D’entrée de jeu, les experts consultés par Finance et Investissement relativisent les craintes de l’industrie, notamment en matière de police à couvertures multiples ou «multivie» avec valeur de rachat.
«Attention, les polices visées sont les polices multivie qui garantissent un capital-décès à plus d’une personne», explique Éric La Charité, avocat et directeur, techniques avancées de planification à la Financière Sun Life.
Si on prend l’exemple d’une police souscrite sur deux têtes : «La valeur de rachat ne sera imposable que si elle est versée au premier décès et qu’elle excède un certain montant calculé», ajoute-t-il.
Jocelyne Gagnon, directeur fiscalité (Québec) chez Conseils PPI, y va d’un exemple chiffré. «Supposons une police de 5 M$ souscrite sur la vie de M. X à laquelle on ajoute une autre vie, soit M. Y, pour la somme de 100 000 $. Étant donné le montant du capital-décès, on pourrait probablement y faire des dépôts additionnels substantiels et accumuler une valeur de rachat. Au premier décès, la valeur de rachat peut actuellement être versée libre d’impôt sous forme de capital-décès», constate Jocelyne Gagnon.
Selon les règles actuelles, un versement de 350 000 $ (le capital-décès de 100 000 $ plus la valeur de rachat de 250 000 $) serait libre d’impôt. Mais ce ne sera plus le cas en 2017.
«Si la valeur de rachat au moment du premier décès est supérieure à ce que l’assuré aurait accumulé dans un contrat ne portant que sur sa vie, l’excédent sera imposé», spécifie Pierre-Olivier Sarolea, vice-président adjoint, consultation actuarielle à la Financière Manuvie. Donc, pour reprendre l’exemple de Jocelyne Gagnon, le montant libre d’impôt sera de 100 000 $ (le capital-décès prévu à la police) plus la valeur maximale qui aurait pu être accumulée dans une police individuelle dont M. Y aurait été le seul détenteur.
«Seule la valeur de rachat excédentaire découlant de ce calcul au-delà du coût de base rajusté (CBR) de l’intérêt sera imposée», souligne pour sa part Éric La Charité.
Polices émises avec surprimes
Ces modifications législatives impacteront aussi d’autres produits d’assurance. «Les différentes modifications apportées au calcul du CBR auront pour effet d’en augmenter la valeur et de le garder positif pour une plus longue période, et ce, pour toutes les polices et non seulement pour les polices vie universelle», explique Pierre-Olivier Sarolea.
Ce ne sera pas le cas cependant pour les polices émises avec surprimes. «Auparavant, les calculs mathématiques servant à déterminer le CBR ne tenaient pas compte des surprimes, ce qui ne sera plus le cas en 2017», commente Éric La Charité.
«Pour certaines opérations concernant un contrat d’assurance, c’est avantageux d’avoir un CBR élevé, car cela signifie un bénéfice moindre pour l’impôt, par exemple pour une avance sur police, un retrait de la valeur de rachat. Toutefois, pour les sociétés par actions, c’est moins avantageux, car cela se traduira par un compte de dividendes en capital (bénéfices que l’on peut verser en dividendes libres d’impôt) moins élevé», ajoute Éric La Charité.
Remboursement d’avance sur police
D’autres changements concernent plutôt les avances sur police. Pour l’instant, le produit de disposition découlant d’une avance est réduit si celle-ci sert à acquitter les primes de la police. Il n’y aura pas non plus d’ajout au CBR, tant pour le paiement de ces primes que lors du remboursement de l’avance.
«Prenons l’exemple de M. X qui détient une police de 1 million de dollars et un CBR de zéro. M. X obtient une avance de 5 000 $ afin de payer une prime de la police. Le produit de disposition de l’avance est réduit à zéro et le CBR aussi demeure à zéro. Lorsque M. X remboursera l’avance, le CBR demeurera toujours à zéro, selon les dispositions actuelles», résume Jocelyne Gagnon.
«Les nouvelles règles toutefois prévoient une augmentation de 5 000 $ du CBR, poursuit-elle. L’impact sera donc négatif si la police est contractée par une société par actions, puisqu’il y a une réduction du compte de dividende en capital (CDC). Par contre, l’impact est positif pour un particulier, puisque son coût sera plus élevé.»
Quant aux retraits partiels effectués pour rembourser une avance sur police, ils ne seront exonérés que si les avances ont servi au paiement des primes.
Les polices sur une, deux ou plusieurs têtes et prévoyant le versement de la valeur de rachat à titre de prestation d’invalidité au titulaire de la police sont, elles aussi, visées. «En vertu des nouvelles règles, le capital-décès sera toujours reçu libre d’impôt, mais la somme versée sera déduite du CBR», explique Jocelyne Gagnon.
Si les particuliers y perdent au change, les sociétés y gagnent puisqu’elles verront leur CDC augmenter.
Les modifications annoncées toucheront également le calcul du coût net de l’assurance pure (CNAP). Ce dernier est calculé à partir d’une table de mortalité désuète qui sera remplacée par une nouvelle en 2017, d’où un CNAP moins élevé. Or, comme le CNAP est déduit chaque année du CBR, il en résultera donc un CBR plus élevé au profit des détenteurs particuliers.
Rentes prescrites touchées
Les rentes prescrites sont également dans le collimateur du fisc. «Les nouvelles tables [de mortalité] entraîneront une augmentation de la partie imposable de la rente prescrite», prévient Jocelyne Gagnon. Cependant, les clients considérés comme «un risque aggravé» y gagneront, puisque la partie non imposable de leur rente sera majorée.
Devant ces changements, des conseillers s’interrogent quant à savoir s’ils devront recommander à leurs clients d’acquérir plus tôt que prévu une police d’assurance ou un contrat de rente. «Il est vrai que la portion non imposable d’une rente prescrite aux taux standards est plus élevée aujourd’hui. Cependant, l’aspect fiscal n’est pas le seul qui devrait être considéré. Il devrait s’inscrire dans le cadre d’une planification réfléchie», soupèse Pierre-Olivier Sarolea, de la Financière Manuvie.
Des considérations plutôt actuarielles influencent également le raisonnement de Pierre-Olivier Sarolea : «Si l’on voyait une augmentation significative des taux d’intérêt au cours des prochaines années, l’augmentation de la rente pourrait compenser les impôts additionnels.»
Quant à Jocelyne Gagnon, elle croit que dans certains cas, les détenteurs de polices temporaires auraient peut-être intérêt à les convertir en polices permanentes avant la date fatidique du 1er janvier 2017 afin de «geler» les avantages fiscaux actuels.
Les conseillers devront donc être aux aguets et veiller aux intérêts de leurs clients.