«Les conseillers indépendants ne sont pas payés à salaire. Ce sont des entrepreneurs autonomes, qui doivent faire eux-mêmes la prospection de leur clientèle. Ils ne doivent pas être pénalisés par l’abolition des commissions intégrées, qui sont leur principale source de revenus», fait valoir François Bruneau, vice-président administration et investissement du Groupe Cloutier, qui compte quelque 250 représentants en épargne collective.
L’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF) fait écho à ses propos. «Les employés des institutions de dépôt n’ont pas a développer la clientèle qu’ils servent, contrairement aux travailleurs autonomes a commission. Le démarchage est particulièrement important et coûteux durant la période de démarrage de la pratique des conseillers qui sont travailleurs autonomes», souligne l’organisme dans son mémoire présenté en juin dernier à l’Autorité des marches financiers (AMF).
Question de branding
Le statut de conseiller indépendant déborde la seule question des commissions intégrées, selon Me Maxime Gauthier, chef de la conformité et représentant en épargne collective chez Mérici Services Financiers.
«Il ne faut pas seulement lier les deux. C’est surtout un enjeu de branding. Le client a évidemment le droit de choisir l’organisation ou le conseiller de son choix, mais il doit savoir que le conseiller indépendant ne lui offrira pas seulement des produits maison. Sa gamme de produits et services sera beaucoup plus large», souligne-t-il.
Le client doit pouvoir faire la différence entre un conseiller indépendant et celui qui travaille au sein d’un réseau intégré, affirme aussi Gino Savard, président de MICA Cabinets de services financiers.
«Si on adopte un statut particulier de conseiller, l’investisseur saura mieux sur quel pied danser et pourra donc faire les nuances entre un conseiller indépendant ou non», précise celui qui dirige ce cabinet en épargne collective et en marche dispense auquel sont rattachés quelque 180 représentants.
Les cabinets indépendants reprochent d’ailleurs aux régulateurs d’imposer des règles uniformes pour une industrie qui ne l’est pas. De mettre tous les conseillers ou leurs organisations dans le même panier.
«Les régulateurs proposent des réglementations de style one size fits all pour l’ensemble de l’industrie, mais qui auront un impact majeur sur les petites firmes indépendantes», déplore François Bruneau.
«Les régulateurs ne cessent de nous dire que les clients sont mal informés ou qu’ils doivent s’attendre à ce que leurs conseillers agissent au mieux de leurs intérêts. Leur solution est de toujours hausser les obligations des conseillers, de tous les conseillers, alors que le problème est concentré dans un segment de marché où l’accès aux conseils et aux produits est limité», indique Maxime Gauthier.
Qui fait quoi ?
Une révision des titres professionnels devrait donc reconnaître les différences fondamentales entre les conseillers travailleurs autonomes a commission, ceux qui sont a salaire et les représentants de plein exercice, employés ou autonomes, estime l’APCSF.
«Les conseillers a commission indépendants devraient jouir d’un statut particulier et d’un encadrement qui protege et valorise leur pratique pour des services personnalises qui sont appreciés de leur clientèle», précise l’APCSF.
La définition d’un conseiller indépendant resterait à définir clairement, reconnaît le Groupe Cloutier en ajoutant que ce statut pourrait être assorti de certains critères. Par exemple, celui consistant à agir pour le compte d’un courtier n’offrant pas de produits maison ou n’offrant aucun incitatif à la recommandation de tels produits.
La reconnaissance d’un statut de conseiller indépendant pourrait s’accompagner du droit de distribuer des fonds assortis de commissions intégrées, estime le Groupe Cloutier, qui cite en exemple de telles pratiques adoptées dans certains pays.
Ainsi, les Etats-Unis accorderont a compter de janvier 2018 la possibilité de recourir a la dispense du Best Interest Contract ou le courtier sera autorise a continuer de recevoir des commissions intégrées sous réserve de plusieurs conditions. De son côte, l’Allemagne a introduit le concept du «conseiller a honoraires en matière d’investissement» qui l’oblige à s’enregistrer auprès de l’Autorité fédérale de supervision financière (BaFin) pour obtenir ce statut et à répondre a certains critères bien précis.
Selon le mémoire de Mérici, les ACVM devraient effectuer une étude exhaustive des forces des marches et des pratiques de distribution et de conseil pour avoir un portrait plus complet de la situation.
«Une telle étude devrait, a notre avis, permettre une différenciation selon le type de courtier (intègre ou indépendant), la catégorie d’inscription (épargne collective, plein exercice ou marché dispense), la présence de pratiques de distribution particulières (concours, quotas, actifs minimums, etc.) et évaluer l’ouverture réelle a une offre élargie de produits, pas seulement théorique», peut-on lire dans le mémoire du cabinet de Sherbrooke.
Moins de cabinets et de conseillers indépendants ?
L’APCSF rappelle que les commissions intégrées ont été introduites il y a plus de 25 ans par des sociétés de gestion de fonds indépendantes, dans le but de rémunérer la distribution de leurs produits auprès des courtiers indépendants.
L’organisme invite ainsi les ACVM a la prudence afin que les mesures réglementaires entreprises ne favorisent pas davantage la concentration. Elles doivent plutôt soutenir et faciliter «la concurrence en renforçant les intervenants les plus vulnérables du secteur financier, alors que l’efficacité des conseils personnalises pour l’accumulation d’actifs a été démontrée rigoureusement par les chercheurs», indique l’APCSF.
Si l’abandon des commissions intégrées aura peu d’effet sur les employés salariés des institutions de dépôt, l’APCSF croit toutefois que cette décision se traduira par une diminution importante du nombre de conseillers autonomes au Quebec et de leurs conseils a la population des marches de masse et intermédiaire. Ce qui, du même coup, entraînera davantage de concentration entre les mains des institutions de dépôt.
«La relève dans le secteur des services financiers est déjà un enjeu depuis plusieurs années», rappelle Gino Savard en soulignant qu’il est parfois difficile d’attirer des candidats et de les convaincre de se lancer dans cette industrie très concurrentielle.
«Déjà qu’il n’est pas facile, pour un indépendant, de réussir a s’établir dans le domaine, d’y survivre et de prospérer, l’abolition des commissions intégrées viendrait grandement compliquer les choses», affirme également Maxime Gauthier.