Pour la période allant d’août 2005 à août 2015, cet indice affiche un rendement supérieur de 120 % à celui du S&P/TSX. Sur une base annualisée, les rendements de l’indice BNC des entreprises familiales canadiennes s’élèvent à 11,3 % par rapport à 5,6 % pour l’indice composé S&P/TSX, lit-on dans l’étude.

«Selon les théories de gestion des années 1990, les entreprises à contrôle familial auraient dû disparaître», rappelle Isabelle Le Breton-Miller, professeure agrégée et titulaire de la Chaire de recherche sur la relève et sur l’entreprise familiale à HEC Montréal.

Loin d’être mortes

Archaïque, le modèle de l’entreprise familiale devait céder sa place à l’entreprise moderne contrôlée par des dirigeants et un actionnariat anonyme. «On pensait que les sociétés ouvertes dotées d’une direction professionnelle seraient mieux placées pour mobiliser des capitaux, attirer du personnel hautement qualifié et dégager des profits supérieurs», apprend-on dans l’étude.

Les gourous se sont gourés. L’entreprise familiale demeure la réalité de base pour 90 % de l’économie nord-américaine, affirme l’étude, qu’il s’agisse du dépanneur du coin ou d’un géant comme Loblaws.

De plus, le phénomène ne se cantonne pas au Canada et il est plus marqué ailleurs. Selon McKinsey, en 2014, les sociétés contrôlées par des familles représentaient 19 % des entreprises du Fortune Global 500.

«Environ 60 % des sociétés du secteur privé dans les pays en développement réalisant un chiffre d’affaires de 1 G$ ou plus étaient contrôlées par des familles en 2010», rapporte l’étude de la BN.

En réalité, sous le vocable «entreprise familiale», ce sont les structures d’actionnariat avec actions à votes multiples que visent les critiques, fait ressortir Yvan Allaire, président exécutif du conseil d’administration de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP).

«Ils réclament la démocratie de l’actionnariat avec un droit, un vote, dit ce dernier. Mais si vous voulez les mêmes règles dans les entreprises que dans les sociétés civiles, leur dis-je, vous voterez seulement tous les quatre ans, et les nouveaux arrivants ne pourront pas voter non plus. Quand je leur lance ça, les gens ne parlent plus beaucoup.»

Or, loin d’être reléguées aux oubliettes, les entreprises qui disposent de catégories d’actions à votes multiples se multiplient, note Yvan Allaire, qui cite des exemples récents, comme Google et Facebook.

L’avantage familial

La performance remarquable des 30 entreprises de l’indice de la BN tient à des facteurs culturels et qualitatifs. «Ce sont les facteurs « mous » qui donnent l’avantage à plus long terme», affirme Angelo Katsoras, analyste géopolitique à la BN et un des auteurs de l’étude.

Ces facteurs «mous» se manifestent de quatre façons. Tout d’abord, les entreprises publiques à contrôle familial résistent mieux aux exigences des marchés d’accroître les profits à court terme au détriment des investissements à long terme, qui ne seront rentables que dans plusieurs années et même dans les générations futures.

Ensuite, la volonté de transférer une entreprise en bonne santé à la prochaine génération fait en sorte que ces entreprises réussissent mieux à maintenir leurs hauts dirigeants orientés vers des objectifs à long terme. Elles exercent également un meilleur contrôle de leur endettement que les entreprises à actionnariat diffus. Enfin, elles retiennent presque trois fois plus longtemps en poste leurs chefs de la direction.

Tout en saluant l’étude de la BN pour le thème qu’elle met de l’avant, Isabelle Le Breton-Miller en remet en question quelques aspects, notamment ses critères de sélection des 30 entreprises de l’indice.

Les trois critères sont : a) une famille doit détenir plus de 25 % du pouvoir de vote et/ou b) doit avoir une influence importante sur la gestion en occupant des postes de direction clés ou en exerçant un rôle important au sein du conseil d’administration et/ou c) les membres de la famille doivent être en mesure de prendre la relève ou avoir le pouvoir de nommer le chef de la direction.

«C’est un peu flou», commente Isabelle Le Breton-Miller. Ou, plus exactement, trop large. «Et pourquoi une seule entreprise située en Colombie-Britannique, ajoute-t-elle, alors que le Québec est surreprésenté (13 compagnies sur 30) ? Je ne comprends pas.»

Il ne fait pas de doute que les entreprises de l’indice BN affichent une performance spectaculaire, surtout à partir de 2009, au lendemain de la crise financière. Mais cet indice est-il représentatif de l’ensemble des entreprises publiques à contrôle familial au Canada ?

Yvan Allaire, qui a fait une étude de ces entreprises en 2008, croit qu’il est représentatif. Isabelle Le Breton-Miller ne le croit pas. Ce que ses propres études montrent, de même qu’une méta-analyse synthétisant quelques centaines d’études, c’est que «l’entreprise familiale» montre une certaine surperformance, mais dans certains cas très spécifiques.

Par exemple, une méta-analyse récente, englobant de 200 à 300 études, «trouve une très légère surperformance des entreprises familiales sur le plan du rendement de l’avoir des actionnaires», toutefois «seulement quand la famille est propriétaire, mais ne gère pas», note l’universitaire. D’autres études montrent que l’entreprise familiale ne surperforme que durant la période où le fondateur est encore aux commandes.

«Tout dépend de la façon dont on définit l’entreprise familiale», ajoute-t-elle. Ainsi, Aliments Couche-Tard, qui compte trois actionnaires de contrôle, peut-elle vraiment être considérée comme une «entreprise familiale», demande Isabelle Le Breton-Miller ?

La mise au point d’un tel indice soulève la question de savoir si la BN entend l’utiliser comme base d’un fonds négocié en Bourse ou d’un fonds commun.

Aucun projet dans ce sens n’existe pour l’instant, affirme Daniel Straus, chef de la recherche sur les FNB à la Financière Banque Nationale, à Toronto, et un des auteurs de l’étude. Pour l’instant, l’objectif de l’étude «est de faire ressortir la valeur du secteur tel quel».