«Toutefois, les investisseurs ne devraient pas laisser la BCE leur communiquer indûment un sentiment de sécurité, y lit-on. Au mieux, la BCE a gagné du temps pour donner aux leaders européens l’occasion de mettre au point un plan de rétablissement. Malheureusement pour ces derniers, les obstacles géopolitiques et économiques à surmonter restent considérables.»

Sur le plan économique d’abord, tous les indicateurs sont dans le rouge, ou très près du rouge.

«Selon le FMI, même l’Allemagne croîtra plus lentement à un rythme annuel de 0,8 %, tandis que le rythme de croissance de la France sera de 0,4 %, indique Alessandro Barattieri, professeur d’économie à ESG-UQAM. Quant aux pays du sud (Grèce, Italie, Espagne, Portugal), ils sont presque tous en récession. De plus, le taux de chômage augmentera encore : en France, il est déjà de 10,5 %, en Italie, de 11 %, en Espagne et en Grèce, de 25 %.»

De son côté, Jean-Pierre Couture, économiste et stratège des pays émergents chez Hexavest, n’hésite pas à appliquer le mot «dépression» aux pays du PIGS (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne). «Ajoutez le Japon à l’Europe et un tiers de la planète est en récession, dit-il. C’est sans compter que tous les autres pays fonctionnent sous leur potentiel : cet environnement ne permet pas de faire des profits.»

Ainsi, l’Europe ajoute beaucoup de vulnérabilité économique et financière à une économie mondiale fragilisée. Toutefois, l’élément le plus instable de l’équation européenne n’est pas économique ; il est politique.

La maison européenne est en effet divisée entre pays créditeurs et pays débiteurs. Et cette division entraîne beaucoup de ressentiment.

«Les taux élevés que l’Italie doit payer subventionnent les bas taux que paye l’Allemagne», disait récemment le premier ministre italien Mario Monti. La situation n’est pas améliorée par le fait que les autorités de réglementation des pays créditeurs ont accru la pression sur leurs banques pour réduire leur exposition aux pays les plus troublés de la zone, notent Angelo Katsoras et Pierre Fournier.

Bien sûr, les politiciens essaient tant bien que mal de relancer la croissance, mais la logique qui prévaut est celle de l’austérité.

«Cette austérité que réclame l’Allemagne achève tout sur son passage, observe Michel Santi, conseiller économique en Europe, spectateur aux premières loges de la crise et auteur du livre Splendeurs et misères du libéralisme, aux Éditions L’Harmattan. L’austérité va assécher le peu de consommation qu’on y trouve et pousser les économies vers la déflation par la dette : plus les débiteurs remboursent leur dette, plus elle devient grande.»

De division à déchirement

Résultat : les divisions risquent de devenir des déchirements. Où ? Parmi les populations. La clé d’un choc supplémentaire ou d’une accalmie dans les marchés financiers réside dans les réactions des populations aux austérités qu’on leur impose, jugent les observateurs à qui Finance et Investissement a parlé.

Tout d’abord, on risque de voir des manifestations plus fréquentes de citoyens en colère. Deux élections majeures leur donneront l’occasion d’exprimer cette colère : en avril prochain pour les Italiens, peuple débiteur ; en septembre pour les Allemands, les créditeurs du marasme.

En Italie, le premier ministre Mario Monti a démissionné avant Noël et son parti mène avec seulement 25,9 % d’appui populaire, tandis que le Mouvement Cinq-Étoiles de Beppo Grillo le talonne avec un taux d’appui de 21 %. Ce parti veut sortir l’Italie de l’UE et interrompre le paiement de la dette nationale. En Allemagne, la population pourrait orienter le résultat vers un parti qui exigerait encore plus d’austérité. «Nous aurons donc neuf mois d’incertitude au cours desquels l’orientation politique ne sera pas claire, avance Alessandro Barattieri, professeur d’économie à ESG-UQAM. La situation restera donc énervante pour les marchés.»

Toutefois, la crise européenne pourrait passer au second plan si le problème américain du précipice budgétaire ne se résout pas, fait ressortir à juste titre cet universitaire. Pour la première partie de l’année, les marchés ne vivraient que dans les remous de cet événement. Par contre, la crise européenne pourrait dans un deuxième temps venir hanter les marchés à nouveau et peut-être gâter la sauce encore plus.

Fantôme plus transparent

Heureusement, le coefficient chinois de déstabilisation des marchés semble en baisse, du moins selon une majorité d’économistes. «Nous commençons à voir des signes de revitalisation, mais seulement très graduellement, soutient Sarah Howcraft, économiste à la Banque Scotia. La croissance pourrait passer de 7,7 % en 2012 à 8 % en 2013.»

Une telle remontée signifierait que l’économie chinoise connaîtrait un atterrissage en douceur plutôt que l’atterrissage brutal qu’on appréhendait l’été dernier.

Tout le monde s’entend pour dire que la croissance annuelle débridée de 9,7 % des dix dernières années ne reviendra plus, reconnaît Sarah Howcraft. Le rythme de croisière sera désormais d’environ 8 %, du moins pour quelques années. C’est la perspective optimiste.

D’autres voix, et non des moindres, voient la situation chinoise d’un oeil plus pessimiste. Par exemple, Roubini Global Economics (RGE), de New York, prévoit que le modèle de croissance chinois fondé sur l’investissement ne tiendra plus la route, mais pas avant 2014. Toutefois, la situation risque de se détériorer graduellement au cours de 2013, ce qui entraînera un retour du fantôme chinois qui hantera les marchés boursiers.

«Selon l’entropie, l’économie chinoise tendra vers des taux de croissance plus bas au cours des prochaines années, car il y a plus de façons de démantibuler le modèle actuel de croissance qu’il n’y en a de le maintenir», peut-on lire dans le China Monthly du 3 décembre de RGE.

«Nous persévérons dans notre prévision d’une croissance de l’ordre de 4 à 6 % après 2013, l’investissement chutant de son niveau actuel d’une croissance annuelle de 12 à 13 % à une hausse de 2 à 4 %, tandis que la consommation demeurera soutenue autour de 7 à 8 %.»

RGE voit à seulement 20 % les possibilités que la Chine maintienne un rythme de croissance entre 6 et 8 %, et à 30 %, les possibilités d’un atterrissage brutal entre 2013 et 2016.

Que veut dire ici «brutal» ? Une chute à 3 %, suivie d’une remontée et d’une stabilisation autour de 5 %, les politiques gouvernementales se montrant incapables de rétablir l’investissement dans l’immobilier et dans les infrastructures à des niveaux suffisants.