Cette vaste question, dont les variables sont difficiles à saisir, n’est pas facile à trancher. Elle met en jeu trois grands moteurs fondamentaux de l’économie : la force de travail, la productivité et l’épargne. Pour chacun de ces éléments, on peut trouver des arguments qui confirment l’impact négatif du déclin démographique et des arguments qui l’infirment.
En manque de bras
Au chapitre de la force de travail, on a constaté depuis deux ans «une montée marquée du taux de départ à la retraite, de 0,8 % à 1,2 %, de la population des travailleurs», souligne Pedro Antunes, directeur général, prévisions et analyses, et économiste en chef adjoint, au Conference Board du Canada.
C’est un saut remarquable qui s’accélérera puisque le plus gros de la cohorte des baby-boomers n’a que 52 ans.
Le problème n’est certes pas confiné au Canada. En 2010, selon les prévisions des Nations Unies, on comptait à l’échelle mondiale 16 personnes de plus de 65 ans par tranche de 100 personnes en âge de travailler. En 2035, il y en aura 26.
Le problème sera particulièrement aigu au Japon et en Allemagne, où ce ratio était respectivement de 43 % et de 38 % en 2010 ; en 2035, il passera à 69 % et à 66 %. Aux États-Unis, il sera de 44 %.
Au Canada tout particulièrement, l’augmentation de la main-d’oeuvre a été le principal moteur de croissance, ce qu’on a appelé le «dividende démographique».
«Il a ajouté un point de pourcentage de croissance au cours des dernières décennies, mais maintenant, nous entrons dans une période où ce dividende disparaît et va même devenir négatif», explique Jean-Yves Duclos, professeur d’économie à l’Université Laval.
«Nous aurons moins de gens pour produire des biens, et plus de gens qui les consomment et ne participent pas au processus de production», résume William Scarth, professeur d’économie à l’Université McMaster, à Hamilton, qui a réalisé une étude sur le déclin démographique.
Cependant, il n’est pas certain que tous les nouveaux retraités ne participeront plus au processus de production.
Dans son étude «Reporter sa retraite : une tendance récente ?» publiée en 2011, Statistique Canada note une hausse marquée du taux d’emploi des personnes de plus de 55 ans. Il est passé de 29,8 % en 1996 à 39,4 % en 2010. Chez les hommes de 65 à 69 ans, ce taux a presque doublé.
La pression à la baisse sur le taux d’emploi sera donc amenuisée par cette propension des personnes âgées à travailler. Elle sera d’autant plus amenuisée que les gens, vivant plus longtemps, travailleront également plus longtemps.
La force de l’innovation
On peut croire que la productivité souffrira également, d’autant plus que l’activité économique se déplacera davantage vers les services, où les gains de productivité sont faibles. «Comment augmente-t-on la productivité d’un violoniste de concert ?» demande William Scarth.
Or, comme le rapporte The Economist, malgré leur situation démographique, le Japon et l’Allemagne performent mieux que les États-Unis au chapitre de l’innovation, selon le Forum économique mondial.
«Un manque de travailleurs peut susciter l’invention de technologies de mécanisation du travail, de la même façon que des entreprises japonaises sont à la pointe de la robotique au service des personnes âgées. Une foule d’expériences peuvent compenser des facultés cognitives plus lentes», lit-on dans l’article de The Economist (http://tinyurl.com/mqcwovf).
Payer pour les retraites
Enfin, l’effet de la démographie sur les perspectives en matière de finances publiques et d’épargne n’est pas tranché non plus.
D’un côté, le vieillissement de la population semble présager des nuages noirs. Par exemple, dans une étude publiée en décembre 2014, l’Institut C.D. Howe indique que les soins de santé absorbent 0,42 $ pour chaque dollar dépensé du programme du gouvernement ontarien. Sans changement de cap, le pourcentage passera à 70 % d’ici 2026.
Toutefois, «si les gens sont rationnels et prévoyants, ils épargneront davantage et prendront leur retraite plus tard», souligne William Scarth.
De plus, la pression des régimes de retraite sur les finances publiques ne sera probablement pas démesurée, juge Yves Carrière, professeur au Département de démographie de l’Université de Montréal.
Certes, en France, les régimes de pension représentent déjà 13 % du PIB, et en Allemagne, 11 %, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Mais le pourcentage s’établit en moyenne à 7 % dans les pays membres de l’OCDE. Au Canada, il n’est que de 4 % et n’atteindra que 6,2 % à son sommet en 2060.
Yves Carrière avertit aussi de bien analyser le coût des soins de santé. «De 1998 à 2008, le vieillissement n’a représenté que 10 % de la croissance des coûts. Le plus gros de la croissance tenait aux salaires des médecins, aux technologies et aux prix des médicaments», précise-t-il.
«Si jamais le vieillissement de notre population explique la totalité des hausses de coûts, alors ce sera parfait. Ça voudra dire que nous avons enfin contrôlé tous les autres coûts», ajoute-t-il.
Effet modeste
En résumé, le déclin démographique ne semble pas ralentir l’économie. Mais le fera-t-il au cours des prochaines années ? Yves Carrière ne le croit pas. Il pense que tous les acteurs économiques s’adapteront, de sorte que l’économie sera à peine touchée.
Les autres intervenants interrogés prévoient pour leur part un impact modeste. William Scarth prédit qu’en 2030, le niveau de vie des Canadiens sera de sept points de pourcentage inférieur à ce qu’il aurait été sans déclin démographique.
Pedro Antunes et Jean-Yves Duclos, pour leur part, prévoient un frein d’un point de pourcentage à la croissance annuelle. Ainsi, là où la croissance aurait normalement été de 3 % par an, elle sera de 2 %.
Ce n’est pas insignifiant, mais ce n’est pas non plus une récession.