«Il existe plusieurs façons de vendre sa maison tout en continuant d’y résider, c’est-à-dire en conservant l’usufruit», souligne Yvon Rudolphe, président de Rudolf Patrimoine Conseil.

Vendre sans déménager

Yvon Rudolphe raconte le cas d’un client qui possédait une résidence située directement au bord du fleuve Saint-Laurent. «Il a vendu la propriété à un prix légèrement inférieur à celui du marché, mais en ayant le droit de continuer d’y résider.»

L’acheteur a dû attendre trois ans – le vendeur a alors déménagé dans une résidence pour personnes âgées – avant de s’y installer. C’est comme détenir une option sur le pouvoir d’habiter.

Ce genre d’ententes implique habituellement un paiement forfaitaire ou plusieurs versements répartis dans le temps (vente en viager). Toucher un seul montant est plus simple et plus sûr, puisque le vendeur n’est pas exposé à d’éventuels problèmes de solvabilité de l’acheteur.

Par contre, lorsque les paiements prennent la forme d’une rente, l’acheteur peut revendre ses droits s’il a de la difficulté à remplir ses engagements. Le nouvel acquéreur devra respecter l’entente de départ.

«Si l’acheteur ne parvient pas à revendre ses droits, l’ancien propriétaire enverra des avis légaux pour annuler l’entente et reprendre possession de la maison», précise Johanne Pilote, notaire et agente de renseignements au service 1-888-notaire de la Chambre des notaires du Québec.

Établir le juste prix

Ce genre de transactions implique des calculs complexes afin d’établir la juste valeur de la propriété.

En outre, on devra tenir compte du manque à gagner sur la location de la propriété, sur le temps qui s’écoulera avant de pouvoir occuper l’habitation, etc.

Normalement, l’acheteur et le vendeur demanderont à un évaluateur agréé d’estimer le juste prix en tenant compte des paramètres de l’entente. Cela servira de base aux négociations.

Le prix offert est inversement proportionnel au niveau de risque auquel l’acheteur s’expose.

«Par exemple, si le vendeur s’accorde un droit d’usage et d’occupation jusqu’au décès, l’acheteur ignore à quel moment il pourra jouir de la maison. Or, la valeur de la propriété pourrait se déprécier d’ici là», explique Yvon Rudolphe.

Plus le vendeur est âgé – et plus son espérance de vie est réduite -, plus le paiement qu’il touchera sera élevé.

Le vendeur peut aussi obtenir davantage d’argent si l’entente précise le nombre d’années pendant lesquelles il bénéficiera de l’usus, ou si des sommes supplémentaires sont prévues s’il quitte la propriété dans un délai de cinq ans.

«C’est pourquoi il est important de bien définir les termes dans l’entente notariée, souligne Yvon Rudolphe. Il faut préciser qui paie quoi et les conditions qui engendreront la cession complète (décès, perte d’autonomie)».

En règle générale, l’usufruitier sera responsable des frais d’entretien et de chauffage, alors que le nouveau propriétaire paiera les rénovations et les taxes foncières. Mais tout se négocie…

Au décès des parties, les héritiers devront respecter l’entente. C’est-à-dire que la succession de l’acheteur continuera de verser la rente.

«En revanche, les héritiers du vendeur pourraient annuler la transaction si, au moment de la signature du contrat, le vendeur n’avait pas toutes ses capacités mentales ou si son décès était imminent et que l’acheteur était au courant», explique Johanne Pilote.

Traitement fiscal

Sur le plan fiscal, on considère qu’il y a disposition d’une immobilisation, «peu importe si le vendeur reçoit un seul montant ou plusieurs versements», dit Patric Saint-Onge, comptable agréé et fiscaliste chez Corriveau Saint-Onge.

Le vendeur est admissible à une exemption fiscale sur le gain en capital obtenu à la vente si la maison est admissible à titre de résidence principale pendant toute la période où il en a été propriétaire, ajoute-t-il. «Si la transaction prend la forme d’une rente, les formulaires d’exemption pour résidence principale devront être produits annuellement», précise le fiscaliste.

Les choses sont moins roses pour l’acheteur, note Yvon Rudolphe. «Tant que le vendeur habitera la maison, il ne pourra pas la traiter comme résidence principale, même si la plus-value lui est attribuée durant toutes ces années.»

Coup de pouce financier

Cela dit, ce type de transactions est peu fréquent. «Les acheteurs sont frileux en raison des risques que représente cette forme d’acquisition immobilière. D’ailleurs, je ne connais aucun agent immobilier spécialisé dans ces transactions», souligne Yvon Rudolphe.

«Habituellement, c’est l’acheteur, intéressé par les caractéristiques de la résidence, qui frappera à la porte du vendeur, remarque Johanne Pilote. Souvent, ce sera un proche ou un parent du vendeur.»

Il arrive parfois que des institutions financières ou des fonds qui ont des liquidités soient les acheteurs. «Les institutions financières sont souvent moins sélectives quant aux biens immobiliers achetés, signale Yvon Rudolphe. Elles ciblent surtout les personnes âgées qui cherchent à toucher une rente additionnelle pour compléter leurs revenus.»

Comme l’institution achètera ainsi un certain nombre de propriétés, le risque est moindre, les cas de longévité exceptionnelle étant compensés par les cas de décès prématurés.

En retour, l’institution bénéficiera de la hausse de la valeur des propriétés, ainsi que d’une certaine décote que des personnes âgées sont prêtes à accorder pour se délester de certaines responsabilités.

Colette Blais, conseillère en développement, Gestion de l’offre en financement hypothécaire au Mouvement Desjardins, précise que ces offres se font à l’initiative de la caisse, et non de la Fédération. «Il n’y a aucun programme, dit-elle. Et les conditions peuvent varier.»

Il existe une autre solution pour les propriétaires qui ont besoin de fonds : emprunter à leur institution financière sur la valeur nette de la propriété. En règle générale, une marge de crédit permet d’emprunter jusqu’à 80 % de la valeur nette de la propriété. Cependant, lorsque le propriétaire paie seulement les intérêts de l’emprunt, celui-ci est limité à 65 % de la valeur nette.

«Certains emprunteront 100 000 $ pour acheter une rente viagère, précise Colette Blais. D’autres emprunteront la somme qui leur manque pour équilibrer leur budget, par exemple 200 $ par mois.»

Si l’argent emprunté est investi, les intérêts sont normalement déductibles. «Encore faut-il que le rendement compense le coût de l’emprunt», souligne Colette Blais.