En général, les conseillers issus de cabinets multidisciplinaires ont une perception assez différente du juste prix d’un bloc d’affaires selon s’ils sont du côté des acheteurs ou du côté des vendeurs, révèle un sondage en ligne Relève et retraite des conseillers mené par Finance et Investissement en juillet et août dernier.
D’après cette enquête, 56,5 % répondants de moins de 55 ans appartenant au groupe des acheteurs évaluent un bloc d’affaires à l’équivalent d’entre deux et trois fois les revenus bruts annuels générés par ce bloc d’affaires. De plus, 29,8 % d’entre eux jugent que ce dernier devrait se vendre une fois les revenus bruts générés ou moins.
À l’opposé, 57,2 % des répondants de plus de 55 ans qui se rangent parmi le groupe des vendeurs estiment qu’un bloc d’affaires vaut trois fois les revenus bruts générés ou davantage. En tout, 17,1 % d’entre eux évaluent un bloc d’affaires à deux fois les revenus bruts générés et 9,5 % à l’équivalent d’une fois les revenus bruts générés ou moins. Ceux qui ont d’autres façons d’évaluer une clientèle formaient 16,2 % des répondants.
Ces résultats étonnent Normand de Champlain, représentant en épargne collective, conseiller en sécurité financière et associé chez N.D.C. Services financiers, à La Prairie, en Montérégie. Il a effectué de multiples acquisitions au cours de sa carrière et selon lui, pour le territoire de Montréal et de la Rive-Sud de Montréal, les récentes transactions se sont conclues à l’équivalent de quatre fois les revenus bruts annuels générés.
« Il y a tellement peu de clientèles à vendre en ce moment que ceux qui veulent acheter de la clientèle ont de la misère à être sélectifs. On est dans un marché où le vendeur est favorisé par rapport à l’acheteur », dit-il. Un acheteur doit souvent acquérir un lot de clients tel quel, puis le segmenter en fonction de son modèle d’affaires et avant d’en revendre une part à d’autres conseillers de la relève, selon lui.
La pénurie de clientèles à vendre nuit même aux conseillers de la relève, qui veulent pourtant croître par acquisition. « C’est une des choses que les jeunes conseillers ont le plus de difficulté, indique Audrée de Champlain, conseillère en sécurité financière, représentante en épargne collective et associée auprès de N.D.C. Services financiers. Les conseillers seniors ont tendance à vouloir garder leur clientèle très longtemps et à obtenir leurs renouvellements très longtemps malgré l’aspect défavorable au client. »
Selon elle, cette situation supprime pratiquement l’ensemble des leviers de négociation de l’acheteur et l’amène à parfois payer un bloc d’affaires trop cher.
Ce qui fait varier le prix
En plus du jeu de l’offre et de la demande, une kyrielle de facteurs influencent le prix d’une clientèle, à commencer par le revenu annuel qu’elle a généré et pourra continuer de faire.
Pour la portion « placements » d’un bloc d’affaires, l’acheteur paiera davantage si l’actif sous administration du vendeur est en croissance, notamment en raison de ses ventes nettes.
« Si toute sa clientèle est en fonds enregistré de revenu de retraite (FERR) et que les clients décaissent de l’argent tous les ans, alors il risque d’y avoir plus de sorties d’argent que d’entrées d’argent et ça vaut moins cher », dit Normand de Champlain.
« En investissement, je vais regarder l’évolution des actifs des trois dernières années. Je veux savoir si la clientèle en accumulation ou décaissement. Je regarde aussi la moyenne d’âge de la clientèle : si la moyenne est de 75 ans, elle sera beaucoup plus en décaissement », dit Yoland Genest, vice-président au développement des affaires chez MICA Cabinet de services financiers.
« Une clientèle dont l’âge moyen est de 70 ans, donc des clients qui sont en décaissement, ça se vend moins cher. Mais si tous les enfants des clients plus âgés sont aussi clients du conseiller, il risque d’y avoir une plus grande pérennité d’actif [étant donné qu’il est probable qu’ils héritent de leurs parents ou qu’ils investissent le capital décès des polices d’assurance]. Le bloc d’affaires vaut alors plus cher », note Audrée de Champlain.
Par ailleurs, il est possible que la personnalité de l’acheteur ne corresponde pas à celle des clients du vendeur, ce qui crée un risque d’attrition de la clientèle après la vente. Dans ce cas, le contrat de vente peut parfois prévoir qu’une part du prix de vente ne soit payée que si la clientèle suit l’acheteur. On appelle cette pratique « une balance de vente » dans le jargon de l’industrie.
« Il y a tellement peu de clientèle à vendre que la mode n’est plus aux balances de vente », dit Normand de Champlain. La portion « placements » la valeur d’un bloc d’affaires peut se vendre de trois à quatre fois les revenus récurrents.
Pour minimiser ce risque d’attrition, le vendeur peut s’assurer de présenter l’acheteur aux 50 clients ayant le plus d’actifs à investir parmi son bloc d’affaires, propose Yoland Genest. Selon lui, l’acheteur accorderait une valeur plus élevée à un vendeur qui a joué aux entremetteurs plutôt que lorsque le vendeur doit faire une vente de feu, en raison d’une invalidité ou un décès précipité.
Pour la portion « assurance » d’une clientèle, certaines catégories de commissions annuelles de renouvellement valent plus cher que d’autres. Par exemple, les revenus récurrents découlant de polices d’assurance invalidité ont une valeur élevée, par exemple de 4 à 5 fois les revenus récurrents.
La proportion de clients qui conservent leur assurance salaire, aussi appelée taux de conservation, est généralement élevée, ce qui offre à l’acheteur une certaine garantie de récurrence de revenus annuels.
« Si un médecin a pris son assurance salaire il y a 10 ans, il ne peut pas l’annuler et demain matin en prendre une autre parce qu’elle va coûter beaucoup plus cher. Les primes montent tellement vite en fonction de l’âge qu’on sait que le client ne changera pas de conseillers. Le risque de perte de revenu est minime. Les gens n’abandonnent pas leur contrat », explique Normand de Champlain.
Le bloc d’affaires en invalidité vaut aussi plus cher étant donné que ses revenus sous-jacents sont appelés à croître. En effet, généralement, un titulaire de police d’assurance invalidité va souscrire à l’option d’assurabilité future et a de bonnes chances d’augmenter sa protection au fur et à mesure que son revenu augmente.
« Si le client ajoute à son contrat 1000 $ de couverture mensuelle supplémentaire, il va être tarifé selon son âge atteint. Sa prime va augmenter [ce qui génère des commissions]. C’est intéressant pour nous », dit Yoland Genest. Si l’âge moyen des titulaires d’assurance invalidité est 45 ans, le bloc d’affaires vaudra plus cher que si cette moyenne est de 55 ou 60 ans, précise-t-il.
Le type de métier à assurer a aussi un impact sur la valeur des blocs d’affaire, ajoute Normand de Champlain : « Une assurance salaire pour serveuse dans un restaurant va durer moins longtemps qu’une assurance salaire d’un médecin. »
La portion d’assurance vie d’un bloc d’affaires a une valeur qui varie selon la proportion de polices permanentes par rapport aux polices temporaires.
Le taux de conservation risque d’être plus bas chez les détenteurs de polices temporaires 10 ans. Ces polices risquent aussi de verser moins longtemps des revenus récurrents à l’acheteur par rapport aux polices permanentes.
La qualité importe beaucoup
Chaque acheteur pondère ses critères d’évaluation de clientèle en fonction de son modèle d’affaires et du potentiel de croissance du chiffre d’affaires en provenance du bloc d’affaire à vendre.
Par exemple, Normand de Champlain, qui se spécialise dans les services financiers pour ingénieurs, serait prêt à surenchérir si on lui offre une clientèle de ce segment de marché. Un autre conseiller qui vise un autre segment pourrait au contraire dévaluer le bloc d’affaires.
D’autres facteurs ont une influence favorable sur le prix de vente, comme lorsqu’un vendeur a une base de donnée informatisée de clients, lorsqu’il offre généralement plus d’un type produits par client et lorsqu’il a une relation d’affaires continue avec ses clients.
Lorsqu’un client a à la fois des produits d’assurance et de placement auprès d’un même conseiller, cela témoigne de la qualité de la relation client-conseiller et c’est un indice que le client risque d’apprécier le conseil et la continuité d’affaires.
« Si jamais un client n’a pas été visité régulièrement, il y a des chances que le client ne veuille pas nécessairement faire affaire avec le nouveau conseiller », ajoute Audrée de Champlain.
Plus la proportion du revenu récurrent provient de comptes à honoraires est élevée, plus la valeur marchande de la clientèle le sera. « Le client connaît la valeur du conseil et il est habitué à payer pour du conseil », note Normand de Champlain.
Yoland Genest est davantage intéressé à acheter un bloc d’affaires pour lesquels le vendeur gardé les clients les plus payants : « Si un conseiller a segmenté sa clientèle en la faisant passer de 500 à 150 clients, je suis à presque sûr que ces clients représentent de 80 à 90 % des revenus du bloc d’affaires original. Pour moi, c’est intéressant. »
L’inverse est aussi vrai, note Yoland Genest : « J’ai déjà refusé d’acheter une clientèle qui avait 4000 clients. Elle générait 50 000 $ de revenu par année. J’ai dit au vendeur : “Pour que je la prenne, il faudrait que tu me la transfères. Ça va me prendre une secrétaire à temps plein pour faire le service.” »
La conformité a aussi une influence sur le prix de vente. « Quelqu’un qui vend son chiffre d’affaires parce qu’il a eu une plainte à l’Autorité des marchés financiers contre lui, ça peut faire baisser le prix de vente. Évidemment, ça dépend des plaintes : ce n’est pas la même chose si un client n’a pas compris un produit par rapport à quelqu’un qui vole ses clients », note Normand de Champlain.
La conformité a aussi une influence sur le prix, d’après Yoland Genest : « Par exemple, en assurance, est-ce qu’il y a une analyse des besoins financiers (ABF) dans les dossiers? Si on achète un bloc et il faut remettre la conformité à jour, c’est un “moins” ».
Yoland Genest accorde également une valeur plus élevée à une base de donnée de client numérisée par rapport à des dossiers papier.
Le lieu de résidence des clients a aussi un impact sur le prix de vente, dit Yoland Genest :
« Je suis basé à Québec. Une clientèle qui est concentrée à Québec m’intéresse plus qu’une clientèle éparpillée, parce que ça coûte plus cher d’opérer et de servir des clients éparpillés. »
« On achète le potentiel »
L’un des critères qualitatifs les plus importants réside dans le potentiel du bloc d’affaires. « On achète une clientèle pour son potentiel de pouvoir générer de la business, des nouvelles ventes », mentionne Yoland Genest.
Les clients propriétaires d’entreprises pourraient avoir des besoins changeants en matière d’assurance pour leurs firmes ou pour eux-mêmes, ainsi que du capital à investir lorsqu’ils cèderont leur entreprise. Les clients qui sont des professionnels incorporés ont un potentiel d’accroître leur épargne-retraite, en fonction de leur cycle de vie.
« Si j’ai une clientèle qui est développée sur le plan de l’investissement, mais pas beaucoup développée en assurance, c’est une piste de potentiel pour moi », dit Yoland Genest.
Les conseillers pourraient toucher aussi des commissions de recommandation s’ils orientent leurs clients vers des courtiers hypothécaires.
« La pire acquisition finit toujours par être une bonne acquisition. Même si on met cinq ans au lieu de quatre ans pour se repayer [par rapport au prix d’achat du bloc d’affaires], des clients qui nous réfèrent. On vend d’autres produits. C’est le temps qui finit par faire en sorte que c’est une bonne occasion », fait valoir Normand de Champlain.
Par ailleurs, parfois, certains conseillers ont dans leur bloc d’affaires des clients qui ne génèrent pas de revenu, notamment parce qu’ils ont une police d’assurance qui ne paie plus de commission de suivi. « Un client ne génère pas de commission de renouvellement, on peut parfois accorder une valeur forfaitaire de 10 ou 20 $. Mais, pour un client passif, il n’y aura généralement pas de prix pour ce client », dit Normand de Champlain.