Pourquoi ? En grande partie parce que ces modèles tentaient de déceler les risques liés à un titre en s’appuyant sur les cotes de crédit données par les grandes agences, comme Moody’s.

Or, ces cotes sont évaluées à partir du comportement historique d’une multitude de titres.

Une approche beaucoup plus sensée consisterait à mesurer le risque de chaque titre à partir des informations de marché propres à ce titre, plutôt qu’à partir d’un modèle historique.

Autrement dit, évaluer le risque d’un titre non pas en regardant dans le rétroviseur, mais en suivant l’évolution de son parcours.

Cela vaut tout autant pour les swaps sur défaillance, les options et les dérivés de crédit.

C’est ce défi, en apparence insurmontable, qu’a relevé une équipe de recherche menée par Geneviève Gauthier, directrice du Service d’enseignement des méthodes quantitatives de gestion à HEC Montréal.

L’équipe a bâti un modèle de calcul de risque qui permettrait de mieux anticiper – et d’éviter – les crises comme celle qu’on a connue en 2007-2008.

Données sous-jacentes

La clé tient à l’information «latente», ou sous-jacente, qu’on peut déceler dans le cours d’un titre. «Depuis quelques années, on peut recourir à des technologies de génie, comme le filtrage», explique Geneviève Gauthier.

Ainsi, on peut aussi anticiper la trajectoire d’un titre de la même façon qu’on peut tracer la trajectoire de n’importe quel instrument de placement par triangulation, en reliant des données disparates.

«C’était une chose difficile à faire auparavant, parce que ça exige une capacité informatique importante», relève la chercheure.

Prenons le cas d’une couverture de défaillance (credit default swap, ou CDS), un type de produit dérivé rendu notoire par la quasi-faillite d’American International Group, le géant américain de l’assurance.

Le comportement de la prime d’un tel swap est lié à quelques données sous-jacentes comme le ratio d’endettement de la société, la liquidité du titre, etc.

Ces informations sont disponibles par trimestre, mais pas quotidiennement, au fur et à mesure qu’évolue le cours du swap.

Toutefois, grâce au modèle mathématique mis au point par l’équipe de Geneviève Gauthier, «on peut, à partir des primes des CDS, inférer les variables fondamentales. Et sur cette base, on peut mesurer une probabilité de défaillance».

Cette mesure vaut pour des titres précis, pour lesquels on calcule une probabilité de défaillance qui leur est propre. Il ne s’agit pas, comme dans le cas des cotes des agences de crédit, d’une probabilité calculée à partir d’un vaste échantillon de titres.

Le modèle n’est pas parfait, admet l’universitaire. Il a été testé sur un échantillon de plus de 200 entreprises, avant, pendant et après la crise financière.

«Il s’avère stable au fil du temps. Les erreurs de prévision sont globalement moindres que celles des modèles concurrents», soutient Geneviève Gauthier, qui ne peut toutefois pas quantifier la précision de son modèle.

Trop complexe ?

La complexité du modèle mis au point par HEC Montréal pose certains problèmes pour la gestion courante d’un portefeuille, juge Pierre Laroche, directeur, recherche et développement, produits dérivés, à la Banque Nationale.

«Les modèles plus sophistiqués [comme celui de HEC Montréal] peuvent se prétendre meilleurs, mais en pratique, l’évaluation de leurs paramètres pose davantage de problèmes», souligne Pierre Laroche, qui utilise un modèle de prévision plus simple.

Ainsi, une sophistication accrue d’un modèle peut n’engendrer aucun gain, parce que l’établissement des paramètres est moins précis, souligne-t-il.

Effet de contagion

Le modèle de l’équipe de Geneviève Gauthier présente un autre avantage majeur : en l’appliquant à l’ensemble des titres d’un portefeuille, «on peut déterminer l’effet de contagion potentiel entre les titres».

Or, cet effet de contagion est probablement le facteur crucial qui a mené à l’écrasement de portefeuilles entiers lors de la crise financière.

Un titre qui affichait un potentiel de défaillance de seulement 1 % voyait ce potentiel bondir à 10, 30, voire 50 %, à cause de la contagion de défaillance d’autres titres.