La croissance des investissements environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) s’est largement nourries de préoccupations liées au changement climatique, mais certains investisseurs réclament également une plus grande attention à la justice raciale après l’assassinat de George Floyd aux mains d’un policier de Minneapolis en mai.
« S’il y a un racisme systémique, alors nous sommes tous impliqués », commente Rosalie Vendette, consultante en finance durable à Montréal.
Les clients peuvent se demander si leurs investissements contribuent au problème et comment ils peuvent faire partie de la solution, souligne-t-elle.
Pour l’instant, le principal défi est le manque de données sur les entreprises. Lisa Hayles, gestionnaire des investissements chez Trillium Asset Management, une société d’investissement socialement responsable de Boston, encourage les entreprises à divulguer davantage d’informations sur la diversité chez leurs employés.
« La plupart des gens sont bien intentionnés et veulent faire ce qu’il faut, affirme-t-elle. En tant qu’investisseur, je veux aussi avoir les outils et les données nécessaires à la poursuite de cet objectif. »
La Commission américaine pour l’égalité des chances dans l’emploi exige que toutes les entreprises de plus de 100 employés consignent la composition démographique de leur personnel dans les différentes catégories d’emploi, dit-elle. Cependant, il n’y a aucune obligation de rendre ces données publiques.
« Si vous essayez de comprendre l’approche ou la façon dont une entreprise est évaluée par rapport à une autre, c’est très difficile, car il n’y a pas de données cohérentes et comparables », explique Lisa Hayles.
Celle-ci a fait partie d’une coalition réclamant à la Securities and Exchange Commission qu’elle exige la divulgation de la diversité au sein des conseils d’administration, mais elle affirme que ce mouvement a perdu de son élan à la suite de l’élection de Donald Trump en 2016.
Remis à l’agenda
L’intérêt des investisseurs en matière de divulgation d’informations de la part des entreprises connaît toutefois un nouvel élan, note-t-elle.
Le mois dernier, la Racial Justice Investing Coalition, basée aux États-Unis, a lancé un appel aux investisseurs pour qu’ils s’attaquent au racisme systémique.
« Nous reconnaissons que les investisseurs ont contribué aux systèmes racistes et à l’enracinement de la suprématie blanche, et qu’ils en ont tiré profits », indique la déclaration, qui a été endossée par 128 investisseurs institutionnels.
« Nous prenons la responsabilité et nous nous engageons à démanteler le racisme systémique et à promouvoir l’équité et la justice raciales à travers nos investissements et notre travail. »
Les signataires se sont engagés à examiner les portefeuilles afin d’identifier les investissements qui renforcent le racisme systémique et à se désengager de ces sociétés.
Au Canada, les modifications apportées cette année à la Loi canadienne sur les sociétés par actions exigent que les sociétés cotées en Bourse divulguent leur politique de diversité concernant leur conseil d’administration et leurs hauts dirigeants.
Dustyn Lanz, PDG de la Responsible Investment Association, à Toronto, est d’avis que le règlement « fournira aux investisseurs des données essentielles pour mesurer et comparer la diversité raciale dans leurs portefeuilles ».
Il s’agit également d’un bon point de départ pour s’engager auprès d’entreprises et les amener à une plus grande diversité, dit-il.
Les investisseurs peuvent faire valoir auprès des entreprises que la non-discrimination et la diversité créent de la valeur, signale Rosalie Vendette. De telles politiques peuvent ouvrir de nouveaux marchés pour les biens et services d’une entreprise, réduire son roulement de personnel et améliorer sa réputation.
« Le marché est sensible à la réputation, soutient-elle. Aucune entreprise n’est à l’abri de la controverse, mais une entreprise qui gère ses dimensions sociales et politiques, qui travaille sur la question, gagnera la confiance des investisseurs. »
Vers quoi se tourner ?
Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour développer des capables de repérer les entreprises ayant de mauvais antécédents en matière de justice raciale, estime Tim Nash, planificateur financier rémunéré et fondateur de Good Investing, à Toronto. C’est pourtant une démarche nécessaire pour permettre aux gestionnaires d’actifs de développer des produits d’investissement autour de cette question.
Il existe au moins un fonds négocié en Bourse (FNB) qui offre une exposition aux entreprises ayant de solides politiques en matière de diversité raciale. Lancé en 2018 par Impact Shares, basé à Dallas, le NAACP Minority Empowerment ETF sélectionne les entreprises sur la base de dix facteurs, dont les programmes de diversité, la qualité de la politique anti-discrimination, les normes de la chaîne d’approvisionnement, la convention collective et les programmes de développement communautaire.
Les entreprises doivent se conformer au moins à cinq des dix indicateurs pour être incluses, et peuvent être exclues sur la base d’un « pointage de controverse », qui examine les incidents impliquant les employés, les chaînes d’approvisionnement et la communauté en général.
Le fonds n’est pas soutenu ni parrainé par la National Association for the Advancement of Colored People, mais Impact Shares reverse les bénéfices nets du fonds à cette organisation de défense des droits civils.
Tim Nash ne pense toutefois pas que beaucoup de fonds se consacreront exclusivement à la justice raciale.
« Je m’attends à ce que les options ESG qui existent déjà commencent à intégrer ces [indicateurs] de diversité raciale », déclare-t-il.
Lisa Hayles s’interroge également la rentabilité des fonds de justice raciale.
« Le défi lors de la création de produits est qu’ils sont conçus pour attirer un large éventail d’investisseurs. Cela signifie qu’ils sont souvent modérés en termes de méthodologie de sélection, de défense et d’intégration », souligne-t-elle.
Le groupe Evolve Funds, basé à Toronto, représente un exemple de production de produits de niche en matière de diversité. L’entreprise a lancé un fonds de diversité des genres en 2017, mais l’a fermé au début de l’année après qu’il eut seulement réunit 4,3 millions de dollars (M$) d’actifs. Le FNB de la NAACP dispose pour sa part d’un peu moins de 6 M$ d’actifs nets.
Néanmoins, Lisa Hayles affirme que les manifestations antiracistes et les appels croissants en faveur de la justice raciale après le meurtre de Floyd peuvent offrir une occasion aux investisseurs responsables.
« Lorsque quelque chose capte l’imagination du public et des médias, il est plus facile de poser ce genre de questions aux entreprises parce que tout le monde y pense et veut montrer qu’il fait quelque chose », soutient-elle.
Rosalie Vendette est d’accord, ajoutant qu’il est temps pour les entreprises d’aller au-delà des communiqués de presse. Il ne suffit pas de dénoncer le racisme systémique, affirme-t-elle : les entreprises doivent fournir les chiffres pour étayer les politiques et les engagements de la direction générale.
Avec la collaboration de Didier Bert.