«Même si nous sommes dans la huitième année d’une expansion économique, il semble que nous connaissions un cycle allongé pour des raisons structurelles, comme le vieillissement de la population et également en raison du ralentissement mondial», ajoute Aubrey Basdeo.
Courbe plus pentue
«Dans un tel contexte, l’accentuation de la courbe de rendement devrait se poursuivre. On s’ajustera aux prévisions optimistes de croissance et à la perspective d’une inflation plus élevée», affirme le spécialiste de BlackRock.
Ce dernier émet toutefois quelques bémols. «Le marché de l’emploi étant déjà vigoureux, il faudra faire attention à la politique migratoire de Donald Trump qui pourrait attiser les tensions inflationnistes. Par exemple, si on renvoie chez eux les immigrants illégaux et que l’on favorise la main-d’oeuvre américaine. Quant aux accords internationaux d’échange, la montée d’un certain protectionnisme américain pourrait ralentir l’économie tout en créant de l’inflation. Toute cette incertitude post-électorale accroîtra la volatilité des marchés financiers en 2017», dit-il.
Et chez nous ? «Même si le Canada bénéficiera certainement de cette vigueur économique américaine, notre économie demeure fragile. Les ménages sont passablement endettés», rappelle-t-il. La banque centrale ne sera pas aussi pressée de remonter son taux directeur. Ce dernier devrait donc demeurer stable à 0,50 % en 2017, croient des experts consultés. Le resserrement des règles de financement hypothécaires au Canada à l’automne, qui ralentira ce marché, ajoute également du poids à ce scénario.
«Aux États-Unis, la Réserve fédérale devrait hausser son taux directeur deux fois d’ici la fin de 2017», croit Jean-François Pépin, premier vice-président et co-chef de l’investissement chez Addenda Capital. Mais si la croissance économique s’enracine plus que prévu aux États-Unis, les taux pourraient sembler bas. «Même si on connaît une accalmie après la hausse récente des taux, ils restent historiquement bas», rappelle-t-il.
Selon le spécialiste, les rendements des obligations gouvernementales jusqu’à 10 ans sont raisonnables au Canada, sans être attrayants non plus. «On est donc relativement neutre et on attend de voir la direction du mouvement au cours des prochains mois. Un investisseur de détail voudra voir des taux 10 ans autour de 2 % avant de prolonger la duration du portefeuille. Inversement, des taux gouvernementaux 10 ans à 1 % seraient un signal qu’il faut la réduire», précise Jean-François Pépin.
Rappelons que les rendements obligataires et le prix des obligations varient dans des sens inverses.
Duration cible de 4 et 5 ans
Il n’est guère payant pour un particulier de garder trop d’encaisse, puisque les taux sont près de zéro. En ajoutant des titres plus risqués que des obligations gouvernementales (comme des obligations de société) et en allongeant un peu la duration, il pourra bonifier son rendement.
«Selon nos recherches internes, lors des 50 dernières années, un portefeuille obligataire ayant une duration entre quatre et cinq ans se voit surperformer un portefeuille obligataire de type univers, spécialement dans un contexte de hausse de taux d’intérêt», affirme Nicolas Normandeau, gestionnaire de portefeuille, stratégies d’obligations chez Fiera Capital.
«On ne peut pas se faire trop mal sur un horizon d’un an si on achète du crédit corporatif ou provincial qui nous donne du 2 % dans le 4 ou 5 ans et que les taux montent encore de 50 points de base», croit Jean-François Pépin. C’est ce qu’on appelle en jargon financier l’effet de roll down, qui est directement lié à la courbe des taux d’intérêt.
Puisque la courbe est généralement ascendante, les taux à court terme étant inférieurs aux taux longs, un gestionnaire achètera le secteur le plus pentu de la courbe. Ainsi, dans 24 mois, une obligation d’un terme de cinq ans aura un terme de trois ans et une valeur marchande équivalente à cette échéance (toutes choses étant égales par ailleurs). Puisque les taux sont plus bas dans la portion courte de la courbe, le prix de cette obligation aura augmenté (relation inverse). Ce glissement naturel de la courbe est un facteur de protection pour l’investisseur en cas de hausse généralisée des taux d’intérêt.
Obligations provinciales à choisir
Pour la prochaine année, Fiera Capital suggère de limiter la duration moyenne du portefeuille obligataire à 4 ou 5 ans, tirant profit des écarts de crédit.
Il faut comprendre que le différentiel de taux entre deux crédits différents sera généralement plus large dans le long terme. Ainsi, un investisseur qui achète une obligation du Québec échéant dans 10 ans recevra une plus grande prime supérieure à celle des obligations du Canada (en points de base) qu’une obligation équivalente d’un terme de cinq ans.
Dans le marché des obligations provinciales, les primes de risque sont encore historiquement attrayantes, puisqu’une majorité de provinces ne réussit toujours pas à équilibrer son budget. «Seules les provinces du Québec, de la Colombie-Britannique et de la Nouvelle-Écosse y parviennent et devraient maintenir l’équilibre en 2017-2018. À ces provinces s’ajoutera l’an prochain l’Ontario, qui promet le retour à l’équilibre après avoir resserré les cordons de la bourse les dernières années», explique Barbara Lambert, gestionnaire de portefeuille principale, revenu fixe, chez Addenda Capital.
«C’est l’Ontario, qui a la plus forte croissance économique actuellement. Mais beaucoup de dettes ont été émises, notamment dans le long terme ces dernières années, ce qui a élargi les écarts au-dessus des obligations du Canada et a rendu ces obligations provinciales attrayantes», ajoute-t-elle.
«Avec l’élection des libéraux au fédéral et dans plusieurs provinces, Ottawa semble davantage à l’écoute des provinces, ce qui est positif pour ce crédit. Les obligations du Québec et de l’Ontario se négocient au même taux dans les termes de 5 ans et 10 ans. Et à écart égal au-dessus des Canada, je privilégierais les Ontario», précise Barbara Lambert.
«La courbe obligataire provinciale est pas mal pentue dans les termes de 2 à 5 ans. C’est donc intéressant de jouer le roll down», ajoute Nicolas Normandeau. Ce dernier a également un biais favorable pour les obligations de l’Ontario, vu la croissance dans cette province.
Et les obligations municipales et de sociétés ?
Par ailleurs, ceux qui veulent bonifier leur rendement et peuvent se permettre de détenir une portion un peu moins liquide dans leur portefeuille obligataire devraient envisager d’y ajouter des obligations municipales. «Par exemple, les obligations cinq ans de Montréal se négocient à 50 points de base au-dessus des provinces de Québec d’un terme équivalent. Il n’y a cependant pas de garantie explicite de la province en cas de difficulté financière d’une municipalité. Il faut donc se renseigner et comprendre la liquidité de ces titres. Mais dans les termes de trois ou quatre ans, c’est sensé d’en détenir un peu dans le portefeuille», affirme Barbara Lambert.
Quant au crédit corporatif, il devrait encore bien performer en 2017, car l’offre nette de produits sera beaucoup moins importante, ce qui créera une rareté. «Beaucoup de titres émis après la crise financière arrivent à échéance au Canada, soit environ 70 G$ de dollars de dette l’an prochain et cela ne sera pas nécessairement renouvelé», explique Karin Sullivan, gestionnaire de portefeuille principale revenu fixe et co-chef, obligations de sociétés chez Addenda Capital.
Même si les écarts entre les rendements des obligations d’État et ceux des obligations de sociétés se sont rétrécis de plus de 20 points de base en moyenne l’an dernier, cela devrait se poursuivre en raison de la demande et d’un contexte économique favorable, croit-elle.
«Les termes de 5 à 10 ans demeurent attrayants. Quand on observe l’indice obligataire universel, on est toujours 30 points de base plus large que les niveaux atteints en 2014», ajoute la spécialiste. Si l’appétit des investisseurs pour le crédit se poursuit, on pourrait voir ces écarts diminuer encore plus, ce qui ultimement pourrait augmenter le prix de ces obligations.
Karin Sullivan comme Nicolas Normandeau aiment le secteur des banques canadiennes et le secteur énergétique, particulièrement les sociétés qui sont moins touchées dans leurs opérations par le prix du pétrole, comme les pipelines.
Aubrey Basdeo souligne enfin que les gestionnaires de portefeuille actifs devraient profiter de cet environnement plus volatil. «Au cours des prochains mois, on voudra raccourcir la duration, jouer les écarts de taux tout en gérant le portefeuille obligataire de manière plus tactique, c’est-à-dire en allongeant la duration lorsque le marché est survendu», résume-t-il.
«On voudra également diversifier le portefeuille internationalement, puisque le Canada ne représente que 3 % du revenu fixe mondial», ajoute l’expert. On couvre toutefois le risque de devise vu la volatilité de ce marché.