«La première question que je pose à mes clients qui viennent me rencontrer pour un transfert est : « Avez-vous consulté votre comptable ? » Souvent, la réponse est négative», s’étonne le notaire et fiscaliste Jean Martel, de Notairemartel, dont l’étude est située à Mont-Saint-Hilaire.

Le conseiller consciencieux pourrait donc jouer ce rôle de déclencheur en incitant ses clients-agriculteurs à consulter un expert en fiscalité.

De plus, le conseiller fera partie de la batterie d’experts qui participeront à la mise en place de la planification successorale de l’agriculteur. Jean Martel pense notamment au comptable, au notaire, à l’assureur vie, au conseiller en sécurité financière ou au planificateur financier.

Il mentionne que la première démarche que l’on doit suggérer à l’agriculteur est de faire évaluer les impacts fiscaux des diverses options qui s’offrent à lui. «Une fois rassuré sur cette question, l’agriculteur sera plus ouvert aux autres aspects du processus», remarque Jean Martel.

C’est alors que le conseiller entre en jeu. «L’autre étape est de faire le budget personnel des fondateurs parents et de bien déterminer leurs besoins en fonction de leur espérance de vie», explique Jean Martel.

Le notaire rappelle qu’il ne faut pas oublier de tenir compte du don à l’établissement au profit de la relève dans les scénarios de déboursés. «Les enfants ne seront jamais en mesure de payer la juste valeur marchande des terres aujourd’hui : simplement dans la région de Saint-Hyacinthe, nous en sommes à une valeur excédant 15 000 $ l’arpent, alors que dans les années 1980 et 1990, on parlait de 1 000 $ l’arpent !» observe le notaire.

L’avantage du roulement

Écueil supplémentaire : la disposition réputée des biens agricoles ou des actions d’une société agricole que le transfert au conjoint ou aux enfants occasionne. Étant donné l’envolée du prix des terres et les divers quotas établis par les programmes de gestion de l’offre, on peut facilement imaginer les conséquences fiscales d’une telle disposition présumée.

Patrick Samson, comptable et conseiller en fiscalité, indique toutefois que la législation prévoit des allégements spécifiques au secteur de l’agriculture. «Les règles permettent de faire le transfert de la ferme, tant du vivant qu’au décès, et ce, bien souvent sans conséquence fiscale», explique le comptable qui oeuvre pour le service de comptabilité et de fiscalité de l’Union des producteurs agricoles (SCF-UPA) Centre-du-Québec à Nicolet.

En effet, un agriculteur peut transférer son exploitation à son conjoint ou à ses enfants pour un prix égal à son coût d’acquisition, d’où un gain en capital nul. C’est ce qu’on appelle un roulement.

Benoit Perreault, directeur principal fiscalité chez Deloitte, confirme que les dispositions législatives en matière de fiscalité agricole sont avantageuses. «Dans les cas de transfert d’exploitation agricole, il est rare que l’on n’utilise pas l’exonération du gain de capital qui peut atteindre 813 600 $ en 2015 au fédéral (montant indexé annuellement) et 1 M$ au provincial», note le comptable.

«Personnellement, je suis un fanatique de l’utilisation graduelle de la société agricole, car elle permet le fractionnement du revenu entre les conjoints et les enfants», ajoute Benoit Perreault.

Tracasseries en moins

«Souvent, je mets en place une structure où la société de personnes accueillera, lorsque l’importance des activités le justifiera, un nouvel associé incorporé, dans laquelle on effectue un transfert d’une portion de l’actif donnant lieu à un gain équivalant à l’exemption. Cela permet de profiter de l’exonération du gain en capital, en plus de fractionner le revenu entre les divers membres de la famille», explique le fiscaliste, avant d’ajouter : «De plus, la structure légale reste la même, ce qui élimine les tracasseries administratives et rassure les agriculteurs.»

Ce n’est que plus tard, la plupart du temps au moment du transfert définitif, que le comptable fractionnera l’entreprise en deux. «Par exemple, les activités de grande culture demeureront dans une société de personnes, tandis que ce qui relève de l’exploitation laitière ou avicole se retrouvera dans une société par actions. Lorsqu’on veut réaliser l’exemption, c’est plus facile lorsque le fond de terre est entre les mains des propriétaires», explique Benoit Perreault.

Cependant, le gain en capital créé par la disposition présumée de l’actif agricole, quoiqu’exonéré, pourra occasionner la perte des rentes versées en vertu des régimes publics de retraite.

«Les agriculteurs touchent souvent à la retraite des allocations du Régime des rentes du Québec, la pension de Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti du fédéral», constate Simon Rivest de Planification fiscale Simon Rivest, un cabinet spécialisé en fiscalité agricole.

«Malheureusement, le gain en capital qui découle du transfert de l’exploitation agricole, même s’il est exonéré de l’impôt sur le revenu, sera pris en considération pour la détermination des rentes versées en vertu de ces régimes publics», poursuit le planificateur financier de Joliette. Le conseiller devra donc être vigilant lors de la planification des déboursés du REER ou du FERR de l’agriculteur retraité afin de réduire autant que possible cette conséquence fâcheuse.

POUR UN AGRICULTEUR SANS RELÈVE

Les agriculteurs sans relève ne jouissent toutefois pas de ces mesures qui réduisent le gain en capital au décès. Simon Rivest a cependant une solution pour eux.

«J’ai mis en place une structure avec un conseiller en services financiers pour un client sans relève. La société agricole qui détenait l’actif a contracté une marge de crédit qui a servi à acheter une rente viagère, qui a permis à son tour, en partie, de payer les primes d’une assurance vie sur la tête de l’agriculteur. Étant donné que la police servait de garantie à la marge de crédit, les primes étaient déductibles et la rente n’était pas entièrement imposable», résume le fiscaliste. «Notre client a ainsi pu prendre une assurance avec un capital assuré plus élevé qui servira à payer les impôts sur les gains», précise-t-il.

Quand le conseiller devrait-il commencer à parler de plan de relève à son client-agriculteur ? «Il ne faut pas attendre à la dernière minute, lorsqu’un fondateur tombe malade ou qu’il prend de l’âge. La cinquantaine est la période où il faut commencer son plan de relève», précise Jean Martel.