Après plus de 23 ans de carrière en tant qu’intervenante sociale et organisatrice communautaire, Diane Lebouthillier a réussi à se tailler une place dans un monde politique traditionnellement masculin. D’abord élue préfet de la MRC du Rocher-Percé en 2010, elle a fait le saut en politique fédérale en 2015, où elle est depuis ministre du Revenu national. À première vue, pourtant, rien ne la prédestinait à de telles fonctions. Finance et Investissement s’est entretenu avec elle en marge de la conférence Femmes dans l’industrie financière, mercredi.
Finance et Investissement : Quelle a été votre réaction lorsque le premier ministre Justin Trudeau vous a confié le ministère du Revenu national, domaine dans lequel vous aviez peu d’expérience?
Diane Lebouthillier : En fait, l’ensemble de ma carrière politique était inattendue. Mais quand j’ai reçu un appel pour m’annoncer que j’étais pressentie pour un ministère, ça a été tout un choc. Ottawa, c’est loin de la Gaspésie! Je savais que ma vie allait changer complètement. Lorsque j’ai rencontré le premier ministre, il m’a expliqué qu’en raison de mon parcours de vie, il voulait me confier le ministère du Revenu national. Au début, les mots me manquaient. Je suis intervenante sociale, tout ce que je savais à l’époque du revenu national, c’est que les Canadiens devaient produire des déclarations de revenus.
FI : Les premiers mois ont-ils été difficiles?
DL : Ça a été un apprentissage intense. Je me suis mise à la tâche rapidement pour apprendre le langage et les rouages de l’Agence du revenu du Canada (ARC). C’est une organisation énorme qui compte 42 000 employés, et jusqu’à 46 000 lors de la saison des impôts. J’ai dû me familiariser avec de nombreux dossiers, dont ceux de l’évasion fiscale et de l’économie clandestine. Pour moi, c’était une vraie boîte à surprise. Ce qui m’a aidée, c’est que je suis quelqu’un de terrain. À mon arrivée, j’ai décidé de faire le tour de tous les bureaux de l’ARC à travers le pays pour aller à la rencontre des employés, constater les difficultés qu’ils vivaient, et les solutions qu’ils proposaient. J’ai appris beaucoup de choses sur le terrain. Le premier ministre m’avait aussi demandé de me concentrer sur le service à la clientèle. Ça tombait bien, parce que travailler pour répondre aux besoins des gens, c’est ce que j’ai fait toute ma vie dans le secteur de la santé et comme préfet.
FI : L’Agence du revenu du Canada (ARC) est-elle encore un monde d’hommes?
DL : Contrairement à ce que les gens peuvent croire, 60 % des employés de l’ARC sont des femmes. Par contre, c’est vrai qu’il pourrait y avoir davantage de femmes dans les postes de haute direction. On doit offrir aux femmes la chance d’obtenir des postes de cadre. À mon avis, on va pouvoir y arriver en améliorant la conciliation travail-famille. Oui le monde a évolué, oui les hommes s’impliquent davantage dans l’éducation des enfants, mais il demeure que les femmes sont encore très préoccupées par leur vie familiale. Je vois des mères qui sont déchirées, qui veulent consacrer du temps à leur famille, mais qui mènent aussi une carrière très exigeante. On doit trouver le bon équilibre. Ce n’est pas facile pour les femmes, mais je vous dirais que ce n’est pas facile pour les jeunes pères non plus.
FI : Vous êtes passée du secteur de la santé, majoritairement féminin, au milieu politique, traditionnellement masculin. En tant que femme, comment avez-vous vécu cette transition?
DL : J’ai toujours été féministe. Je me suis toujours considérée égale aux hommes et senti que moi aussi j’avais une voix. Quand je suis arrivée en politique municipale, un monde d’hommes et de têtes blanches, je n’ai pas été nécessairement accueillie à bras ouverts. Ça ne m’a pas empêchée de prendre ma place. Lorsque je suis arrivée à Ottawa, je n’ai pas senti de difficultés particulières, tout s’est bien passé avec mes collègues.
FI : Quel conseil donneriez-vous à une jeune femme qui rêve d’une carrière politique?
DL : Il ne faut pas hésiter à se lancer, c’est toujours de cette façon-là que j’ai avancé. On ne doit pas avoir peur d’essayer et faire preuve de persévérance et de ténacité. Ça ne fonctionnera pas toujours, mais au moins on aura tenté le coup.