Les panelistes Jim Young, vice-président à Invesco Canada, Glenn Fortin, gestionnaire de portefeuille à Beutel Goodman & Co, Michael Mattioli, directeur général et gestionnaire de portefeuille chez Manulife Asset Management (U.S.), et Stephen Groff, directeur et gestionnaire de portefeuille à Cambridge Gestion mondiale d’actifs, une division de Placements CI, remettent en perspective la faiblesse du marché actuel et le sentiment négatif des investisseurs.
Question : Le marché boursier américain, mesuré par l’Indice S&P 500, a produit un rendement total de 0,7 % sur les 12 mois qui ont expiré à la fin janvier. Le mois de janvier a été plutôt faible avec un rendement total de 5 %.
Jim Young, vice-président à Invesco Canada : Le début de l’année a été difficile. Il s’ensuit un cercle vicieux, causé principalement par le prix de l’énergie, un dollar américain fort et la situation en Chine. C’est un environnement difficile. Il semble qu’il y ait une modeste récession dans le secteur industriel américain. Le consommateur semble encore bien se porter, bien qu’il se montre plus sélectif dans ses dépenses et se concentre sur les maisons et les voitures. Le changement rapide des données fondamentales de certains secteurs rend difficile aux investisseurs d’évaluer les modèles commerciaux de certaines compagnies. On a aussi tendance à « marchandiser » rapidement les produits, ce qui constitue une difficulté supplémentaire. Du côté positif, les bilans financiers des compagnies sont bons. L’innovation se produit rapidement et les compagnies novatrices en profitent. Malgré les problèmes, je pense que la faiblesse du marché boursier américain constitue une pause plutôt que le début d’un marché baissier. À un moment ou à un autre, les investisseurs commenceront à se concentrer sur les côtés positifs.
Glenn Fortin, gestionnaire de portefeuille à Beutel Goodman & Co : Il y a environ un an, nous atteignions des sommets à la bourse américaine et les surévaluations régnaient presque partout. Au fur et à mesure que l’été avançait, on s’inquiétait de plus en plus de l’économie chinoise. Vers la fin de l’année, les perspectives de l’économie américaine semblaient moins prometteuses, et à cela se sont ajoutées les mesures prises par la Réserve fédérale américaine. Nous avons connu une hausse du taux des fonds fédéraux en décembre. A l’heure actuelle, les économies extérieures aux États-Unis ne se portent pas bien, et la situation de l’économie américaine est préoccupante. Il y a toujours la Fed et l’inquiétude qu’elle suscite. Nous sommes passés d’un consensus de quatre augmentations possibles des fonds fédéraux cette année, à peut-être une seule augmentation.
Stephen Groff, directeur et gestionnaire de portefeuille à Cambridge Gestion mondiale d’actifs: Les investisseurs passent bien trop de temps à s’inquiéter de 25 points de base plutôt qu’à se concentrer sur les compagnies, les équipes de direction et leur affectation du capital, qui est le thème sur lequel nous nous concentrons.
GF : L’an dernier, la bourse américaine était caractérisée par sa concentration sur les actions axées sur l’élan, qui se sont extrêmement bien comportées. Il s’agit des célèbres FANG, acronyme pour Facebook (FB), Amazon.com (AMZN), Netflix (NFLX) et les deux catégories d’actions d’Alphabet (GOOG) et (GOOGL), la société mère de Google. L’an dernier, les indices d’élan et de croissance se sont bien comportés, tandis que l’indice axé sur la valeur a été relativement bas. Il y a eu un écart important entre leurs rendements. Les choses peuvent changer rapidement. Nous le voyons depuis le début de l’année. Cela pourrait être le début du basculement du marché axé sur l’élan.
JY : Les investisseurs encaissent de l’argent de leurs titres gagnants. Ces actions ont obtenu des résultats spectaculaires.
GF : Les FANG ont perdu de leur mordant.
SG : Le marché est passé d’une période pro-risque à une période anti-risque. Dernièrement, LinkedIn (LNKD) a chuté de plus de 40 % en une seule journée. L’élan a emporté beaucoup de ces actions à des évaluations très élevées. Elles n’auraient jamais dû atteindre de tels niveaux en premier lieu.
Michael Mattioli, directeur général et gestionnaire de portefeuille chez Manulife Asset Management (U.S.) : Nous détectons beaucoup d’éclaircies dans l’économie américaine. Regardez la santé du consommateur américain. Les dettes sur les bilans ont nettement diminué. Le consommateur bénéficie de l’effondrement du prix du pétrole. On s’inquiète que cela ne se montre pas dans les dépenses de consommation. Selon nous, une bonne partie de l’avantage retiré de cette situation a servi à désendetter le consommateur. Sur le marché de l’emploi, on commence à voir une augmentation du salaire horaire moyen, qui devrait améliorer la participation de la population active. Les compagnies de prospection et de production énergétiques et les sociétés aux activités connexes affichent certains problèmes de bilan financier. Mais pour le consommateur, la forte baisse du prix du pétrole est une bonne chose.
JY : Son actif le plus important augmente. Le prix des maisons augmente. C’est très encourageant.
MM : Chaque million de maisons construites crée quatre millions d’emplois permanents. Dans l’ensemble, nous sommes très optimistes sur les données fondamentales. Comment ils sont liés à la valeur des entreprises et, plus important encore, ce que le marché est prêt à payer pour cela, voilà la question. Les deux ne vont pas toujours ensemble à court terme.
Q : Certainement, si l’humeur est au catastrophisme et que les données fondamentales, dans certains cas, sont supérieures aux évaluations, cela créée des occasions, non?
GF : Certaines statistiques mesurant le niveau d’optimisme suggèrent que nous sommes au plus bas en plus de 25 ans. Ça coïncide avec l’incertitude qui règne chez les investisseurs.
JY : On le voit dans les rachats de fonds communs de placement.
GF : Le marché est sensible à tout obstacle que pourraient rencontrer les compagnies à court terme. Le cas de LinkedIn est un peu extrême, mais de nombreuses sociétés ont vu leurs actions diminuer de 20 % en une journée en raison de nouvelles qui ne reflétaient pas nécessairement leurs données fondamentales commerciales à long terme. En tant que gestionnaires axés sur la valeur, c’est là que nous trouvons souvent les meilleures occasions.
JY : Nous nous concentrons sur les innovations, mais en tant qu’investisseurs axés sur la croissance à un prix raisonnable, nous ne payons pas n’importe quel prix pour cela. Parfois, les investisseurs ne réalisent pas à quelle vitesse la science avance et à quelle rapidité les idées sont commercialisées. Aux États-Unis, il existe un important secteur du capital-risque à la recherche d’idées, dont beaucoup proviennent des universités.
Q : Un exemple est Facebook.
JY : L’innovation est un moteur important de la croissance et elle tend à se cantonner aux États-Unis. Les secteurs technologiquement avancés créent des emplois à valeur ajoutée élevée et des produits à valeur ajoutée élevée qui ont de bonnes marges bénéficiaires. Les compagnies réinvestissent en elles-mêmes, ce qui crée la dynamique de l’économie. J’ai augmenté un peu ma participation au secteur des soins de la santé. Je vois aussi de nombreuses occasions dans la technologie.
Q : Pourriez-vous résumer vos réflexions sur les évaluations du marché boursier américain?
GF : Les compagnies énergétiques et de matériaux se négocient à des évaluations qui tiennent de la crise financière. Les compagnies du secteur des valeurs industrielles et d’autres qui lui sont connexes sont aussi sous pression.
JY : Les banques sont très bon marché. Elles connaissent pas mal de difficultés.
MM : Si les investisseurs craignent une récession, ils extrapolent sur ce qui s’est passé lors de la crise et de la récession la plus récente. Les investisseurs ont vu ce qui s’est passé avec les banques après la crise financière mondiale de 2008-2009. Le marché évalue les actions bancaires comme si la même chose allait se produire. Mais lorsque l’on examine les bilans financiers des banques, leurs niveaux de liquidité et les tests de tension stricts auxquels elles sont soumises chaque année, elles sont bien positionnées. Pourtant, une banque comme Citigroup (C) se négocie à 60 % de la valeur comptable de ses actifs corporels.
JY : Les investisseurs sont inquiets des pertes sur prêts bancaires au secteur énergétique. Avec le ralentissement du mois de janvier, les investisseurs ont abandonné l’idée d’une augmentation des taux d’intérêt, et pensent donc que les marges d’intérêt nettes des banques ne vont pas s’améliorer.
MM : Les grandes banques n’ont qu’un montant minuscule de prêts dans le secteur énergétique.
JY : Leurs réserves pour mauvaises créances sont excellentes.
MM : Le marché boursier affiche nettement sa réticence à prendre des risques. Les grandes banques se négocient collectivement à un multiple cours/bénéfices prévisionnels qui illustre un important rabais par rapport au ratio pour l’ensemble du marché.
SG : Une perspective intéressante sur le sentiment qui entoure le marché boursier américain est de regarder ce qui est arrivé au marché des obligations de sociétés américaines. Il y a un peu plus d’un an, à en juger des conditions de la tarification auxquelles les compagnies pouvaient collecter des fonds et à la comparer aux conditions et aux prix d’aujourd’hui, c’est le jour et la nuit. Il était facile et peu coûteux pour les compagnies de collecter des fonds il y a un an. Maintenant, certaines des compagnies ne le peuvent pas. Ce même changement de sentiment affecte le marché boursier américain.
JY : Tout comme nous avons connu une exubérance irrationnelle en 1999 et 2000, nous pourrions voir un découragement irrationnel pendant un certain temps.