En entrevue avec Finance et Investissement pour le présent article, Peter Tsakiris persiste et signe : il y voit même «une décision irresponsable qui pourrait plonger le Canada dans une nouvelle récession d’ici 12 à 18 mois» !
Tous ne sont pas du même avis. «C’était le bon moment pour renverser la baisse des taux, amorcée en 2015 pour pallier la chute du prix du pétrole, et qui n’est clairement plus nécessaire dans le contexte actuel», affirme pour sa part Mathieu D’Anjou, économiste principal pour le Mouvement Desjardins.
Paul-André Pinsonnault, économiste principal chez Financière Banque Nationale, fait écho à ces propos. «C’est un changement de cap qui était nécessaire», souligne-t-il, en précisant que l’économie canadienne a dépassé les attentes.
Vigueur de l’économie
La Banque du Canada a justifié ses récentes décisions par la vigueur de l’économie canadienne ces derniers mois, stimulée par les dépenses des ménages, la création d’emplois et le redressement des exportations. Par conséquent, «il devenait difficile de conserver une politique monétaire qu’on voit généralement en période de récession», explique Mathieu D’Anjou.
Or, les dépenses des ménages demeureront probablement solides dans les mois à venir, à la faveur de la hausse de l’emploi et des salaires, des exportations qui apporteront une contribution de plus en plus importante à la croissance du PIB, et des investissements des entreprises qui devraient aussi contribuer à la croissance, estime la Banque du Canada, qui note aussi au passage la robustesse de l’économie américaine et mondiale.
N’empêche : la Banque estime que la croissance du PIB réel se modérera, pour passer de 2,8 % en 2017 à 2,0 % en 2018 et à 1,6 % en 2019. Elle reconnaît que l’inflation a reculé ces derniers mois, mais juge que cette situation est temporaire et s’attend à ce que l’inflation retourne à un niveau proche de 2 % d’ici le milieu de 2018.
Autres hausses ?
Or, «pourquoi hausser les taux d’intérêt si la Banque du Canada prévoit une baisse de l’activité économique dans les prochaines années, plutôt qu’une surchauffe ? Ça n’a tout simplement pas de sens et ça risque justement d’effacer les gains des derniers mois et d’aggraver la situation économique», estime Peter Tsakiris.
D’autant plus, ajoute-t-il, qu’il faut prévoir d’autres augmentations du taux directeur. «Quand il y a un changement de politique monétaire, ce n’est pas pour faire une seule hausse de taux», fait-il valoir.
Les économistes de Desjardins et de la Financière Banque Nationale prévoient d’ailleurs une nouvelle augmentation avant la fin de l’année.
«Les capacités excédentaires de production se sont résorbées et l’économie canadienne roule presque à son plein potentiel. Ça devient dangereux de stimuler davantage l’économie, avec le risque de voir l’inflation s’accroître», note Mathieu D’Anjou, qui prévoit aussi que l’économie canadienne fléchira l’an prochain à 2,1 %, après une croissance de 2,9 % en 2017.
Il n’y a d’ailleurs pas de mal à ce que l’économie canadienne décélère, affirme Paul-André Pinsonnault, qui s’attend néanmoins à une augmentation du PIB de 2,4 % l’an prochain, puis de 1,5 % en 2019. «Compte tenu de la faible croissance de la démographie canadienne et du taux de chômage qui est relativement bas, il est normal que la croissance de l’économie canadienne retombe sous la barre de 2 %, un rythme qu’elle peut davantage soutenir», explique-t-il, alors qu’il prévoit même un taux d’intérêt qui atteindra 1,75 % à la fin de 2018. «Les taux d’intérêt n’ont pas pour effet de ralentir l’économie, mais plutôt de la maintenir en phase avec son potentiel de croissance», indique Paul-André Pinsonnault.
«La hausse du taux d’intérêt a fait bondir le dollar canadien, ce qui nuira aux exportations et au secteur manufacturier. Des emplois sont en danger», rétorque Peter Tsakiris. D’autant, ajoute-t-il, que «le président Trump est en train de renégocier l’ALENA et souhaite imposer des tarifs aux importations».
«L’augmentation du taux a eu des effets sur le dollar et les marchés financiers parce qu’elle n’était pas prévue», souligne Mathieu D’Anjou.
Freiner la bulle
La hausse des taux d’intérêt aurait aussi l’avantage de prémunir contre une bulle immobilière et la croissance de l’endettement des ménages. «Ça va calmer les ardeurs du secteur immobilier et la consommation devrait aussi ralentir, pour revenir à des niveaux plus normaux», dit Mathieu D’Anjou.
«Le marché de l’habitation poursuivra sa croissance malgré une hausse des taux», estime également David L’Heureux, chef analyste, analyse de marché à la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), qui note également une croissance soutenue de l’emploi, particulièrement chez les 25-44 ans. Il note par ailleurs que l’adoption, à l’automne 2016, des nouveaux critères de qualification hypothécaire «n’a pas empêché le marché immobilier de connaître une croissance au cours des derniers trimestres».
Même son de cloche du côté de Paul-André Pinsonnault. «Ce ne sont pas de faibles hausses qui vont toucher grandement le marché immobilier. Toutefois, la Banque du Canada est sensible aux enjeux de ce marché et de l’endettement des ménages, et les hausses de taux ne seront donc pas aussi élevées que dans le passé», dit-il.
Peter Tsakiris ne voit pas la situation du même oeil. Une hausse des taux d’intérêt, jumelée aux nouveaux critères de qualification hypothécaire, forcera les Canadiens à payer plus cher leur prêt hypothécaire au moment du renouvellement. Ce qui se traduira par une baisse d’activité dans le secteur de l’immobilier, de même que de la consommation.
«Ce ne sera pas la première fois qu’une banque centrale prend de mauvaises décisions. À l’ère d’Alan Greenspan, l’économie américaine est allée deux fois en récession après une hausse des taux d’intérêt», souligne Peter Tsakiris.