Ainsi, le revenu d’un individu qui dispose d’un capital substantiel, grâce à un héritage par exemple, augmentera toujours plus rapidement en moyenne que le revenu d’un individu qui compte sur son seul travail, et ce, même si le premier ne travaille pas.
Selon l’économiste, cet état de fait devrait s’étendre dans le monde au cours du 21e siècle.
Nombreuses réactions
L’ouvrage de Thomas Piketty a suscité de nombreuses réactions, compte tenu du fait qu’il remet en question le modèle économique actuel.
Ce sont surtout des éditorialistes qui ont commenté l’oeuvre, ainsi que certains universitaires, notamment le prix Nobel d’économie Paul Krugman. Il faut dire que le livre compte, dans sa version française, près de 1 000 pages.
Beaucoup de ces prises de position concernent les hypothèses de Thomas Piketty sur le capital : son taux de rendement et sa concentration chez les plus riches. Or, une des hypothèses de base de l’économiste concerne la production, qu’il juge promise à une faible croissance.
Selon lui, la croissance de la production par habitant dans les pays les plus riches devrait s’établir à 1,2 % par an jusqu’en 2100.
Pour leur part, les pays en développement et les pays émergents connaîtraient en moyenne une croissance par habitant de 5 % jusqu’en 2030, de 4 % de 2030 à 2050 et de 1,5 % de 2050 à 2070. Leur taux de croissance rejoindrait ensuite celui des pays riches, à 1,2 %.
Moteurs économiques en panne
Deux éléments ressortent particulièrement pour anticiper une telle croissance : le caractère exceptionnel d’une croissance forte dans l’histoire et l’évolution démographique.
Selon les estimations de Thomas Piketty, le taux de croissance de la production mondiale a été de l’ordre de 1,6 % annuellement de 1700 à 2012. La moitié est imputable à la croissance de la population et l’autre est imputable à la croissance de la production par habitant.
Les seuls moments où on aurait constaté des taux de croissance supérieurs sont lorsque certains pays étaient en situation de rattrapage par rapport à d’autres.
Selon lui, «un tel processus de rattrapage […] ne peut s’appliquer à l’ensemble de la planète». Ce qui, en d’autres mots, exclut les pays riches.
Par ailleurs, en se basant sur les prévisions de l’ONU, Thomas Piketty estime que l’évolution démographique des continents européen et américain devrait s’établir respectivement à – 0,1 % et à 0,6 % par an de 2012 à 2050, et à 0,1 % et 0 % de 2050 à 2100.
Cette stagnation démographique priverait évidemment l’économie de l’arrivée de nouveaux travailleurs. De plus, elle sous-tend un vieillissement de la population qui alourdirait les charges sur les individus actifs.
Une productivité décroissante
L’économiste américain Robert J. Gordon est encore plus pessimiste que Thomas Piketty. Dans son article «Is U.S. Economic Growth Over ?» publié à l’été 2012, il avance que nous pourrions éventuellement revenir à une croissance par habitant quasi nulle.
Il explique que la deuxième révolution industrielle, y compris l’invention de l’électricité et du moteur à combustion, est celle qui a eu le plus d’effet sur la productivité du travail.
Or, l’économiste américain croit qu’un impact d’une telle ampleur ne pourrait se reproduire, comme le montre la diminution de la croissance de la productivité depuis les années 1970.
Quant aux innovations issues de l’informatique, leurs effets sur la productivité se seraient déjà estompés, selon lui.
Depuis l’an 2000, la plupart des inventions liées à ces technologies sont essentiellement orientées vers le divertissement et la communication, indique Robert J. Gordon.
Enfin, certains phénomènes viendraient entraver l’apport des innovations sur la croissance. À cet effet, il évoque les enjeux environnementaux, et comme Thomas Piketty, la démographie.
Un exercice risqué
Ces prévisions ne font toutefois pas l’unanimité. D’une part, elles couvrent un horizon temporel si long que le risque d’erreurs est important.
Comme le rappelle Mario Fortin, professeur d’économie à l’Université de Sherbrooke, la plupart des prédictions concernant l’an 2000 faites dans les années 1970 paraissent aujourd’hui insolites.
Par ailleurs, si Mario Fortin reconnaît certains phénomènes qui nuisent à la croissance, il en voit aussi d’autres qui pourraient se révéler plus forts que les premiers.
Il mentionne notamment les arguments avancés par Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee dans leur livre The Second Machine Age.
Ceux-ci, au contraire de Robert J. Gordon, considèrent que nous sommes seulement au début d’une révolution industrielle qui aura un effet majeur sur la productivité et la croissance économique.
Parmi les innovations possibles, ils soulignent la réduction du trafic automobile grâce à des logiciels d’optimisation, la diffusion des connaissances sur le réseau Internet ainsi que l’utilisation de la biologie dans la microélectronique.
L’histoire se répétera
Pour Rui Castro, professeur d’économie à l’Université de Montréal, rien n’indique que les pays riches sont destinés à voir leur croissance diminuer.
Pour l’économiste, la croissance constante des quelque 100 dernières années est garante d’une croissance semblable au cours des prochaines années.
«Il y a des expansions et des récessions, mais celles-ci ne semblent pas influer sur la tendance à long terme, dont le déterminant fondamental est le progrès technologique», souligne Rui Castro.
«Tant que les économies investiront dans l’innovation, nous serons capables de surmonter les contraintes et de produire davantage», soutient-il.
Ainsi, Rui Castro croit que «les pays riches, tout comme l’économie mondiale, devraient avoir en moyenne un taux de croissance par habitant équivalent à leur taux de croissance historique à long terme».