Après 10 ans aux commandes de l’Autorité des marchés (AMF), Louis Morisset entame son dernier tour de piste avant son départ en juillet prochain. Invité par le Cercle canadien le 13 février dernier, il a évoqué brièvement son bilan devant un parterre de gens d’affaires réunis au Centre Sheraton. Mais c’est plutôt vers le futur que s’est tourné l’avocat de formation qui a discouru sur les défis qui attendent l’organisme de réglementation dans cette nouvelle ère numérique en plus de faire un plaidoyer pour une finance durable et résiliente.
La transformation numérique en cours dans le secteur financier – et qui s’est beaucoup accélérée depuis la pandémie – est une tendance lourde et un enjeu préoccupant pour le dirigeant de l’AMF, car il représente des risques, à la fois sur le plan de la fraude et de la désinformation. Il a brandi son téléphone à la foule, à titre d’exemple, et a rappelé combien cet outil de communication s’était transformé en un portail ouvert sur le monde disponible à toute heure du jour. « On accède aujourd’hui à une multitude de produits et services, dont une offre de plus en plus diversifiée de services financiers dont nous avons tous besoin : des services bancaires, de paiement, de courtage de valeurs mobilières, de gestion de finances personnelles, d’assurance, de comparaison de produits hypothécaires, et j’en passe. »
Force est de constater, selon Louis Morisset, que le numérique est un terreau fertile pour les escroqueries. « Les fraudeurs profitent de l’anonymat du web et d’un accès privilégié à notre quotidien, qu’ils observent facilement à partir de la trace numérique qu’on laisse sans s’en rendre compte derrière soi lorsqu’on navigue sur le web ou qu’on utilise des applications mobiles. » Il déplore notamment certaines techniques de marketing numérique que l’on retrouve parfois sur des plateformes de négociations en ligne. Celles-ci s’approprient par moments des concepts propres aux jeux vidéo qui ciblent davantage les jeunes. « Ces techniques, destinées à influencer la prise de décision des investisseurs, peuvent les amener à poser des gestes qui ne sont pas nécessairement dans leur intérêt, comme s’engager dans des opérations financières incompatibles avec leurs objectifs d’investissement ou encore leur tolérance au risque », met en garde le PDG.
Il constate aussi avec appréhension qu’un plus grand nombre de jeunes consommateurs et d’investisseurs autonomes, notamment ceux intéressés par les cryptoactifs, s’informent sur les réseaux sociaux où sévit beaucoup de désinformation sur les produits et services financiers. « Leurs décisions financières sont ainsi de plus en plus tributaires de finfluenceurs dont l’objectif n’est pas bien souvent d’informer adéquatement leur audience, mais plutôt de générer le plus grand nombre de vues ou de clics, ou de profiter financièrement d’un buzz qu’ils contribuent à créer sur des titres ou des cryptoactifs, dans lesquels ils ont eux-mêmes investis. »
Le numéro un de l’AMF en conclut que la littéracie financière traditionnelle est aujourd’hui insuffisante et que les consommateurs doivent redoubler d’ardeur et approfondir encore davantage leurs connaissances. « Ils doivent aussi apprendre à utiliser les applications mobiles de façon sécuritaire, reconnaître la fraude en ligne, protéger leurs renseignements personnels, et consentir à leur partage de façon éclairée. » Il plaide donc pour une vigilance accrue des consommateurs, « la seule véritable ligne de défense », selon lui, face aux risques que pose le numérique. Il a par ailleurs invité tous les intervenants de l’industrie financière québécoise à « tenter d’intégrer toujours davantage d’éléments de littératie financière dans leurs communications avec leurs clients, spécialement les plus jeunes. »
Pour une finance durable
Si la pandémie a accéléré la transformation numérique, elle a aussi « provoqué une véritable prise de conscience de la finance durable », selon le président-directeur général qui y voit là une autre tendance lourde. Ce concept renvoie selon lui à toutes les activités financières tenant en compte les facteurs ESG (environnement, social et gouvernance). « La corrélation entre la valeur à long terme d’une entreprise et la prise en compte dans ses activités des facteurs ESG, fait maintenant l’objet d’un large consensus. » L’autre consensus à ses yeux à trait aux changements climatiques qui, comme enjeu, est indissociable d’un mouvement de transition des entreprises et de l’économie vers la carboneutralité. « Le secteur financier ne pourra résoudre à lui seul l’enjeu des changements climatiques, mais il joue un rôle absolument essentiel pour soutenir l’économie réelle, et accélérer la nécessaire transition », a-t-il dit.
Il a notamment rappelé dans sa présentation les différents gestes et activités menés par l’Autorité, et ses collègues canadiens des autres organismes de réglementations en valeurs mobilières, pour favoriser l’émergence d’un secteur financier durable et plus résilient. Il s’est dit entre autres préoccupé par l’écoblanchiement dans un contexte où de plus en plus de fonds d’investissement arborent des étiquettes « responsables et durables ». « Les investisseurs doivent pouvoir compter sur de l’information de qualité pour prendre des décisions d’investissement éclairées. »
Champion de l’équité des genres, le PDG de l’AMF, qui a créé un comité pour la promotion et le développement de talents féminins à son entrée en fonction – toujours actif aujourd’hui, a rappelé aux participants l’importance de faire évoluer les pratiques de gouvernance afin de mieux refléter les enjeux d’aujourd’hui. « Il n’est plus à démontrer aujourd’hui que la diversité, sous ses nombreux aspects, favorise l’expression de perspectives et de points de vue différents, et contribue à mitiger le risque de développer une pensée de groupe au sein des conseils d’administration. »
Les divers chapeaux de l’Autorité
Louis Morisset, qui a pris les rênes d’une organisation de plus de 900 employés à tout juste 40 ans, a aussi profité de l’occasion pour rappeler le rôle de régulateur joué par l’organisme au cœur de l’écosystème financier québécois, un « secteur névralgique qui représente 7% du PIB du Québec, soit plus de 27,4 milliards de dollars. » Il a souligné le rôle multifacette de l’Autorité qui agit pour l’intégrité du secteur financier et veille à son bon fonctionnement. « Notre rôle consiste notamment à établir des normes et meilleures pratiques et à développer la réglementation sous-jacente aux 12 lois dont le gouvernement nous a confié l’administration. » Les activités d’encadrement de l’AMF touchent les secteurs de l’assurance, des valeurs mobilières, des instruments dérivés, des institutions de dépôts ainsi que de la distribution de produits et services financiers.
L’Autorité s’occupe, entre autres choses, d’inscrire, de certifier et d’agréer les individus et les entreprises qui pratiquent dans le secteur financier. « À titre indicatif, dans le domaine de l’assurance, nous comptions l’an dernier près de 240 assureurs autorisés à exercer au Québec, près de 8 400 cabinets et 30 000 représentants. En valeurs mobilières, ils étaient près de 700 courtiers et 37 000 représentants inscrits auprès de l’Autorité », a souligné le PDG.
En table ronde, Louis Morisset a laissé entendre que de nombreux défis attendaient son successeur puisque le secteur financier est toujours en constante transformation et qu’il évolue rapidement. « C’est un défi perpétuel. Il faut essayer d’évoluer à la même vitesse. Ce qui n’est pas facile. On veut être dans la parade, même parfois on veut être devant. » Il s’interroge aussi sur l’impact de l’intelligence artificielle dans le secteur financier. « Sera-t-elle utilisée de façon responsable ou soulèvera-t-elle des enjeux éthiques et discriminatoires ? On réfléchit à cela. » Il rappelle que la réglementation et les lois sont en soi imparfaites. « Des événements nous amènent fréquemment à réaliser qu’il y a des trous et que nous devons y remédier avec nos partenaires. »