«Le taux de rendement interne des nouvelles cotisations est similaire en vertu des deux réformes proposées pour les individus qui gagnent plus de 25 000 $. Toutefois, la proposition du fédéral est plus attrayante pour les individus qui gagnent un revenu moyen de travail inférieur à 25 000 $ environ», explique Guy Lacroix, coauteur de l’étude.
L’argument de Carlos Leitão tient au fait que ces gagne-petit devront cotiser plus afin d’obtenir une bonification de leurs prestations de retraite, et que celles-ci viendront alors gruger le Supplément de revenu garanti (SRG) qu’ils touchent.
C’est pourquoi le ministre des Finances aurait souhaité que le fédéral modifie son projet de réforme de façon à soustraire les bas salariés à la hausse de la cotisation ou à réduire l’effet des hausses de prestations sur le SRG.
Guy Lacroix fait valoir que plus de personnes qu’on le croit ont de faibles revenus.
«Nous avons eu recours à l' »Étude longitudinale et internationale des adultes » de Statistique Canada qui nous donne la moyenne du revenu gagné sur le cycle de vie. Je peux vous dire qu’il y en a du monde qui sur 40 ans, soit entre 25 et 65 ans, a un revenu annuel moyen inférieur à 25 000 $», précise le directeur du Département d’économique de l’Université Laval.
La clé : la PFRT
Pourquoi la proposition fédérale est-elle préférable si le taux de rendement interne des cotisations est similaire dans les deux modèles proposés ?
«La proposition du fédéral génère des taux de remplacement du revenu plus élevés pour les individus qui touchent un revenu moyen inférieur à la moitié du montant des gains admissibles actuels (soit environ 25 000 $). Cela tient à la bonification proposée de la Prestation fiscale pour le revenu de travail (PFRT), qui vient compenser les hausses de cotisations durant la vie active, et à la réduction du Supplément de revenu garanti à la retraite», explique Guy Lacroix.
Ce point fait sourciller Alexandre Laurin, directeur de recherche à l’Institut C.D. Howe, bien qu’il ne conteste pas les résultats de cette étude. «Nos études démontrent le même phénomène.»
L’une d’elles montre que la proposition fédérale ferait gagner 416 $ à un travailleur qui touche un revenu moyen de 20 000 $ au cours de sa vie active. En effet, ses prestations annuelles passeraient de 5 000 à 6 667 $, mais il perdrait 1 251 $ de sa prestation de Supplément de revenu garanti (http://bit.ly/2fmWqNV).
«Le résultat final sera un taux de remplacement de 96,4 %, par rapport au taux actuel de 94,3 %. Pas de quoi fouetter un chat», dit Alexandre Laurin.
De plus, ce travailleur devra cotiser 5,95 % de son revenu au lieu de 4,95 % en 2025, une fois la réforme entièrement instaurée. «C’est beaucoup d’argent pour ces gens», souligne-t-il.
Pas l’outil adéquat
Contrairement aux chercheurs de la Chaire Industrielle Alliance, Alexandre Laurin ne croit pas que la PFRT soit l’outil adéquat pour contrer ce phénomène.
«Les études montrent que la PFRT a sa place et qu’on devrait la bonifier, mais elle n’a pas été conçue pour pallier les failles du RPC», affirme-t-il.
Selon Alexandre Laurin, la PFRT a été mise en place pour contrer le piège de l’aide sociale. Ce phénomène pousse les plus démunis à ne pas réintégrer le marché du travail afin de ne pas perdre certains des avantages (assurance médicaments, etc.).
Rappelons que la bonification de la PFRT serait entièrement assumée par le gouvernement fédéral à même ses dépenses courantes.
«Si, aujourd’hui, on modifie le RPC en faisant valoir que la réduction du Supplément de revenu garanti sera compensée par la PFRT, qui nous dit qu’on fera encore ce lien dans 20 ans ?» prévient-il.
Alexandre Martin fait remarquer que les conditions d’octroi de la PFRT pourraient également être modifiées advenant un changement des priorités gouvernementales.
«De nombreux facteurs pourraient faire en sorte qu’un retraité ne touche plus la PFRT. Pensons à la présence d’une autre source de revenus comme un gain en capital imprévu ou le revenu de travail d’un conjoint toujours actif», illustre-t-il.
Les femmes avantagées
Par ailleurs, Guy Lacroix admet que l’étude qu’il cosigne comporte des faiblesses.
«Un des problèmes est que nous n’avons pas tenu compte des nombreux travailleurs qui n’ont pas de régime de retraite privé. Nous allons publier une nouvelle version de l’étude qui tiendra compte de ce facteur.»
«Et les résultats seront encore plus en faveur de la proposition fédérale», assure-t-il.
La nouvelle version de l’étude tiendra aussi compte des écarts dans l’espérance de vie, précise Guy Lacroix.
«L’espérance de vie et les revenus moyens ne sont pas les mêmes pour tous. Par exemple, les hommes peu scolarisés vivent moins longtemps, tandis que les femmes vivent plus longtemps. Cela a un impact sur le taux de rendement des modifications proposées», illustre le professeur.
En fait, la proposition fédérale défavorise les hommes peu scolarisés : ils cotiseront davantage sans nécessairement encaisser beaucoup à la retraite, car ils décèdent relativement jeunes, dit Guy Lacroix.
Pour les femmes, la proposition fédérale est plus avantageuse, car elles vivent longtemps et pourront donc recevoir les prestations bonifiées durant une longue période. Cela dit, «Québec devra se décider, car le reste du Canada voudra aller de l’avant», note Guy Lacroix.
Carlos Leitão a promis des consultations pour l’automne. Or, en novembre, les modalités de la consultation n’étaient toujours pas établies, a indiqué Frédéric Lizotte, porte-parole de Retraite Québec.