En décembre dernier, Christian Laroche quittait ses fonctions de président de l’exploitation pour le Québec du réseau d’assurance IDC Worldsource. Or, il reste consultant stratégique pour cette firme jusqu’en juin.
« Je n’abandonne pas le navire, dit-il. Demain sera un nouveau jour pour moi comme pour eux, mais l’entreprise va poursuivre ses activités comme avant. J’aurai plus de temps pour moi, ma famille, et pour réaliser certains objectifs qui me tiennent à cœur pour la suite de ma carrière. »
À 54 ans, Christian Laroche est doté d’une énergie peu commune, a la tête pleine d’idées et est loin de la retraite. « On dit que le passé est garant de l’avenir, mais ce n’est pas le passé qui fait l’avenir. Il donne des notions. Malheureusement, trop d’intervenants dans cette industrie se fient seulement aux façons de faire du passé pour avancer. Si on n’évolue pas, c’est le début de la fin. Garanti », dit-il.
Dans un entretien à cœur ouvert, il se confie sur sa carrière dans l’industrie financière, y compris sur les plus récents développements.
Le petit gars de l’Abitibi
Entrepreneur dans l’âme, Christian Laroche a maintes fois emprunté le chemin le plus difficile, et s’est souvent remis en question au cours de sa carrière.
Finance et Investissement (FI) : Comment les gens du milieu vous perçoivent-ils, à votre avis ?
Christian Laroche (CL) : Lorsqu’ils me voient au sommet dans ma carrière, ils croient que la route a été directe, mais leur vision se limite au résultat, à la photo-finish. Pas au chemin parcouru. Pas à mes nombreux échecs ou à mes décisions difficiles. Pas aux risques que j’ai pris. Pas à mes nuits blanches. Pas à mes grandes peurs, et comment j’ai essayé de m’en débarrasser ! Il n’y a rien eu de facile dans mon parcours. Parfois, j’ai même regretté de ne pas avoir écouté mon père qui m’encourageait à poursuivre mes études.
FI : Souvent, la carrière d’un entrepreneur, c’est le parcours d’une personne qui court des risques toute sa vie en créant des emplois.
CL : Je me suis construit une carapace, j’ai développé une insécurité qui m’a amené à autosolutionner les problèmes. Ça a été un avantage dans ma carrière, parce que chaque fois que je fais face à un revers ou à une situation défavorable, mon premier réflexe est de penser à une solution immédiate, peu importe si ce n’est pas la meilleure. Pendant que tout le monde panique autour de moi, je prends la partie de la nouvelle qui fait mon affaire, même si elle est toute petite, et je bâtis là-dessus en mettant tout le reste de côté. J’ai déjà digéré la nouvelle et je passe à la phase 3 qui me demande : que vas-tu faire, Christian ? Quel avantage peux-tu en tirer ? Est-ce que tu peux changer ça ?
FI : De quoi êtes-vous le plus fier aujourd’hui ?
CL : Des étapes que j’ai dû franchir pour être là où je suis. Aussi, comment un p’tit gars a pu partir de l’Abitibi avec ce qu’il possédait et se battre pour faire sa place dans cette industrie et en traverser tous les changements. Comment j’ai pu faire une transaction du côté national et amener l’entreprise qui m’était chère, et dont j’étais l’un des actionnaires, à devenir aussi importante aujourd’hui, mais au sein d’une entité que je ne contrôlerai plus.
FI : Avez-vous des regrets ?
CL : Mon plus grand rêve dans les circonstances était de pouvoir conserver cette entreprise telle quelle et de continuer à la faire grandir au Québec, mais dans la conjoncture et avec l’évolution des services financiers au Canada, je n’ai pas réussi. Mais je dis tout de même que j’ai rempli ma mission.
De Pro Vie à IDC
FI : En 2023, vous compterez 35 ans de carrière dans le domaine des services financiers. Je résume rapidement les principales étapes de votre parcours : vous avez commencé à travailler dans le domaine en 1988, puis vous avez roulé votre bosse pendant des années avant de fonder Pro Vie assurances avec un partenaire en 1999. En 2012, vous avez créé, à l’intérieur de Pro Vie, le générateur de référencements Pro Spect, qui fournit en ligne de 15 000 à 20 000 leads par année. En 2015, vous êtes devenu le seul actionnaire de l’entreprise avec Humania, un assureur de Saint-Hyacinthe. En 2016, Pro Vie a pris le nom d’Aurrea Signature. En trois ans, l’entreprise s’est imposée comme l’un des plus importants agents généraux au Québec.
CL : C’est exact.
FI : En 2019, alors que vous étiez le président d’Aurrea, vous avez été l’un des principaux architectes de la transaction avec IDC Worldsource, une entreprise canadienne établie à Toronto. Est-ce que ça résume bien votre parcours ?
CL : Oui, mais j’aimerais ajouter que de 2014 à 2020, j’ai effectué quelques transactions à l’intérieur d’Aurrea. Entre autres, j’ai cofondé plusieurs cabinets de distribution et j’ai procédé à l’acquisition du Groupe Pilon, un agent général québécois qu’on a intégré à nos opérations.
FI : Les services financiers n’ont plus grand-chose à voir avec ce qu’ils étaient en 1988.
CL : C’est clair. J’ai connu des confrères qui ont vendu leurs clientèles et/ou leurs entreprises et quitté la profession. Ils n’ont pas été capables de s’adapter aux réalités d’aujourd’hui. En fait, c’est justement pour ça qu’ils ont pris leur retraite. Ils trouvent que c’est devenu trop compliqué. Moi, je suis complètement ailleurs. J’aime apprendre. Je suis toujours à l’affût de ce qui s’en vient.
FI : D’où vient votre désir d’apprendre et d’expérimenter ?
CL : Probablement parce que je ne suis pas allé à l’université.
FI : Ça vous hante ?
CL : Au début, c’était un handicap, mais c’est vite devenu ma force. J’ai développé des aptitudes pour m’adapter, des méthodes, des outils et des façons de faire bien à moi. Mon point de vue n’était pas celui d’un homme qui se basait sur des théories ou des recettes éprouvées pour prendre des décisions, mais sur ce qu’il vivait et voyait sur le terrain. J’ai engagé des gens pour combler mes lacunes. Et avec mes expériences, mes essais, mes erreurs et les risques que j’ai courus, j’ai acquis un savoir qu’on n’apprend pas sur les bancs d’école.
FI : J’aimerais que vous me parliez de l’achat des parts de votre partenaire, en 2015.
CL : Vous me parlez ici d’une grosse étape dans ma carrière. Je me suis alors retrouvé seul avec l’actionnaire Humania, un assureur de Saint-Hyacinthe. Désormais, je volais de mes propres ailes, avec ma première présidence. Je pouvais enfin réaliser ma vision des choses avec un plan clair, et la progression a été faramineuse. De 2015 à 2020, les chiffres ont quadruplé. Aurrea Signature est devenu une grosse machine, et après la fusion avec IDC, la croissance a continué. On a terminé l’année 2022 avec des résultats records. Dans les agents généraux canadiens, mon opération du Québec est peut-être la plus moderne, la plus technologique, la plus avancée du secteur. Et j’en suis fier. On a toujours été à l’avant-garde de l’industrie. On a créé SciO formation, qui est la plateforme en ligne la plus évolutive.
FI : Qu’est-ce qui a mené à la transaction avec IDC ?
CL : Ça ne s’est pas fait en un claquement de doigts. À la fin de l’année 2017, avec mon conseil d’administration, nous avons pris la décision de trouver un partenaire national pour l’entreprise. J’ai vendu mes parts à Humania et je suis demeuré président d’Aurrea. Mon mandat était d’aller sur le marché pour annoncer que j’avais l’intention de fusionner l’entreprise. Je suis donc parti à la recherche d’un joueur indépendant. Dans mon esprit, il fallait qu’il soit coast-to-coast, solide et canadien.
FI : IDC Worldsource ?
CL : Exact. La compagnie a des bureaux de Vancouver à Terre-Neuve, et environ 4000 à 5000 conseillers transigent par elle. Ils étaient partout au Canada, mais moins présents au Québec.
FI : Vous leur offriez d’ouvrir la porte du Québec, si je comprends bien.
CL : En fait, ils occupaient un tout petit secteur ici, dans le West Island, mais c’était une petite opération. Ils ne s’étaient pas encore implantés dans la province.
FI : Pourquoi ?
CL : Nous avions une culture différente. Je leur ai dit que pour entrer au Québec, la seule manière, c’est d’acheter un agent général québécois, déjà bien implanté. On était l’un des trois ou quatre plus gros au Québec, avec près de 1500 courtiers. Après plusieurs mois de négociation, ça s’est conclu par une fusion. Pour IDC, la transaction a été l’une des très bonnes.
FI : Comment le milieu a-t-il réagi au Québec ?
CL : Beaucoup d’observateurs ont dit qu’une fois de plus, des anglophones allaient prendre le contrôle d’une entreprise québécoise, mais ce n’était pas vrai. Quand je suis allé voir IDC, j’ai convenu d’une chose avec eux : on a une culture différente au Québec, on n’est pas de la même place, on est francophones. Les Québécois pensent autrement. Et ils le comprenaient très bien.
Au Québec, on a trois marchés de distribution, et le plus important, c’est celui des francophones. IDC respecte notre culture, notre identité francophone plus que jamais. Ils en sont même extrêmement fiers. On va continuer de travailler ici, avec des bureaux régionaux et des employés au Québec. L’autre culture qui mérite d’être respectée, c’est celle des anglophones québécois. Ils sont nombreux à Montréal, et IDC a développé une proximité avec eux, notamment avec l’équipe de notre bureau de Royalmount. En troisième, il y a celui des Québécois et des Canadiens d’origine asiatique. C’est une communauté importante à Montréal et à Toronto.
FI : Pourquoi vous êtes-vous tournés vers IDC pour assurer la pérennité d’Aurrea Signature ?
L. : Parce que ces gens-là avaient les valeurs aux bonnes places. Je ne pratique plus aujourd’hui, mais tant que je posséderai une licence de conseiller, je resterai avec le réseau IDC. Une grosse partie de l’héritage d’IDC au Québec, c’est le cabinet Aurrea Signature. Je crois en l’entreprise que j’ai bâtie au Québec. Eux aussi.
FI : Les chiffres ne mentent pas.
CL : De 2015 à 2019, donc avant la transaction, les ventes en assurances ont plus que doublé chez Aurrea Signature, avec une augmentation de 107 %. Mais après une fusion, il peut y avoir une déstabilisation. C’est risqué. Pourtant, de janvier 2020 à la fin 2022 — en trois ans, donc —, les ventes en assurances ont continué d’augmenter pour atteindre 30 %. C’est une source de fierté de constater que la compagnie est encore en progression au Québec. Et ce n’est pas tout : en investissements, on a connu une augmentation de 418 % de 2015 à aujourd’hui. Ils ont littéralement explosé. Ces résultats déterminent et définissent l’industrie. Ils tracent son chemin pour l’avenir.
FI : Avant la fusion, vous étiez un président non-actionnaire d’Aurrea, puisque l’assureur avait acheté vos parts. Après la fusion, vous étiez à la tête d’une entreprise contrôlée par une tout autre entité. Comment ça s’est passé pour vous ?
CL : On m’a chargé de l’opération québécoise. Mon mandat était clair : continuer de faire ce que je faisais avant la transaction, et amener à travers le Canada les forces que nous avions au Québec avec Aurrea. Et en même temps, j’amenais au Québec les forces qu’IDC avait au Canada. Je pense que j’ai réussi.
L’autre partie du mandat était de consolider une équipe de direction qui était très alerte. Aujourd’hui, je suis très fier de dire qu’au niveau des opérations, des ventes ou sur le plan juridique en ce qui concerne l’opération au Québec, on a actuellement la meilleure équipe en place, jeune, qui va assurer la continuité.
FI : Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre votre décision ?
CL : Je sentais que je ne pouvais plus faire la différence avec cette entreprise, et que je n’étais plus le seul à prendre les décisions. En pleine pandémie, j’ai eu du temps pour réfléchir sur mon rôle actuel et mes objectifs. À ce stade de ma vie, j’ai mes meilleures années à offrir et je veux les mettre à profit dans des projets qui me tiennent à cœur et dans lesquels je performe et je peux faire la différence.
L’industrie
FI : Que pensez-vous de l’industrie, de la direction que prennent les services financiers ?
CL : Il y a encore beaucoup trop de monde qui focalise sur la distribution uniquement par conseillers indépendants. On doit prendre conscience de la valeur du temps et des nouvelles attentes des consommateurs. L’assurance hypothécaire, par exemple. Avant, vous deviez prendre rendez-vous avec un conseiller qui venait vous rencontrer chez vous. Franchement, il n’y a rien de plus ennuyant qu’avoir un conseiller dans votre cuisine pendant deux heures pour effectuer une petite transaction. Vous avez autre chose à faire, j’en suis sûr.
Aujourd’hui, qu’est-ce que vous faites si vous voulez des services financiers ? Vous allez sur l’internet. En un rien de temps, vous avez accès à toutes les assurances que vous voulez, vous pouvez les comparer si vous le désirez, vous choisissez celles qui vous conviennent, vous pouvez initier la transaction et le tour est joué. C’est là qu’on est rendu, mais l’industrie et les conseillers doivent s’y adapter plus rapidement. Le conseiller sera toujours essentiel, surtout avec une approche-conseil.
FI : Les gros acteurs sont de plus en plus gros parce qu’ils multiplient les acquisitions.
CL : Ils sont gourmands au point de gaspiller ce qu’ils ont dans leur assiette. Ils font l’acquisition de plus petites entreprises, souvent sans respect du plan d’affaires initial, de la culture, et dans le seul but de se consolider. Certaines entreprises font des acquisitions pour grossir, mais elles ne connaissent pas bien ce qu’elles achètent. C’est ridicule.
Les valeurs de Christian Laroche
FI : Vous dites que les gens auront toujours besoin d’un conseiller, mais que leurs attentes ont aussi beaucoup changé. Qu’est-ce qui compte le plus pour eux, à votre avis ?
CL : Aujourd’hui, la plus grande valeur, c’est le temps. Tout le monde veut du temps. Du temps pour vivre, du temps pour s’amuser, du temps pour soi, du temps pour se réaliser… Il n’y a rien de plus frustrant pour les gens que de sentir qu’on leur vole du temps. Ils détestent attendre. Si t’es capable de vendre du temps, tu seras l’homme le plus riche du monde.
FI : Comment une entreprise peut-elle faire des projections dans un monde qui évolue si rapidement ? Doit-elle se contenter du court terme et s’adapter au marché en permanence ?
CL : Elle doit être guidée par une vision d’avenir, parce que fonctionner au mois ou à court terme, c’est le début de la fin. C’est facile de faire un plan pour l’année et pomper de beaux chiffres, mais on s’en va où avec ça ? Ça nous donne quoi de faire ça ? C’est quoi, la mission de l’entreprise ? Si tu ne peux pas la définir, ça ne va pas bien. Et c’est souvent le cas des entreprises qui font beaucoup d’acquisitions. Il y en a eu beaucoup ces dernières années, et elles ont perdu quelque chose de fondamental : leur identité.
FI : Vous avez les pieds dans le présent, mais les yeux toujours tournés vers l’avenir.
CL : Je suis un gars de terrain. Je crois que les meilleurs généraux sont ceux qui ont été soldats dans les tranchées, qui ont fait la guerre. La théorie, c’est bien, mais la pratique est importante.
FI : Comment faites-vous pour vous adapter vite à un changement ?
CL : Ce n’est jamais facile, parce qu’au moins six ou sept projets sur dix n’ont jamais fonctionné. Mais je me suis toujours dit que si je n’avais pas essayé, je ne l’aurais pas su. J’ai payé pour apprendre, et c’est tout à fait normal, c’est comme ça qu’on évolue et qu’on accepte nos échecs. Les plus grands entrepreneurs ont fait faillite combien de fois avant de réussir ? Il faut savoir se retourner et accepter l’échec. On met ça dans ses bagages. En affaires, j’ai aussi appris à écouter pour apprendre. J’ai bâti là-dessus. C’est tellement important !
FI : À vous entendre, j’ai du mal à vous imaginer inactif, même à 100 ans !
CL : Je suis sur le point de franchir une nouvelle étape de ma vie qui me passionne : relever de nouveaux défis. C’est probablement ça qui me permet de prolonger mon existence.
Quand Aurrea Signature est passé sous le giron de IDC il y a trois ans, j’entendais des rumeurs à mon sujet. Les gens disaient : « Il est là pour passer l’entreprise, il va disparaître dans son ranch… ». Ils avaient tort. Je veux avoir du temps pour moi, mais ce n’est pas pour ça que j’ai travaillé à la transaction, c’était pour prolonger la survie d’Aurrea, pour sa pérennité. Et elle est encore là aujourd’hui. Elle sera une propriété canadienne et présente au Québec. On a quatre bureaux au Québec, et on est l’une des régions les plus importantes de toutes les opérations d’IDC au Canada. Pour moi, ce qu’on a réussi à faire avec cette entreprise, c’est une source de fierté. Aux près de 1500 courtiers qui transigent avec nous au Québec, j’annonce aujourd’hui que le meilleur est à venir.
FI : Quelle sera la suite de votre vie ?
CL : Maintenant, je vais m’amuser. Je suis comme un jeune qui sort de l’école et qui se dit : « J’ai toute la vie devant moi. » C’est une seconde carrière qui débute pour moi. Je vais continuer à travailler jusqu’en juin avec IDC. Je m’ouvre par la suite à des mandats de consultant en distribution stratégique et alternative. Ce que je veux, c’est être un architecte pour la distribution présente et future.
Quand j’arriverai à la fin de ma carrière — et c’est encore loin devant moi —, je souhaite pouvoir dire que j’ai participé à l’avancement de tel ou de tel autre projet, ou de telle entreprise, et que j’ai fait la différence dans cette industrie.