Une transformation radicale du secteur bancaire, promise depuis longtemps, pourrait bientôt se mettre en branle, mais on ne le remarquera peut-être pas lorsqu’elle se déroulera.
Les changements en cours donneront aux consommateurs et aux entreprises canadiens beaucoup plus de contrôle sur leurs données financières, y compris sur les personnes avec qui ils les partagent, dans le cadre de ce qu’on appelle le système bancaire ouvert.
Le gouvernement fédéral a promis une loi-cadre dans le budget du mois prochain pour introduire le système au Canada après des années d’attente.
Les promoteurs du système bancaire ouvert dans le monde le vantent comme un moyen de stimuler la concurrence, de modifier radicalement la manière dont les paiements sont effectués et de passer globalement à un système financier plus axé sur les personnes.
« Il s’agit d’avoir une société plus juste, plus inclusive et plus ouverte », a expliqué Helen Child, fondatrice d’Open Banking Excellence, une plateforme pour les adeptes de ce système.
Le système bancaire ouvert permet aux consommateurs de partager leurs données bancaires avec d’autres entreprises. L’utilisation la plus courante consiste à accorder l’accès à des applications et à des entreprises de budgétisation ou de gestion financière, afin qu’un client puisse regrouper différents comptes bancaires et cartes de crédit en un seul endroit.
D’autres utilisations émergentes incluent des paiements plus simples, une comptabilité automatisée et une gestion financière d’entreprise.
L’un des principaux domaines de croissance concerne les évaluations de crédit. Dans le cadre du système bancaire ouvert, les prêteurs pourraient accéder directement aux données bancaires d’un individu, afin de pouvoir regarder au-delà des cotes de crédit. Les consommateurs peuvent également l’utiliser pour établir leur cote de crédit, par exemple en prouvant des paiements de loyer fiables.
« Cela favorise l’inclusion financière, a déclaré Helen Child. Les données sont démocratisées. »
Le modèle, que le gouvernement fédéral qualifie de service bancaire axé sur le consommateur, fait partie d’un changement plus large visant à donner aux gens plus de contrôle sur les données que les entreprises collectent à leur sujet, a affirmé Abhishek Sinha, une sommité de la technologie bancaire nationale chez EY Canada.
« Il s’agit d’un mouvement social et d’une progression sociale importante, qui suivent l’exemple de ce qui se passe dans le reste du monde développé et même dans de nombreux pays en développement. »
Mais même s’il est possible de bouleverser le système actuel, certains sont sceptiques quant à l’ampleur et à la rapidité avec laquelle un changement pourrait se produire.
Même avec des garanties en place pour assurer la sécurité du système, il faudra probablement beaucoup de travail pour convaincre les Canadiens de faire confiance au système — et aux nouveaux concurrents, a déclaré Abhishek Sinha.
« Je pense qu’il sera extrêmement difficile pour les fervents de finances technologiques de gagner la confiance du Canada ; c’est leur Everest à gravir. »
Le système a également connu une reprise assez faible lors de son lancement en Europe en 2019, a reconnu Aris Bogdaneris, responsable des services bancaires canadiens à la Banque Scotia, lors d’une journée des investisseurs.
« Nous nous y sommes préparés et nous avons essayé de nous assurer que nous étions prêts et résilients », a affirmé Aris Bogdaneris, qui a travaillé chez ING aux Pays-Bas avant de rejoindre la Banque Scotia l’année dernière.
« Cela ne s’est pas vraiment concrétisé. C’était comme l’an 2000. »
Même au Royaume-Uni, où ce système a été lancé en 2018, seulement 11 % environ des consommateurs britanniques utilisaient le système bancaire ouvert en juin dernier, selon Open Banking, chargé de mettre en œuvre le système dans le pays.
Au Canada, avec une plus grande concentration bancaire et une culture bancaire conservatrice, l’adoption sera probablement plus lente, a averti Marc-André Pigeon, professeur adjoint à la Johnson Shoyama Graduate School of Public Policy.
« Les banques ont tellement d’influence qu’il sera difficile pour d’autres d’entrer dans l’arène. »
Le gouvernement semble plus que tout mettre en avant les avantages de ce changement en matière de sécurité, a remarqué Marc-André Pigeon.
Elizabeth Sale, avocate spécialisée dans les services financiers d’Osler, a déclaré qu’elle n’était pas sûre des changements qui surviendraient une fois le système en place.
« En général, lorsque je vois des consommateurs et des gens en parler, il me semble clair que ce n’est pas bien compris », a affirmé Elizabeth Sale.
Selon elle, l’emploi de termes tels que banque ouverte ou finance axée sur le consommateur n’est pas vraiment utile, car ils ne donnent aucune idée intuitive de ce dont il s’agissait.
« Cela doit changer, les gens doivent réellement comprendre de quoi il s’agit. »
Les partisans disent qu’il faut du temps pour que l’élan prenne et que les gens le comprennent et lui fassent confiance.
« Nous devons être réalistes lorsque nous parlons de perturber l’une des industries les plus anciennes et les mieux établies au monde », a soutenu Nicholas Schiavo, directeur des affaires fédérales au Conseil canadien des innovateurs.
Un élément d’éducation est nécessaire, mais dans l’ensemble, les Canadiens n’ont pas tant besoin de comprendre le système lui-même pour en connaître les avantages, a-t-il suggéré.
Le manque actuel de concurrence dans le secteur bancaire se traduit par des frais élevés, qu’un rapport publié le mois dernier par North Economics estime à plus de 7,7 milliards de dollars par an.
À mesure que le système bancaire ouvert s’étend à l’échelle mondiale dans des pays comme l’Australie, l’Inde et Singapour et que des progrès sont réalisés dans ce sens aux États-Unis, certains signes montrent également que les nouveaux joueurs s’implantent plus rapidement.
Il a fallu environ cinq ans au Royaume-Uni pour atteindre cinq millions de comptes connectés, ce que le Brésil a atteint moins d’un an après son lancement.
Plus il y aura d’entreprises qui entreront dans ce secteur et proposeront des solutions utiles, plus il gagnera en popularité, même si les gens ne comprennent pas très bien comment cela fonctionne, a assuré Helen Child.
« Vous devez savoir que c’est pratique. Cela vous rend la vie simple et rapide, a-t-elle affirmé. C’est de ça qu’il s’agit. »