Ayant reçu de son employeur des options d’achat d’actions, Yves Des Groseillers les a données à divers organismes de bienfaisance enregistrés, sans jamais exercer le prix de ces actions dans le marché boursier.
Selon la structure fiscale qu’il a mise en place, Yves Des Groseillers s’attendait à n’avoir aucun impôt à payer tout en recevant un crédit d’impôt calculé sur la valeur marchande de ces options au moment d’effectuer ses dons. C’est un tel résultat fiscal auquel il semble avoir eu droit au niveau de l’Agence du revenu du Canada (ARC).
L’Agence du revenu du Québec (ARQ) ne l’a pas vu du même œil. Dans une vérification de ses déclarations de revenus, celle-ci a ajouté au revenu de celui-ci la valeur marchande des options données, ce qui a accru son impôt à payer.
Ping-pong judiciaire
Le contribuable a fait appel de la décision de l’ARQ à la Cour du Québec, qui a statué en sa faveur. Selon le site de la Cour suprême du Canada, jusqu’où la cause s’est ultimement rendue, la Cour du Québec a conclu qu’Yves Des Groseillers « n’avait reçu aucun avantage du don des options d’achat d’actions et que leur valeur ne devait donc pas être ajoutée à son revenu d’emploi. »
Refusant cette décision, l’ARQ a fait appel à la Cour d’appel du Québec, qui a donné raison à l’Agence et rétabli sa décision initiale d’ajouter les options d’achat d’actions au revenu d’emploi d’Yves Des Groseillers. En désaccord, ce dernier a porté la cause devant la Cour suprême du Canada, mais celle-ci a rejeté l’appel en donnant raison à l’ARQ.
La décision unanime du tribunal suprême a jugé que la Cour d’appel avait appliqué correctement les articles 50 et 422 de la Loi sur les impôts du Québec. L’article 50 établit que si un employé cède des options d’achat d’actions, il sera considéré comme ayant reçu un avantage imposable lié à l’emploi égal à la valeur de la contrepartie reçue pour les options cédées (moins le prix payé pour acquérir les options).
L’article 422, pour sa part, établit de façon générale que lorsqu’un contribuable effectue une donation d’un bien, cette donation est considérée comme ayant été faite à la juste valeur marchande du bien donné au moment du don.
La question se pose, soulève Me Jean-Philippe Dionne, avocat chez Osler, Hoskins et Harcourt qui a écrit une analyse de la cause pour la revue Stratège : Est-ce que l’article 422 s’applique dans le cas d’une donation d’options visées par l’article 50?
« Il est certain que la position d’Yves Des Groseillers était raisonnable, et c’est pourquoi la Cour du Québec lui a donné raison, » fait ressortir le juriste. Cependant, ô contradiction apparente, le jugement de la Cour d’appel était également raisonnable et congruent. Dans le premier cas, le noyau du jugement était orienté vers l’interprétation de l’arrangement des contrats, alors que dans le deuxième cas, on s’est concentré sur les dispositions applicables de la loi.
Pas d’évasion ni d’évitement
Faut-il croire que Yves Des Groseillers a tenté de pratiquer un évitement fiscal, essayant de récolter un crédit d’impôt pour son don, mais sans en déclarer la pleine valeur à titre de revenu? Il n’en est rien, tranche Me Dionne.
Tout tient à une imprudence dans la structure fiscale qu’a mise en place Yves Des Groseillers, semble-t-il. Les choses se départagent différemment entre le palier fiscal fédéral et le palier provincial. Au Fédéral, si Yves Des Groseillers avait exercé ses options pour plutôt donner les actions acquises aux organismes de bienfaisance, il n’aurait vraisemblablement eu aucune inclusion de cette somme à son revenu compte tenu de certaines déductions permises, et il aurait reçu un crédit d’impôt applicable à l’ensemble de ses revenus. Au niveau provincial, il aurait été appelé à inclure à son revenu la somme à hauteur de 25%, compte tenu d’une déduction moins généreuse qu’au fédéral, et aurait bénéficié d’un crédit afférant à cette portion.
Mais voilà, Yves Des Groseillers n’a pas exercé puis donné ses actions; il a plutôt transféré directement ses options aux organismes de bienfaisance. Au palier fédéral, il a pris une position identique à celle où il aurait donné ses actions, ce qui lui vaudrait un crédit d’impôt sans inclusion de la valeur des actions à son revenu. Toutefois, cette position aurait été davantage favorable au niveau provincial.
Le stratagème n’a pas réussi au niveau de l’ARQ. Le contribuable a dû inclure la somme totale de la valeur marchande de ses options, tout en recevant un crédit qui en a réduit la somme imposable. Dans la cause à la Cour d’appel, « on faisait un gros cas du fait que M. Des Groseillers tentait de ne rien inclure à ses revenus, ce qui est pourtant le résultat auquel on atteint au Fédéral si correctement structuré, explique Me Dionne. Mais au final, il a eu un résultat plus désavantageux que s’il avait simplement exercé ses options pour en donner les actions acquises. »
Tous ces recours juridiques ont impliqué des frais importants, mais quand on considère que la valeur des options s’élevait à 3 millions de dollars, on peut comprendre que Yves Des Groseillers ait cherché à avoir gain de cause jusqu’en Cour suprême.