À première vue, ceux qui misent sur la relève pour prendre le relais pourraient se consoler en constatant que 65,1 % des membres étaient âgés de moins de 50 ans au 30 juin 2017, mais il reste que cette proportion a diminué par rapport à l’an dernier ; elle se chiffrait à 69 % au 31 décembre 2016.
Bien que les causes de ces variations soient difficiles à cerner, beaucoup de courtiers s’entendent pour dire que les embûches que rencontrent les jeunes conseillers avant de faire leur place dans le métier sont multiples, à tel point que nombre d’entre eux abandonnent avant la fin de leur cinquième année de pratique. La CSF n’a d’ailleurs pas pu nous accorder une entrevue à ce sujet, mais elle a accepté de nous fournir les données figurant dans cet article.
«Il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus qui réussissent à passer la barre des cinq ans. Le problème, c’est souvent le manque de revenus et le fait que ceux-ci ne sont pas constants», dit Hugo Neveu, directeur du développement hypothécaire chez AFL Groupe Financier et membre du conseil d’administration du Regroupement des jeunes courtiers du Québec (RJCQ).
De plus, selon Hugo Neveu, âgé de 35 ans, certains jeunes conseillers maintiennent un niveau de vie au-dessus de leurs moyens afin d’atteindre un certain statut social, et accentuent ainsi leurs problèmes.
Il affirme de son côté ne pas être un cordonnier mal chaussé. «J’ai rarement eu dans ma vie des voitures neuves et j’ai tout le temps opté pour des véhicules qui avaient un bon rapport qualité-prix pour la simple raison que je mets mes conseils en application», dit-il.
Un métier non valorisé
La profession n’est simplement pas assez mise en avant et valorisée, selon Antoine Chaume, planificateur financier chez Lafond Services financiers et membre fondateur de la section montréalaise du RJCQ.
«Quand j’étais à l’université, je n’ai jamais entendu personne dire : « Moi, je veux travailler comme planificateur financier, comme conseiller en sécurité financière ou comme représentant en épargne collective »», raconte-t-il.
En plus d’avoir lancé une section Montréal-Rive-Sud du RJCQ, Antoine Chaume, âgé de 25 ans, donne aussi de son temps à Academos, une application en ligne qui met notamment les jeunes de 14 à 30 ans en contact avec des mentors qui travaillent dans le domaine qui les intéresse.
«C’est aussi l’ambition que nous avons avec le Regroupement, c’est-à-dire de faire rayonner la profession et de montrer qu’il y a des jeunes qui ont le désir de l’intégrer et de grandir avec l’industrie, et non pas juste des personnes à cheveux blancs», illustre-t-il.
Audrée de Champlain, associée du cabinet N.D.C. Services Financiers et également membre fondatrice de la section montréalaise du RJCQ, a eu la chance d’avoir été introduite à la profession par son père, Normand de Champlain, avec qui elle tient aujourd’hui les rênes de l’entreprise familiale.
Elle constate toutefois que nombre de ses collègues indépendants qui n’ont pas accès à un bloc de clientèle déjà bien établi sont laissés à eux-mêmes à leur entrée dans l’industrie, ce qui mène souvent au décrochage. C’est pourquoi elle croit beaucoup au réseautage et à l’entraide.
«Avec le Regroupement, je veux aider la relève, car lorsqu’on commence, on ne peut pas appeler un conseiller du même âge que nous et lui demander « Comment ça va ? » Ça n’existe pas.»
Bien qu’elle ait eu un coup de pouce en travaillant avec son père, Audrée de Champlain a eu à relever quelques défis pour faire sa place. Acquérir la confiance de clients malgré son jeune âge – elle avait 23 ans lorsqu’elle a commencé comme conseillère, il y a trois ans de cela – en est un.
«À force de bien répondre aux questions de mes clients, ceux-ci ont compris qu’ils pouvaient me faire confiance. Après deux ans de pratique, je dirais que la crédibilité est atteinte à 75 %», relate la conseillère en sécurité financière et représentante en épargne collective.
Du fil à retordre pour les indépendants
Audrée de Champlain est d’ailleurs d’avis que la combinaison gagnante pour un jeune conseiller est de «pouvoir bâtir ses propres expériences tout en ayant un mentor».
Les conseillers indépendants interviewés affirment tous qu’il est plus difficile d’être encadré par une personne d’expérience pour un conseiller qui ne travaille pas pour une institution financière.
«Les institutions ont certains avantages sur le plan de la formation et de l’encadrement en début de carrière. Oui, ça peut être avantageux pour un jeune courtier de se former en institution, mais le désavantage est qu’il ne bâtit pas sa clientèle, et si un jour il veut quitter l’institution financière, il devra recommencer la prospection à zéro.»
Les chiffres établissant le profil des membres de la CSF en date du 30 juin dernier semblent néanmoins indiquer, selon Hugo Neveu, que la jeunesse se trouve plutôt dans les institutions financières, où il y a plus de place pour elle que dans les réseaux de courtage. Les institutions rechercheraient en effet des conseillers possédant le titre de représentant de courtier en épargne collective, ce qui est le cas de la majorité des membres de la CSF de 30 ans et moins.
Au 30 décembre 2016, 4 738 conseillers de 30 ans et moins sur 6 141 membres étaient titulaires du titre de représentant de courtier en épargne collective, 1 852 pouvaient pratiquer en assurance de personnes, 327 comme planificateurs financiers, 134 en assurance collective de personnes et 50 comme représentants de courtier en plans de bourses d’études.
La CSF et l’Autorité des marchés financiers (AMF) disent toutes deux ne pas être en mesure d’obtenir les données qui permettraient de comparer le nombre de conseillers qui travaillent auprès d’un courtier indépendant avec le nombre de conseillers qui font partie d’une institution financière.
Rôles multiples
Les conseillers mentionnent aussi d’autres obstacles auxquels les jeunes professionnels doivent faire face, dont la réglementation. «On est dans une période où il y a de plus en plus de conformité et il est important de comprendre qu’une partie de notre travail est de nous assurer que tout est bien fait dans les règles de l’art de A à Z», rappelle Antoine Chaume.
Hugo Neveu fait quant à lui état des produits qui sont de plus en plus complexes et de la paperasse administrative additionnelle qu’ils requièrent. Il met également en avant les multiples rôles que doivent assumer les jeunes conseillers.
«En début de carrière, il faut être un expert en marketing, un expert en service à la clientèle, un expert en produits, bref, un expert en tout. Il faut être une pieuvre et ça s’acquiert avec le temps», affirme-t-il.
Bien que la parité hommes-femmes soit presque atteinte parmi les membres de la CSF (50,5 % d’hommes, 49,5 % de femmes), Audrée de Champlain estime que les femmes ont, entre autres, moins fait leur place dans l’industrie financière comme travailleuses autonomes.
«Il y a énormément de femmes dans le milieu bancaire, parce qu’elles sont salariées et ont un travail stable en prévision d’un éventuel congé de maternité. À chaque dîner du Regroupement, il y a une ou deux femmes (sur environ une vingtaine), et j’en fais partie», décrit-elle.
Elle suggère d’ailleurs aux jeunes conseillères d’oser davantage : «Ce n’est pas seulement un milieu pour les hommes. Ne vous gênez pas, foncez. On a énormément de qualités en tant que femmes.»
En ce qui a trait aux préjugés que les clients pourraient entretenir envers une jeune conseillère, Audrée de Champlain affirme ne pas du tout en subir de la part des hommes, mais plutôt parfois de la part de certaines femmes.
«Le créneau dans lequel j’ai le plus de difficulté, ce sont les femmes d’affaires ou les femmes qui ont des emplois haut placés dans des entreprises. C’est une question délicate, mais je trouve que les femmes qui ont eu elles-mêmes à faire leur place sont plus exigeantes envers les autres femmes», mentionne-t-elle.
Elle remarque toutefois qu’en général, ses clients et clientes sont très ouverts à la relève, qui est en quelque sorte le symbole de la pérennité de leur portefeuille.