Il rêvait alors notamment de devenir actuaire en chef.
En peu de temps, il a maîtrisé les rouages actuariels de l’assurance. Ses grandes capacités l’ont rapidement rendu sûr de lui, peut-être même un peu trop… selon ses propres dires.
«Je maîtrisais la technique sur le bout de mes doigts, mais je devenais arrogant. Je ne gérais pas bien mon ego», relate-t-il.
Ses supérieurs ont alors décidé de le sortir de sa zone de confort et l’ont muté au service du marketing d’assurance et de rentes individuelles, où il s’occupait notamment du développement de produits.
«Lorsque j’ai ouvert la bouche la première fois, ça a été une catastrophe ! Je suis passé de héros à zéro. J’ai dû apprendre tout l’aspect « business ». Sortir de ses habitudes, ça réaligne un ego mal placé», se souvient-il avec le sourire.
Son passage dans cette division, de 1994 à 1999, lui a servi à mieux comprendre les stratégies de distribution notamment, en établissant des contacts avec les vendeurs sur le terrain.
En 2000, il a commencé à diriger le secteur des rentes collectives et des régimes de retraite.
Les déplacements des actuaires dans divers services de la compagnie n’ont pas pour seul but de dégonfler les ego démesurés, ils font partie de la culture d’entreprise, explique René Chabot.
Prévoir les coups
Dans ses fonctions actuelles, René Chabot siège au comité de planification de la société, formé de sept dirigeants et dirigé par Yvon Charest, chef de la direction d’IA.
À son avis, son parcours chez l’assureur a contribué à son ascension dans la compagnie et aux résultats qu’il a obtenus. Même si «ça fait un peu nerd», selon lui, sa vision d’ensemble lui vient probablement des échecs.
«Tout comme en affaires, c’est un jeu où vous devez savoir prévoir dix coups à l’avance !», illustre René Chabot.
La direction qu’a prise IA au Québec et au Canada a d’ailleurs été remarquée ces derniers mois par les investisseurs et les analystes.
En 2013, l’assureur a connu l’année la plus rentable de son histoire, affichant un bénéfice net de 350 M$, une hausse de 15 % par rapport à 2012.
Lors de sa Journée des investisseurs en 2012, IA avait promis aux actionnaires de distribuer quatre dollars de bénéfice par action (BPA) d’ici 2015, c’est-à-dire une augmentation de 1,20 $ sur trois ans. «Nous sommes en voie de réaliser cet objectif», souligne René Chabot. En effet, le BPA enregistré en 2012 était de 3,22 $, et il a grimpé à 3,57 $ en 2013.
À la Bourse, l’action IAG s’échangeait à un prix qui oscillait entre 40,64 $ et 46,95 $ au cours des 12 derniers mois qui ont précédé la publication du rapport du deuxième trimestre 2014.
Au moment où René Chabot est entré en fonction à titre d’actuaire en chef, en avril 2010, la situation n’était pas aussi reluisante sur les marchés. En 2011, la moyenne du prix de l’action enregistré avait chuté de 36,81 $ à 26,29 $.
En période de bas taux d’intérêt, les investisseurs étaient inquiets notamment quant au capital trop faible de l’entreprise et au niveau de ses marges de sécurité.
«En 2012, nous nous sommes engagés à réduire le niveau du drain (c’est-à-dire le montant que l’assureur paie à la souscription d’une police par rapport au profit que celle-ci générera plus tard) en assurance vie individuelle et à repositionner notre levier financier», rappelle René Chabot.
Prendre d’assaut l’échiquier
Au Québec, la stratégie d’IA paraît payante dans certains secteurs. Bien qu’elle ne lui ait pas encore damé le pion, IA rattrape Desjardins sécurité financière (DSF), l’assureur-vie numéro un, selon le «Rapport annuel sur les institutions financières 2013» de l’Autorité des marchés financiers (AMF).
La part de marché d’IA en primes directes souscrites au Québec est passée de 12,14 à 16,97 % de 2009 à 2013. Elle s’approche de celle de DSF, qui a passé de 17,77 à 17,47 % durant la même période.
Au Québec, IA détient la part de marché la plus importante en assurance vie individuelle, à 16,72 %, avec 576,5 M$ de primes directes souscrites.
La compagnie est également en première place dans le secteur des rentes individuelles. Sa part de marché a d’ailleurs bondi, passant de 25,44 à 48,89 % de 2011 à 2013.
Même si elle domine toujours ce marché, IA a vu sa part de marché dans le secteur des rentes collectives décroître, de 56,53 % en 2012 à 42,57 % en 2013.
René Chabot ne s’inquiète néanmoins pas pour ce secteur, qui reste stable à l’échelle nationale.
«Notre actif sous gestion est à peu près le même (3 129 M$ en 2012 et 2 998 M$ en 2013 au Canada). Nous avons délibérément décidé de faire primer la marge bénéficiaire dans ce domaine-là, où nous ne voulons pas faire de compromis par rapport au risque», explique-t-il.
Maillons faibles
«En termes de rentabilité, le créneau où nous avons de la difficulté (à l’échelle canadienne) ces temps-ci, c’est plutôt l’assurance collective», remarque-t-il. D’après les statistiques dévoilées par IA, ses nouvelles ventes annuelles se chiffraient à 131,9 M$ en 2011.
Elles sont tombées à 46,1 M$ en 2012, et sont remontées à 59,4 M$ l’an dernier. Il explique cette chute par la concurrence accrue dans le secteur et par l’augmentation des réclamations en assurance invalidité au Canada pour des dépressions, des blessures, des épuisements professionnels, etc.
Un autre obstacle s’est dressé à la fin du deuxième trimestre 2014 dans le secteur de la gestion de patrimoine. La filiale IA Clarington a connu des ventes nettes (ventes brutes moins les rachats) négatives de ses fonds communs de placement (FCP) de – 98 M$.
«C’est le premier trimestre de ventes négatives de FCP depuis l’acquisition de Fonds Clarington en 2006», dit René Chabot.
En entrevue avec Finance et Investissement en février dernier, le président d’Industrielle Alliance, Yvon Charest, avait d’ailleurs affirmé que le défi le plus important de la compagnie en 2014 serait de dépasser ses performances de 2013 dans le secteur des FCP. De 2012 à 2013, les ventes brutes ou dépôts de FCP ont grimpé de 37 %, passant de 1,65 G$ à 2,25 G$.
«Pour les investisseurs, des ventes négatives de FCP, c’est du nouveau. Ils ont donc accroché là-dessus, car la gestion de patrimoine est le marché que tout le monde aime avoir. Nous leur avons montré qu’en contrepartie, nous avions connu une belle progression dans le créneau des fonds distincts», souligne René Chabot.
En juillet 2014, IA enregistrait son deuxième trimestre de ventes nettes positives de fonds distincts, qui ont atteint 35,7 M$ pour la période.
En ce qui a trait au ralentissement dans le secteur des FCP, l’actuaire en chef l’attribue en partie à la fin de son entente avec la Banque Laurentienne en 2012, qui a choisi de privilégier les fonds de Placements Mackenzie plutôt que de continuer à distribuer des fonds IA Clarington. Les performances de 2013 avaient pourtant fait affirmer au président Yvon Charest en février dernier que cette fin de contrat n’avait pas nui à IA.
«L’autre raison est que nous n’avions pas certains fonds spécialisés dans notre offre de produits. Nous avions une lacune sur le plan des marchés mondiaux», dit René Chabot. IA a lancé le Fonds IA Clarington mondial de croissance et de revenu le 30 septembre dernier.
Agrandir la sphère de jeu
En plus de s’occuper ces temps-ci de la conformité aux nouvelles règles actuarielles et comptables internationales, René Chabot participe actuellement aux discussions sur les futures acquisitions que l’entreprise souhaite réaliser pour assurer sa croissance et poursuivre «son rêve pancanadien».
«Nous étions pratiquement immobiles depuis quelques mois en termes d’acquisitions en raison de la baisse des taux d’intérêt qui nous a fait mal, mais lors de la Journée des investisseurs, nous avons annoncé que nous avions au moins 500 M$ de capital à déployer», rapporte-t-il.
Le dernier achat de cette ampleur de l’entreprise remonte à 2010. IA avait alors acquis American-Amicable Holding à 145 M$ US. Plus récemment, en juillet 2013, elle a acquis Jovian Capital pour 79 M$.
L’assureur a vu son actif sous gestion et administration s’accroître de 83,5 G$ en 2012 à 98,7 G$ en 2013.
Selon son actuaire en chef, IA aimerait croître dans le domaine de la gestion de patrimoine, mais il ajoute que les entreprises de ce secteur «ne sont pas données».
Par exemple, la Financière Manuvie a acquis l’actif canadien de Standard Life au coût de 4 G$, soit 19,5 fois le bénéfice par action de la filiale canadienne de l’assureur écossais, selon les résultats enregistrés au 30 juin 2014.
Le stratège qu’est devenu René Chabot a appris que tout vient à point à qui sait attendre. «Dans ce genre de négociations, vous savez quand la partie commence, mais vous ne savez jamais quand elle finit…»