Selon les règles actuelles, la CSF encadre les représentants sur le plan disciplinaire et de la formation, mais pas leur cabinet. Ce dernier est surveillé par l’AMF. Le rapport ministériel montre du doigt les problèmes du double encadrement, notamment l’harmonisation du courtage en épargne collective, difficile à réaliser avec le reste du Canada.
Le Mouvement Desjardins fait partie du groupe qui suggère que l’AMF absorbe la CSF et l’Institut québécois de planification financière (IFIC). L’opération éviterait certaines incohérences, selon l’institution financière.
Par exemple, Desjardins déplore que le double encadrement fasse du cabinet un acteur secondaire lorsqu’elle apprend de la CSF qu’un représentant à son emploi fait l’objet d’une plainte.
«La Chambre [ayant] juridiction sur le représentant, elle refuse de donner l’information au cabinet puisqu’il est sous la juridiction de l’AMF. Dans ce contexte, le cabinet n’a pas la possibilité d’évaluer si ses processus sont en cause et encore moins de les corriger», écrit le Mouvement Desjardins dans son mémoire.
Desjardins dénonce aussi le fait qu’il puisse s’écouler des semaines avant que l’AMF sache qu’un représentant n’a pas rempli ses obligations de formation continue et qu’elle suspende son permis, parce que ce sont les Chambres qui gèrent les registres sur la formation continue nécessaire au renouvellement des permis d’exercer.
«L’encadrement « bicéphale » n’est pas optimal sur le plan de la protection des consommateurs, il crée de la confusion et il est coûteux pour les assujettis», lit-on dans le mémoire de Desjardins remis au ministère des Finances.
De plus, la coopérative calcule qu’elle économiserait plus de 1,7 M$ par an si ses activités d’épargne collective profitaient de l’encadrement qui prévaut dans les autres provinces. Elle éviterait ainsi les cotisations de la CSF, qui est financée par l’industrie.
Facture repassée au contribuable
Daniel Guillemette, conseiller en sécurité financière chez Diversico, dénonce cette position, qui transférerait au gouvernement le coût de l’encadrement déontologique. «C’est donc l’ensemble de la population québécoise qui, au lendemain de la disparition de [la CSF], devra assumer ces coûts à travers ses taxes et impôts», écrit-il dans un mémoire.
La Fondation pour l’avancement des droits des investisseurs (Fair Canada) estime aussi que Québec devrait envisager d’intégrer la CSF à l’AMF afin d’éviter la confusion liée au double encadrement. «Cela devrait être fait de manière à augmenter, plutôt que diminuer, le niveau de professionnalisme des fournisseurs de services financiers», précise cependant Neil Gross, chef de la direction de Fair Canada.
Industrielle Alliance (iA) déplore également la confusion en ce qui concerne l’encadrement de l’industrie. «Les premiers touchés par cette confusion sont les consommateurs, qui peuvent parfois difficilement déterminer à qui soumettre leurs questions et leurs inquiétudes», écrit Yvon Charest, président et chef de la direction d’iA.
Il regrette l’inefficacité du traitement des plaintes d’un client. Ce dernier peut se plaindre autant à la CSF qu’à l’AMF. Résultat, l’assureur, le cabinet, le représentant et le consommateur doivent transmettre les mêmes renseignements à différentes entités. «Il serait plus efficace si la certification et l’encadrement disciplinaire des représentants relevaient […] de l’AMF», indique Yvon Charest.
«La CSF et la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD) devraient plutôt mettre l’accent sur leur mission de formation et de sensibilisation, voire même la valorisation du rôle de représentant», poursuit-il.
Par ailleurs, différents groupes, dont l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) et l’Association des banquiers canadiens (ABC) souhaitent que l’ACCFM soit reconnue à titre d’organisme d’autoréglementation (OAR) en épargne collective au Québec.
Royal Mutual Funds et Groupe Investors sont également de cet avis, mais posent certaines conditions, entre autres l’ouverture d’un bureau régional de l’ACCFM au Québec qui emploierait du personnel francophone, ainsi qu’une représentation québécoise au conseil d’administration.
De son côté, l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF) recommande que la CSF soit dissoute et remplacée par un ordre professionnel. Ce dernier gérerait exclusivement la formation des conseillers, et décernerait ou retirerait leurs titres professionnels. Cet ordre professionnel éventuel créerait aussi son propre régime d’auto-assurance.
L’APCSF souhaite ainsi éliminer le fait que deux régulateurs puissent poursuivre le même individu pour une même faute : «Pour protéger le public, il y a nécessité d’appliquer des règles de conformité à notre domaine, mais lorsqu’elles deviennent trop complexes ou déconnectées de la réalité du marché, les clients y perdent leur latin et les conseillers se trouvent empêtrés dans ces normes.»
Appuis à la CSF
Sans surprise, la CSF défend son rôle et prévient que son abolition diminuerait la protection des épargnants, complexifierait le régime d’encadrement réglementaire des disciplines de sécurité financière, et alourdirait le fardeau de la réglementation en fragmentant ce régime entre plusieurs OAR unidisciplinaires.
La CSF souhaite plutôt que l’AMF lui délègue des responsabilités supplémentaires, dont l’encadrement des pratiques de distribution des cabinets et de supervision des représentants qui leur sont rattachés.
Le représentant et ancien président du conseil de la CSF, Dany Bergeron, prône le transfert à la CSF des activités de registre de l’AMF (inscription, perception des cotisations, etc.), les exigences d’entrée dans la profession (formation minimale, examens, stages, etc.) et les activités d’inspection de l’AMF dans le secteur de la distribution (personnes morales et physiques).
«L’industrie et le public bénéficieraient d’une organisation plus souple et plus apte à faire face aux changements. En plus, elle simplifierait grandement l’accès au public lésé par le secteur de la distribution et diminuerait les tracasseries administratives pour les inscrits et les certifiés», lit-on dans le mémoire.
Québec devrait envisager de reconnaître la CSF comme OAR en ce qui concerne la déontologie et l’encadrement disciplinaire pour tous les acteurs en épargne collective du Québec, soit les courtiers, leurs dirigeants et leurs représentants, estiment quant à elles Raymonde Crête et Cinthia Duclos, respectivement directrice et membre du Groupe de recherche en droit des services financiers de la Faculté de droit de l’Université Laval, dans leur mémoire.
«Un encadrement unifié applicable à ces trois groupes d’acteurs permettrait d’agir de manière englobante et cohérente», lit-on dans leur mémoire. L’encadrement d’un même organisme de surveillance pourrait résoudre plusieurs problèmes, selon elles.
Option consommateur appuie la CSF et privilégie qu’elle demeure une entité distincte. L’organisme juge que le regroupement de l’encadrement du cabinet et du représentant au sein de l’AMF pourrait causer «l’affaiblissement de l’encadrement des représentants au profit de l’encadrement des cabinets».
«Le possible chevauchement des champs de compétence entre l’AMF et les Chambres évoqué dans le rapport paraît plus théorique que réel, écrit Option consommateur dans son mémoire. Ces difficultés, si elles existent, peuvent être résolues par des mécanismes de collaboration, sans constituer un motif pour l’abandon de l’encadrement des représentants.»
Le Conseil des professionnels en services financiers (CDPSF) estime quant à lui que la CSF et l’AMF ont toutes deux les compétences requises pour administrer les règles de l’ACCFM au Québec, sans reconnaître l’organisme.
«Plutôt que de réinventer la roue en refaisant tous les débats entourant la reconnaissance de l’ACCFM comme OAR pouvant exercer au Québec, le Québec devrait […] poursuivre ses travaux d’harmonisation entre les règles de l’ACCFM et québécoises», lit-on dans leur mémoire.
Planifax, Mérici Services financiers et des représentants de Mica Services financiers sont également favorables au maintien de la CSF.
«Pour les courtiers opérant uniquement sous le modèle québécois comme Mérici, nous estimons que ce modèle permet, grâce à son approche par principe, des adaptations qui favorisent l’émergence et la croissance du courtage indépendant, la compétitivité et, incidemment, un marché sain dont profitent les consommateurs», lit-on dans le mémoire de Mérici.
Ce cabinet déplore que le rapport ministériel ravive le «faux débat» du double encadrement. «Rien n’empêche les courtiers ayant des opérations pancanadiennes d’appliquer au Québec les règles de l’ACCFM, lesquelles sont conformes au régime québécois», écrit Mérici, soulignant qu’il est faux de prétendre que l’encadrement actuel engendre des coûts supplémentaires.
Par ailleurs, Daniel Guillemette, qui souhaite le maintien de la CSF, plaide qu’un comité de discipline, composé de membres exerçant la même profession que les conseillers fautifs, constitue la «meilleure manière d’obtenir un jugement objectif, cadrant bien avec le désir de protéger le public.»