisation, la diversification géographique est devenue une illusion, signale Roland Lescure. Quand le marché grec a éternué, le marché coréen a trébuché.»

Pourtant, la diversification demeure à l’honneur, mais dans une perspective différente. «La vraie diversification, soutient Emmanuel Matte, vice-président d’Investissements Standard Life, se fait par les entreprises même dans lesquelles vous investirez», quel que soit leur secteur ou leur emplacement géographique.

«Quand je diversifie, poursuit-il, ce n’est plus en fonction de diverses catégories d’actifs, mais en fonction d’expositions à différents risques. On appelle cela «la répartition par facteurs de risque».

Les fameux modèles mathématiques, comme le notoire modèle VAR (value at risk), ont été revus en profondeur. Surtout, ils ont été réajustés pour tenir compte de déviations beaucoup plus extrêmes, indique Roland Lescure.

Tests de tension

L’accent est maintenant mis sur les tests de tension qui tentent, par la simulation, de voir comment le portefeuille réagirait à différents chocs : hausse de taux brutale, chute de l’euro, défaut de paiement d’un pays, etc.

D’autres modèles, qu’on pourrait appeler «modèles de répartition d’actifs», sont également en train de se dessiner. Par exemple, plusieurs remplacent le modèle de rendement «relatif», où le gestionnaire évalue ses résultats par rapport à un indice de référence, par un modèle de rendement absolu.

Un rapport de Pyramis Global Advisors, division de Fidelity Investments, parle de deux autres modèles qui gagnent en faveur : la répartition par facteurs de risque, déjà mentionnée, et la répartition par secteurs alternatifs, particulièrement les infrastructures, le placement privé et l’immobilier.

Ces nouveaux modèles de répartition cherchent notamment à arracher les portefeuilles à la léthargie de rendement imposée par les taux d’intérêt abyssaux, indique Jeff Moore, auteur du rapport de Pyramis.

Apparier passif et investissement

Ce risque accru pourrait être la conséquence de la préséance d’un autre modèle qui gagne en popularité dans les caisses de retraite : l’investissement guidé par le passif. Cette approche «tient compte du passif dans la façon d’investir selon une stratégie qui consiste à réduire le poids des actions et à augmenter celui des obligations», explique Yves Allard, directeur, développement des affaires, solutions prestations déterminées, de la Financière Sun Life.

En effet, le passif d’une caisse de retraite (ses engagements à l’endroit de ses prestataires) est directement lié à la partie obligataire du portefeuille dans une logique compensatoire. Quand les taux d’intérêt baissent, le passif s’accroît, car le paiement des rentes devient du coup plus onéreux ; toutefois, cette baisse est compensée par la valeur des obligations qui montent.

Or, pour combattre la baisse des taux qui prévaut depuis des décennies, explique Yves Allard, les gestionnaires ont rempli leurs portefeuilles d’actions qui, en théorie, devraient donner plus de rendement que les obligations. Mais la performance boursière des dix dernières années a contredit cette théorie.

D’où les déficits qui ne cessent de se creuser : les rendements sont toujours insuffisants pour respecter les engagements. C’est le risque de pension, qui afflige tout particulièrement les responsables de caisses de retraite. Et toutes les nouvelles approches que ceux-ci pratiquent – diversification à base de facteur de risque, tests de tension, investissement guidé par le passif, etc. – sont essentiellement des mesures pour tenter de l’atténuer.

Or, devant ce risque qui refuse de disparaître, la tentation est grande de le transférer à quelqu’un d’autre. Et c’est ce que font plusieurs fonds de pension. La première mesure, la plus pratiquée, est bien connue : on privilégie désormais les régimes à cotisation déterminée, où tous les risques reposent désormais sur les travailleurs.

L’autre mesure est celle des rentes collectives qu’une caisse achète auprès d’un assureur. Cette mesure a récemment été projetée au premier plan par deux événements sans précédent : en juin 2012, General Motors a retranché 25 G$ US au passif de son fonds de pension en achetant de l’assureur Prudential une rente collective pour un sous-groupe de ses prestataires. En octobre, Verizon a fait de même, toujours auprès de Prudential, pour une somme de 7,5 G$ US.