À la fin de 2012, le bénéfice net de 55 sociétés de détail, soit la moitié des courtiers au détail canadiens indépendants, était négatif, relève Ian Russell, président et chef de la direction de l’ACCVM.
«C’est 30 % de plus qu’en 2010», ajoute-t-il.
Le constat est tout aussi triste pour les firmes spécialisées, notamment celles qui servent le marché institutionnel, note l’ACCVM dans un document publié en mars dernier.
«Il est vrai que les dernières années ont été très difficiles», opine Patrick Belland, président et directeur général de Pavilion Marchés mondiaux, de Montréal.
Les volumes de négociation sont en chute libre, les actions canadiennes ont connu une performance ordinaire depuis 2008 et les coûts augmentent sans cesse, dit Patrick Belland.
«La structure des coûts fait en sorte que les charges opérationnelles augmentent, tandis que les revenus restent un peu les mêmes.»
La plupart des courtiers indépendants faisant surtout de la négociation de titres canadiens, les faibles volumes de transactions boursières ont miné les revenus tirés des commissions de courtage. En effet, le TSX affiche des baisses trimestrielles de près de 25 % des volumes de négociation depuis deux ans.
D’ailleurs, les produits d’exploitation combinés des firmes de courtage indépendantes ont fondu de 1 G$ de 2007 à 2012, pour s’établir à 2,1 G$ au 31 décembre 2012.
Le bénéfice d’exploitation combiné a quant à lui chuté encore plus dramatiquement : il était de 606 M$ en 2007, tandis que les courtiers de détail canadiens déploraient des pertes de 18 M$ au 31 décembre dernier.
Sans compter que les frais, eux, s’accroissent constamment.
Alors que les frais administratifs pour l’ensemble des 196 sociétés canadiennes augmentent de 5 % par an en moyenne depuis 2005, les boutiques et les courtiers spécialisés voient leurs coûts de conformité augmenter de près de 4 % par an depuis 2005, selon Ian Russell.
Les petites firmes et les conseillers en placement indépendants ne bénéficient pas des économies d’échelle des grands courtiers bancaires, qui profitent ainsi d’un avantage concurrentiel supplémentaire.
«Cela occasionne plus de paperasse pour l’adjointe d’un conseiller qui est purement indépendant», et une masse de travail et d’investissements plus marqués pour le petit acteur, remarque Sara Gilbert, présidente du cabinet de consultation Strategist(e).
Chez un grand courtier, on bénéficie des services intégrés.
Consolidation
Cependant, tout n’est pas noir.
Ainsi, les sociétés intégrées – soit les 11 grands courtiers bancaires – ont continué de générer sensiblement les mêmes produits d’exploitation, qui étaient de 11,3 G$ au 31 décembre dernier, par rapport à 11,1 G$ en 2007.
Ces courtiers ont pu atténuer les conséquences des nombreuses déconvenues boursières de 2008, notamment grâce à leur mainmise sur la négociation des titres de revenu fixe, selon l’ACCVM.
Par ailleurs, l’essor de la gestion de patrimoine a permis aux sociétés intégrées de pallier les baisses affichées par de moins forts volumes de négociation et une baisse des actifs sous administration.
«Chaque crise provoque un renforcement de celles qui sont déjà bien positionnées», observe pour sa part Éric Lauzon, vice-président régional, Est-du-Canada, chez Assante.
Parce qu’elles sont diversifiées, elles peuvent tirer avantage d’un déplacement des marges bénéficiaires, poursuit Ian Russell.
De plus, quand les temps sont difficiles pour les petits courtiers, leur rachat n’est jamais bien loin : au cours des quatre années qui ont suivi la crise, Wellington West, Valeurs mobilières HSBC, Blackmont Capital et Gestion de patrimoine Dundee, notamment, ont disparu.
Avec pour conséquence que les grands courtiers bancaires génèrent maintenant 74 % des revenus tirés des activités de détail, par rapport à 70 % en 2006.
Ils contrôlent en outre 74 % des revenus tirés des services bancaires d’investissement, un pourcentage qui a explosé par rapport à 2006, quand il n’était que de 56 %.
Démographie
L’augmentation des liquidités dans l’industrie a également fortement profité aux sociétés intégrées. L’ACCVM note que ces liquidités ont augmenté de 10 G$ depuis la crise de 2008, pour atteindre 33 G$. Ces sommes, soustraites aux marchés des actions, ont continué d’alimenter la bonne tenue des sociétés intégrées durant les cinq dernières années.
Un mouvement de liquidités sur les marchés suggère une migration temporaire.
Or, «c’est plus que temporaire, c’est un mouvement démographique, observe Éric Lauzon. Les personnes âgées investissent dans des placements à revenu fixe, dans le marché monétaire, etc. Ces produits ne rapportent pas beaucoup aux boutiques, qui font leur argent dans les actions canadiennes».
Un constat que fait également la consultante Sara Gilbert.
«Les clients qui arrivent à la retraite consolident leur actif auprès d’une seule institution», le plus souvent une banque.
Les courtiers indépendants voient cette cagnotte leur échapper, constate celle qui conseille les indépendants en matière de développement des affaires et de conformité.
Ajoutons à cela que les besoins de cette clientèle sont de plus en plus importants, en raison de la planification financière et successorale, la fiscalité, l’assurance, etc.
Ce phénomène démographique est «un changement qui devient structurel», ajoute Patrick Belland.
Tous les modèles d’affaires ne sont pas touchés de la même façon, cependant. Pour Éric Lauzon, la taille d’Assante, qui gère un actif de 29 G$, est évidemment un des remparts contre les tendances baissières de l’industrie.
«Nous sommes également bien diversifiés et nous facturons surtout sur honoraires», diminuant d’autant les pertes causées par des baisses des commissions de courtage.
À l’opposé, «les petits acteurs qui misent sur deux ou trois produits seulement ont de meilleures chances de s’en sortir», soutient pour sa part Patrick Belland.
Il reste que la survie des courtiers situés en périphérie des grands groupes intégrés est vitale pour l’industrie, postule Ian Russell.
«En fin de compte, la situation menace les investisseurs et les petits émetteurs, et pose un risque pour la concurrence et la liquidité des marchés.»